Aller au contenu principal
Le régisseur russe Sergej M. Eisenstein chez Upton Sinclair à Hollywood

Le régisseur russe Sergej M. Eisenstein chez Upton Sinclair à Hollywood

Auteur : ERICH Salomon

Lieu de conservation : Berlinische Galerie (Berlin)

Date de création : 1930

Date représentée : 1930

photographie

Domaine : Photographies

© BPK, Berlin, Dist. RMN - Grand Palais / image BPK

http://www.photo.rmn.fr

09-521242 / SaE001

L’aventure américaine de Sergueï Eisenstein

Date de publication : Avril 2019

Auteur : Alexandre SUMPF

Moscou-Hollywood

À gauche, le Soviétique Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (1898-1948), célèbre cinéaste qui a quitté l’URSS six mois après le début des attaques contre son film Octobre et sa méthode de travail. À droite, l’Américain Upton Sinclair (1878-1968), célébrissime auteur de La Jungle (1905) et de sa description dantesque des abattoirs de Chicago. À l’automne 1930, ces deux emblèmes des intellectuels de gauche nouent une alliance amicale et artistique dans le but de produire un film sur le Mexique.

Eisenstein est depuis quatre ans le plus célèbre représentant de la nouvelle vague de cinéastes venus d’URSS, aux côtés du documentariste et théoricien Dziga Vertov, et des réalisateurs Vsevolod Poudovkine ou Boris Barnet. Ayant commencé au théâtre avec Vsevolod Meyerhold, le jeune Juif polyglotte a connu la célébrité avec Le Cuirassé Potemkine (1925). Son cinéma expérimental ne séduit pas forcément les autorités soviétiques, mais elles sont avides de figures pouvant incarner l’image d’une nation d’avant-garde (ici, de la culture). Ses films suivants sont des échecs (Octobre, 1928) ou des semi-échecs (La Ligne générale, 1929), et dans ce contexte de reprise en mains des affaires de cinéma par le parti unique, Eisenstein entame un itinéraire de plusieurs années en Europe et aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, après plusieurs échecs auprès de la Paramount, naît le projet d’un film sur le Mexique financé avec le soutien des progressistes de Hollywood menés par l’écrivain Upton Sinclair et sa femme. Le photographe allemand Erich Salomon (1886-1944), célèbre pour avoir su photographier des événements importants (signature du pacte Briand-Kellog en 1928) ou des lieux inaccessibles (la Cour suprême des Etats-Unis) a aussi à son actif de beaux portraits de responsables politiques et de stars de cinéma.

Tie-break

Le cliché a été réalisé par Erich Salomon dans la luxueuse propriété hollywoodienne d’Upton Sinclair, sur son court de tennis privé. Le fond sombre, les ombres et l’éclairage sur les visages plaident pour une prise de vue nocturne qui autorise un petit jeu de clair-obscur. Les costumes de ville et les positions prises par les deux célébrités appuyées sur le filet central suggèrent une séance de pause soigneusement organisée dans un contexte de luxe et de détente. S’il utilise à dessein la géométrie des lignes blanches pour donner de la perspective à son image, le photographe a légèrement décalé son objectif afin d’éviter la frontalité. Le fait que l’Américain expérimenté et le jeune Soviétique prennent place dans le même carré de service, leur regard plongé dans celui de l’autre, raconte l’histoire d’un rapprochement des générations et des continents. Les deux acteurs de cette mise en scène, cela dit, ne surjouent pas la proximité et la complicité.

La diplomatie culturelle, arme à double tranchant

En 1928, Eisenstein a saisi l’occasion offerte par les autorités soviétiques qui comptent instrumentaliser sa renommée pour faire la publicité du régime et de son art révolutionnaire. Pendant de longs mois, le cinéaste enchaîne des conférences et des visites en Grande-Bretagne, France, Allemagne et Suisse, avant de se voir proposer un projet de film par la major américaine Paramount. C’est finalement en novembre que les Sinclair, présentés par Charlie Chaplin, s’offrent pour produire Que Viva Mexico !. Le film n’a finalement jamais pu être monté par Eisenstein, Sinclair ayant confisqué les images tournées en 1932. Le réalisateur rentre donc humilié et déprimé en 1933, et le pouvoir met du temps à lui pardonner ce nouvel échec.

