Bonaparte touchant les pestiférés.
Auteur : THIEBAULT Jean-Baptiste
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
Date représentée : 11 mars 1799
H. : 41,8 cm
L. : 64 cm
Bois de fil colorié au pochoir sur papierEditée à Epinal chez Pellerin
Domaine : Estampes-Gravures
© Photo RMN - Grand Palais - D. Adam
01.2.49 / Inv.50.21.544 D
Bonaparte touchant les pestiférés
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Nathalie JANES
Durant l’expédition de Syrie, une épidémie de peste ravage l’armée française après la prise de Jaffa. Bonaparte rend visite aux soldats malades soignés dans un monastère de la ville, avec le médecin en chef Desgenettes. Les faits seront relatés par ce dernier : Bonaparte aida à soulever un malade mort. L’acte devient héroïque lorsque le graveur le représente touchant un pestiféré dans un geste symbolique. La bravoure du chef des armées, son devoir de ne reculer devant rien, pas même devant la maladie, seront retenus par Napoléon lui-même pour illustrer l’un des épisodes les plus marquants de son règne ; l’anecdote entrera alors dans la légende.
Cette gravure fait partie d’une série produite par l’imagerie Pellerin[1] sur le thème de l’épopée napoléonienne, des grandes batailles à l’apothéose de l’Empereur. La firme a vu le jour sous l’Empire. Aux côtés de thèmes religieux et traditionnels, les hauts faits de Napoléon et de son armée vont alimenter pendant longtemps l’imaginaire des Français, bien après son règne. Jean Charles Pellerin et Antoine Réveillé, ancien soldat de l’armée impériale, seront les initiateurs de cette production inspirée, selon la légende spinalienne, des souvenirs de campagnes de ce dernier.
Leurs modèles étaient parfois inspirés de tableaux célèbres. Ici, il semble que ce soit la toile d’Antoine Gros Les Pestiférés de Jaffa. Présentée à quelques mois du sacre de l’Empereur, elle fut réalisée sur sa demande pour assurer sa stratégie de propagande et pour consolider et légitimer son pouvoir. La gravure assurera sa célébrité.
Bien que simplifiée, la composition générale de l’estampe est semblable, ce qui souligne le geste symbolique de Bonaparte. Cependant, la position du corps à moitié dénudé du pestiféré n’est pas celle du tableau mais plutôt celle, stéréotypée, de la mort du héros telle que l’a fixée Jacques Louis David. A la veille de la Révolution, il prend modèle à plusieurs reprises sur Hector dans La Douleur d’Andromaque, pour représenter le corps de Le Peletier de Saint-Fargeau ou pour magnifier la mort de Marat. Le corps nu à demi couché, drapé à l’antique, la composition en bas-relief rendant les personnages particulièrement visibles et le système d’arcatures fermant le fond de l’espace comme sur une scène de théâtre sont autant d’éléments néoclassiques que l’on retrouve à Epinal un demi-siècle plus tard. La pérennité du style imposé par le premier peintre de l’Empereur correspond à la légende napoléonienne telle qu’elle est également narrée dans l’imagerie populaire à travers des codes visuels qui lui sont propres. Ces codes permettent de servir un idéal reçu, attendu et compris par le plus grand nombre.
Le geste symbolique de Napoléon nourrit sa légende grâce à la diffusion de l’image et à sa force expressive. Cette dernière a contribué à cristalliser dans l’inconscient collectif le dessein politique impérial. Alors qu’elle était autrefois l’apanage des rois thaumaturges, l’Empereur s’est approprié une iconographie monarchique qui va au-delà du caractère héroïque pour prendre des accents pseudo-religieux.
Le culte à sa mémoire se développera plus tard, ravivé au moment du retour des cendres en 1840. Cette image d’Epinal témoigne du rôle prépondérant que joua la fabrique Pellerin dans la diffusion des idéaux bonapartistes à cette époque. Alfred de Musset dans La Confession d’un enfant du siècle témoigne de la ferveur de la génération romantique pour l’Empereur : “ Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré. ”
Marc BLOCH Rois thaumaturges : étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre Paris, Gallimard, rééd.1987.Jules DESCHAMPS Sur la légende de Napoléon Paris, Librairie ancienne Honoré Champion, 1931.Catalogue de l’exposition Triomphe et Mort du Héros.La peinture d’histoire en Europe de Rubens à Manet Wallraf-Richartz Museum, Musée des Beaux-Arts, Lyon, 19 mai-17 juillet 1988, Lyon, Electra-Musée des Beaux-Arts, 1988.Nicole GARNIER L’Imagerie populaire française tome II, “ L’image d’Epinal gravée sur bois ”, RMN, Paris, 1996.Jean LUCAS-DUBRETON Le Culte de Napoléon. 1815-1848 Paris, Albin Michel, 1960.Annie JOURDAN Napoléon, héros, imperator, mécène Paris, Aubier, 1998.Denis MARTIN Images d’Epinal, Musée du Québec Paris-Québec, RMN, 1995.Jean TULARD (dir.) Dictionnaire Napoléon Paris, Fayard, 1989, nouv. éd.1999.Jean TULARD Napoléon ou le Mythe du sauveur Paris, Fayard, 1977, nouv. éd. 1993.
La fabrique PELLERIN à Epinal Entre 1822 et 1854, Nicolas Pellerin et Pierre-Germain Vadet exploitent l'imagerie Pellerin fondée à Epinal un siècle plus tôt et rendue prospère par Jean-Charles Pellerin (1756-1836), père de Nicolas et beau-père de Pierre-Germain. Pellerin et Vadet vont développer l'imagerie et diffuser sa production à l'étranger dans les années 1830. Vadet, ancien soldat de l'Empire, contribue à la diffusion des images liées au culte de Napoléon Ier et créées par François Georgin. De son côté, Nicolas Pellerin élargit la production et modernise la fabrique. Il engage alors une centaine d'ouvriers et des jeunes graveurs dont Jean-Baptiste Thiébault. Entre tradition et modernité, le deuxième quart du XIXe siècle est une période de transition pour l'imagerie spinalienne, qui marque à la fois une volonté de poursuivre une production qui a déjà fait ses preuves tant dans ses thèmes que dans la technique du bois gravé et la nécessité d'élargir cette production à de nouveaux sujets, traités selon des procédés permettant l'augmentation des tirages comme la stéréotypie et la lithographie.
THIEBAULT Jean-Baptiste (Nancy, 1809-Metz, 1839) Le séjour de cet artiste nancéien à Epinal fut bref. Surtout historiques, ses gravures, souvent reprises des dessins de François Georgin, son prédécesseur, ont été produites entre 1834 et 1835, son activité se poursuivant ensuite à Metz chez Dembour. Il mourut brusquement à l'âge de 30 ans. Cependant, au-delà de sa période de création spinalienne, ses bois gravés continuèrent à être édités et diffusés par la Fabrique Pellerin jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Nathalie JANES, « Bonaparte touchant les pestiférés », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 08/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bonaparte-touchant-pestiferes
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