Le Complot juif contre l'Europe !
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Paris)
site web
Date de création : 1942
H. : 110,4 cm
L. : 80,5 cm
affiche de propagande
Domaine : Affiches
© MAHJ
Le complot juif contre l’Europe
Date de publication : Septembre 2016
Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE
Le tournant de 1942
Cette affiche de propagande nazie peut être datée de 1942. En effet, le pacte de non-agression germano-soviétique a été rompu par l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht à l’été 1941 sous le nom d’opération Barbarossa. L’ensemble de la Pologne est passé sous le joug hitlérien. Les Balkans sont également tombés aux mains du IIIe Reich. Quant à la Grande-Bretagne, sortie victorieuse de la bataille d’Angleterre en 1940 mais affaiblie, elle résiste toujours. Hitler ayant pour l’heure renoncé à débarquer Outre-Manche, il reporte ses objectifs sur une conquête rapide de l’Union soviétique et des territoires qu’elle contrôle. Pour ce faire, il a besoin de mobiliser les ressources de l’ensemble de l’Europe occupée.
Les ennemis sont désormais clairement identifiés : il s’agit de l’alliance entre le pouvoir de l’argent anglo-saxon – ici de la City londonienne et de ses banques internationales – et l’internationale communiste. Cette alliance pourrait sembler contre nature. Mais ça n’est qu’une apparence car ce sont les juifs, présents aussi bien dans les banques anglaises – les Rothschild sont directement visés par la propagande nazie et antisémite européenne – que dans la révolution bolchevique à travers notamment la figure de Léon Trotski, qui a pourtant été assassiné sur ordre de Staline en 1940, qui tirent les ficelles de la conspiration mondiale. L’ordre nouveau hitlérien se pose en défenseur de l’Europe contre cette menace présentée comme mortelle. Du « péril juif » contre la race aryenne, on passe ainsi au « complot juif » contre l’Europe. Il faut donc selon les dirigeants nazis profiter de la conquête de l’Europe pour éradiquer la menace juive intérieure par la solution finale – c’est-à-dire l’extermination systématique décidée à la conférence de Wannsee en janvier 1942– écraser l’Union Soviétique, avant de se retourner contre l’Angleterre et la contraindre à la paix.
Cette affiche participe d’un ensemble de productions iconographiques de propagande visant à favoriser le recrutement, notamment dans les Waffen SS, de soldats étrangers qui iront combattre le bolchevisme sur le front de l’Est. C’est pour cette raison qu’elle est traduite en différentes langues et diffusée dans toute l’Europe occupée.
Un pacte diabolique
Au centre de l’affiche, on remarque la caricature d’un vieux juif qui contraste fortement par l’utilisation du noir et blanc avec le caractère très coloré du reste de l’affiche. Elle semble tout droit tirée du film Le juif Süss que la propagande nazie diffuse alors en Allemagne et dans toute l’Europe occupée, à grand renfort d’affiches et d’expositions. L’utilisation des stéréotypes habituels du juif selon la propagande nazie (cheveux ondulés, nez crochu), stigmatise l’ennemi intérieur sous les auspices duquel les ennemis de l’extérieur ont scellé leur alliance diabolique.
De part et d’autre de l’Europe, deux autres ennemis de l’Europe allemande se serrent en effet la main. Le premier, dont le ventre rebondi est frappé aux couleurs de l’Union Jack, n’est autre que John Bull, qui personnifie traditionnellement l’Angleterre. Le second est un bolchevique reconnaissable à son uniforme et à son étoile rouge. Dessiné comme dans les caricatures des années 20, il doit être immédiatement reconnu par le public. En effet, à part la mention du complot juif, aucune identification explicite n’apparaît sur l’affiche. C’est à l’observateur d’identifier lui-même les comploteurs. La tâche lui est cependant facilitée. Leurs Etats respectifs : Grande-Bretagne et Union Soviétique sont en effet bien identifiés et représentés par la même couleur, le rouge sang. Par ailleurs, si John Bull n’a pas le cigare de Churchill mais sa pipe habituelle, il a son embonpoint. Quant au communiste, il ressemble clairement à Staline. Ils encerclent l’Europe que les juifs ont infiltrée de l’intérieur. Le slogan est révélateur. Ce n’est pas l’Allemagne nazie qui est visée, elle ne se distingue d’ailleurs pas graphiquement du reste de l’Europe sur l’affiche, ce qui doit retenir l’attention. C’est bien toute l’Europe qui est menacée. Le point d’exclamation final appelle à sa mobilisation.
Unis contre le péril bolchevique et la ploutocratie internationale
Cette affiche s’inscrit parfaitement dans la défense et illustration de la thèse soutenue alors par la propagande nazie selon laquelle l’Europe occupée n’est pas passée sous le joug allemand mais bien au contraire qu’elle a été libérée de ses ennemis de l’intérieur – ici le juif – et protégée de ses ennemis de l’extérieur – finance internationale anglo-saxonne et communisme soviétique par la « forteresse Europe ».
Dans ces conditions, il est légitime d’une part que les Etats occupés collaborent avec l’Allemagne et d’autre part que les populations fournissent à la fois des réquisitions toujours plus élevées pour alimenter la machine de guerre du IIIe Reich et surtout des hommes. C’est le principe du « ils [les soldats allemands] donnent leur sang, donnez votre travail pour sauver l’Europe du bolchevisme ». Lorsque les départs volontaires ne suffiront pas, le travail forcé prendra le relais dans le cadre du Service du Travail Obligatoire. Mais il y a une autre dimension sous-jacente à l’affiche. Au centre, l’Europe est présentée avec un code couleur uniforme. Il ne s’agit pas d’une Europe allemande, mais d’une Europe qui doit s’unir contre la double menace extérieure et intérieure.
AFOUMADO Diane, L’affiche antisémite en France sous l’Occupation, Paris, Berg International Éditeurs, 2008.
HERF Jeffrey, L’ennemi juif : la propagande nazie (1939-1945), Paris, Calmann-Lévy, coll. « Mémorial de la Shoah », 2011.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « Le complot juif contre l’Europe », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/complot-juif-contre-europe
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