Cela n’empêche nullement l’envoi répété d’artistes en mission, comme le peintre Alexandre Deïneka en Italie en 1935, ou les satiristes Ilf et Petrov aux Etats-Unis en 1934-1935. En effet, faut d’avoir pu faire triompher la révolution mondiale, l’Union soviétique a engagé dès le milieu des années 1920 une politique de propagande par la culture très dynamique, s’adressant à la fois à la classe ouvrière (contre-culture internationale) et aux intellectuels (culture révolutionnaire). Le pavillon soviétique dessiné par Konstantin Melnikov et décoré par Alexandre Rodtchenko pour l’Exposition des Arts décoratifs de Paris de 1925 est resté dans l’histoire de l’architecture. Certains artistes et groupes (les Surréalistes) se rangent au tournant des années 1930 parmi les « compagnons de route » qui défendent l’Union soviétique sans pour autant adhérer au parti communiste de leur pays. On encourage les créateurs soviétiques à entretenir des liens directs, personnels, avec les grandes figures de gauche qui, comme Chaplin, Bernard Shaw ou Henri Barbusse, pèsent dans les opinions nationales. Des circuits amicaux de distribution de films, des maisons d’éditions, des galeries se font aussi le relais d’une production culturelle soigneusement sélectionnée où se mêlent œuvres dans la ligne et chefs d’œuvre échappant aux canons, comme les films d’Eisenstein.  

Barthélémy Amengual, Que viva Eisenstein !, L'Âge d'Homme, Paris, 1990. 

Oksana Bulgakowa, Sergei Eisenstein. A Biography, Londres, Potemkin Press, 2002.

Jean-François Fayet, VOKS. Histoire de la diplomatie culturelle soviétique de l’entre-deux-guerres, Georg, Genève, 2014.

Harry Geduld, Ronald Gottesman, (éd.), Sergei Eisenstein and Upton Sinclair: The Making & Unmaking of Que Viva Mexico!, Bloomington, Indiana University Press, 1970. 

 

Alexandre SUMPF, « L’aventure américaine de Sergueï Eisenstein », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/aventure-americaine-serguei-eisenstein

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La famine de 1921

La famine de 1921

Au cours de la guerre civile qui oppose les bolcheviks et leurs adversaires de toutes tendances, une terrible famine survient. Elle touche notamment…
La fin de la guerre de Crimée

La fin de la guerre de Crimée

Pour mettre fin à la guerre de Crimée, un congrès fut convoqué à l’initiative de Napoléon III à Paris du 27 février au 8 avril 1856. L’empereur…
Les spectacles et la mode de la culture russe en France

Les spectacles et la mode de la culture russe en France

La Russie, Orient de l’Europe

Opposées lors de l’épopée napoléonienne ou, plus tard, durant la guerre de Crimée (1854-1856), la France et la…

Les spectacles et la mode de la culture russe en France
Les spectacles et la mode de la culture russe en France
Marie Vassilieff, une figure de Montparnasse

Marie Vassilieff, une figure de Montparnasse

Marie Vassilieff et l’École de Paris

Née en 1884, Marie Vassilieff étudie la médecine et l’art à Saint-Pétersbourg. Grâce à une bourse de voyage…

Guerre et Révolution en Russie (1917-1918)

Guerre et Révolution en Russie (1917-1918)

Le 12 mars 1917 (calendrier justinien), la garnison de Petrograd se soulève. Immédiatement un Conseil des délégués ouvriers et soldats se…

Guerre et Révolution en Russie (1917-1918)
Guerre et Révolution en Russie (1917-1918)
Lénine, tête agissante de la révolution

Lénine, tête agissante de la révolution

Une révolution encore fragile

La photographie de Lénine en action, réalisée par un photographe anonyme le 7 novembre 1918, est l’un des plus…

L’affiche, arme fatale de la guerre civile russe

L’affiche, arme fatale de la guerre civile russe

La révolution en état de siège

Les bolcheviks ont pris le pouvoir grâce à un habile coup d’État, mais il leur reste une nation entière à…

L’Apogée du culte de Staline

L’Apogée du culte de Staline

Le dernier des révolutionnaires de 1917

En 1950, Nina Nikolaevna Vatolina (1915-2002) dessine une nouvelle version d’un sujet devenu récurrent en…

La guerre juste

La guerre juste

Le choc des cultures

Dans une nation moins déchristianisée que la France, où la foi ne constitue pas le principe de ralliement d’un parti (comme…

La guerre juste
La guerre juste
La guerre juste
L'histoire soumise à l'idéologie

L'histoire soumise à l'idéologie

Le IIe Congrès de la IIIe Internationale communiste ou Komintern (de Kommunistiche Internazionale) marque la véritable…

L'histoire soumise à l'idéologie
L'histoire soumise à l'idéologie
L'histoire soumise à l'idéologie