"Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l'Europe"
"Ceux qui voudraient imposer leur loi à l'Europe"
"Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l'Europe"
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : Automne 1943
H. : 60 cm
L. : 85 cm
Éditeur : ORAF, Office de répartition de l’Affichage
Domaine : Affiches
Domaine Public © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF30338-26
Le Reich contre-attaque
Date de publication : Juin 2023
Auteur : Alexandre SUMPF
Sur la défensive
Quand les Français découvrent sur les murs de leurs villes Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l’Europe, les plus âgés ont l’impression de revenir presque 25 ans en arrière. Bien sûr, la Légion des Volontaires français (1) précise bien qu’elle se bat « contre le bolchevisme », mais cette affiche fleure bon l’année 1919 avec son fameux bolchevik tenant son couteau entre les dents. Le changement de ton, en cette année 1943, est évident. D’une part, depuis le 11 novembre 1942, l’occupant a mis fin à la fiction d’une zone libre et d’un État français indépendant en envahissant la zone sud libre. À l’autre extrémité de l’Europe soumise au joug nazi, la Wehrmacht a subi sa première défaite d’ampleur à Stalingrad, le 2 février 1943 (2). L’échec de la réduction du saillant de Koursk (3), à l’été 1943, pousse Joseph Goebbels à déclarer la « guerre totale ». À Paris, l’Office de répartition de l’Affichage (O.R.A.F.F., créé par les Allemands en 1941) lance une campagne de propagande qui agite le spectre de ces barbares venus de l’Est, dans une typologie effrayante de Ceux qui voudraient imposer leur loi à l’EUROPE.
À feu et à sang
Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l’Europe brosse le tableau effrayant d’un continent entièrement repeint en rouge, couleur du communisme et du sang. De Londres, avec son Parlement et son aristocratie, à la Turquie où l’on incendie les mosquées, onze personnages de bolchevik en uniforme de la guerre civile russe (1918-1921) mettent douze lieux emblématiques à feu et à sang. Les religions sont attaquées : à Rome, le Vatican brûle, le pape est pendu avec un prêtre ; en Grèce, un pope est abattu et les biens de l’Église pillés, comme à Moscou ; Sainte-Sophie brûle à Istanbul comme Notre-Dame à Paris. Nulle part, ces soldats n’affrontent des ennemis armés : à Paris, ils violent une femme élégante ; en Espagne, ils battent à coup de crosse de fusil une paysanne ; en Allemagne même, ils fouettent une mère devant sa fille qui pleure son père abattu ; au Caucase, ils coupent des mains ; en Asie centrale, ils massacrent des enfants en les frappant l’un contre l’autre ; enfin, à la frontière entre Pologne et Russie, c’est-à-dire à Katyn (4), ils exécutent d’une balle dans la nuque des prisonniers de guerre. Cette sauvagerie sans visage, uniforme, est pourtant perpétrée par des hommes de chair et de sang.
Sur fond rouge, Ceux qui voudraient imposer leur loi à l’EUROPE présente en gros plan les faciès de ces barbares mettant en danger toute la civilisation européenne. Ces photographies, explique la légende, sont celles de criminels détenus par les autorités allemandes en Ukraine soviétique occupée. À gauche, le « mouchard » aux yeux chassieux et a l’air sale arbore un profil typique pour le Juif dans la propagande nazie : la barbe longue et le nez busqué. Au centre, légèrement en avant des trois autres, le « commissaire » coiffé de la casquette à l’étoile rouge fixe le spectateur, son visage buriné, mal rasé et sa mise débraillée contrastent avec l’image du soldat allemand que tout le monde a en tête alors. À droite, le « bourreau » et « l’aide du bourreau », plus jeune, respirent la violence obtuse. En salopette, la poitrine nue, ils représentent le pire du prolétariat.
Miroir, dis-moi qui est le plus violent
En 1943, les Français (surtout au nord de la Loire) ont maintenant l’habitude des méthodes nazies de propagande. Ils ne s’étonnent plus de cette manière singulière de filmer et de photographier les visages de près, dans une sorte de phrénologie visuelle qui cherche à impressionner et à inquiéter. Même les plus ardents antinazis comparent mentalement cette galerie de monstres aux images d’Allemands disciplinés, bien sanglés dans leur uniforme, puissants qui pullulent en France depuis 1940. Cependant, ce public connaît le vrai visage de l’occupant et sait que les communistes forment l’un des groupes les plus importants de la Résistance intérieure. S’inquiéter de la violence terroriste que les militants du P.C.F. font régner n’empêche pas d’admirer leur sacrifice et de lire leur contre-propagande. Les plus au fait du cours réel des événements, ceux qui ont noté que les actualités filmées n’osent plus parler de victoires et de conquêtes, ceux qui veulent bien voir ce qui se passe ont toutes les chances de lire Voilà ce que le bolchevisme apporterait à l’EUROPE dans le sens inverse à celui proposé. Cette image, placée aussi en frontispice d’une brochure détaillée de huit pages, révèle en miroir les brutalités nazies en Europe : pendaisons, assassinats, terreur et pillages (des biens Juifs et des œuvres d’art), qui sont la règle sur le front Est, commencent à se multiplier en France, parfois avec l’aide de la Milice française.
Pierre Bourget, Charles Lacretelle, Sur les murs de Paris et de France, 1939-1945, Hachette, Paris, 1980.
Cécile Desprairies, Sous l’œil de l’occupant. La France vue par l’Allemagne, 1940-1944, Armand Colin, Paris, 2010.
Bénédicte Vergez-Chaignon, Les Français dans la guerre. Archives du quotidien, 1939-1945, Paris, Flammarion, 2022.
1 - Légion des Volontaires français : la Légion des volontaires français contre le Bolchevisme est créée le 6 juillet 1941 à la suite du déclenchement de l'opération Barborossa. 6 000 Français vont combattre sous uniforme allemand dans cette organisation, notamment en URSS.
2 - Bataille de Stalingrad : commencée à l'été 1942, la bataille de Stalingrad (actuelle Volgograd) se termine le 2 février 1943 après l'encerclement de l'armée allemande de Paulus par les Soviétiques. Il s'agit d'une des batailles les plus stratégiques et symboliques de la seconde guerre mondiale.
3 - Bataille de Koursk : suite à la défaite de Stalingrad et au recul de l'armée allemande sur le front russe, Hitler lance une nouvelle offensive le 5 juillet 1943 près de Koursk. 6 000 chars blindés sont engagés et près de 4 000 avions. Les Allemands se heurtent à une défense soviétique qui les met en échec le 23 août 1943.
4 - Massacre de Katyn : le pacte de non-agression signé entre l'URSS et l'Allemagne du IIIe Reich le 23 août 1939 partage également la Pologne entre les deux puissances. L'URSS l'envahit en septembre 1939. Staline donne l'ordre en mars 1940 à la police politique d'exécuter plus de 4 000 officiers polonais à Katyn. Les corps sont découverts en 1943 par la Werhmacht qui accuse les Soviétiques de ce massacre. Ce que réfute Staline. Il faudra attendre 1990 pour que Mikhaïl Gorbatchev reconnaisse la responsabilité de l'Union soviétique dans cette élimination de masse.
Phrénologie : Théorie défendue par l'Allemand F. J. Gall au XIXe siècle, la phrénologie soutient que les instincts, les aptitudes intellectuelles et toutes les fonctions mentales...sont visibles par la forme et les caractéristiques du crâne humain du fait que chaque fonction est localisée dans le cerveau.
O.R.A.F.F. :
Alexandre SUMPF, « Le Reich contre-attaque », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/reich-contre-attaque
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