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La Rencontre dit aussi Bonjour Monsieur Courbet

La Rencontre dit aussi Bonjour Monsieur Courbet

Auteur : COURBET Gustave

Lieu de conservation : musée Fabre (Montpellier)
site web

Date de création : 1854

H. : 132 cm

L. : 150,5 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

Domaine Public © CC0 Musée Fabre

Lien vers l'image

Inv. 868.1.23

  • La Rencontre dit aussi Bonjour Monsieur Courbet

Courbet, le colporteur du réalisme

Date de publication : Janvier 2023

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

La rencontre de Gustave Courbet avec la reconnaissance

Le début des années 1850 marque, pour Gustave Courbet, celui de sa reconnaissance. Celle-ci ne va pourtant pas sans difficultés. Jusqu’à un certain point, le retour d’un régime républicain en France en 1848 s’était avéré favorable à la réception de ses peintures réalistes aux thématiques sociales, comme Les Casseurs de pierre (1849) ou Un enterrement à Ornans (1850). Le Second Empire se montre à l’égard de son œuvre comme de sa personnalité d’emblée beaucoup plus circonspect, et bientôt hostile. Lors de leur présentation au Salon de 1853, Napoléon III lui-même exprima ostensiblement sa réprobation des Baigneuses (1853), pour lequel s’enthousiasme en revanche un amateur montpelliérain, le banquier Alfred Bruyas, qui en fit alors l’acquisition. Rapidement, Bruyas devient le principal mécène français du peintre, qui ne peut compter sur le soutien des institutions artistiques de la capitale. Gustave Courbet est sans doute l’un des premiers artistes d’envergure à revendiquer ouvertement ses origines provinciales, en l’occurrence franc-comtoises, aussi bien dans sa vie personnelle qu’à travers ses œuvres, et le fait que, géographiquement, Bruyas se trouve lui aussi à l’écart du monde de l’art parisien renforce certainement l’amitié et l’estime réciproque qui lient peu à peu les deux hommes. La Rencontre, dit aussi Bonjour Monsieur Courbet, en constitue en quelque sorte la manifestation artistique la plus évidente. La décision que prend Bruyas en 1868 de l’offrir au musée des beaux-arts de sa ville natale, ainsi qu’une demi-douzaine d’autres peintures de Courbet, parmi lesquelles les Baigneuses et un portrait en buste de lui par Courbet, affirme publiquement le rôle de mécène épris de modernité qu’il s’était donné. Commandée par son mécène pour commémorer leur rencontre aux abords de Montpellier en 1854, Bonjour Monsieur Courbet n’en représente pas moins deux parties égales, sans lien de subordination apparent entre le commanditaire et le peintre, ce dernier tendant même à prendre l’ascendant sur le premier.

Portrait de l’artiste au mécène

Une bizarrerie dans la composition de ce triple portrait en pied souligne l’égalité que Courbet y revendique : bien qu’il se tienne un peu plus bas que le valet et son maître, le peintre a placé sa tête exactement à la même hauteur que celle de son mécène. En outre, si chacun des trois protagonistes se découvre, le salut du geste de l’artiste est plus ambigu que chez Bruyas, et il n’apparaît en rien aussi déférent que celui du serviteur qui baisse la tête dans l’ombre. La disproportion des figures, qui se résout en faveur de la haute taille de Courbet, participe ainsi d’une égalisation des conditions sociales dont les différences se réduisent aux accessoires. À la délicatesse des cannes des messieurs de la ville, le peintre oppose la vigueur de son bâton de marche, comme l’aisance de sa tenue en bras de chemise tranche avec l’élégance de leurs habits à eux. Une quatrième figure, celle du chien, atténue le contraste trop accentué qui pourrait résulter de cette répartition en y introduisant l’emblème de la fidélité sans faille dont fit montre Bruyas à l’endroit de son protégé.

La clarté qui se dégage de l’ensemble est en grande partie redevable, d’une part, au paysage dégagé dont l’horizon coupe les personnages à mi-figure dans lequel Courbet a choisi de placer cette rencontre, sur un petit promontoire de terre battue, et, d’autre part, à la lumière naturelle zénithale qui, en provenant de la gauche, découpe le profil du peintre, agrandit son ombre, et donne à son apparition une tonalité à la fois épiphanique et naturelle. Autant d’éléments qui confèrent à La Rencontre la simplicité d’une image populaire et, simultanément, la valeur d’un manifeste artistique.

Portrait de l’artiste en colporteur du réalisme

L’historien de l’art britannique Timothy J. Clark a suggéré un rapprochement a priori inattendu au sujet de La Rencontre. Il avance en effet que Courbet s’est inspiré d’un détail d’une gravure populaire réalisée en 1831 par un certain Pierre Leloup représentant Ahasvérus, le type du Juif errant. Dans la partie inférieure gauche de l’estampe, une rencontre très proche de celle qu’a représentée Courbet est ici légendée : « Les Bourgeois de la Ville parlant au Juif errant ». De cette reprise implicite, Clark tire deux interprétations. La première, d’ordre artistique, est que Courbet « a saisi ce qui fait l’essence de l’art populaire : la faculté qu’a celui-ci de présenter le plus clairement possible […] les traits principaux d’une situation sociale ou d’un rite ». La seconde, plus sociologique justement, en déduit que Courbet a réalisé là un « portrait de l’artiste en étranger sans attaches ».

Les deux interprétations sont évidemment complémentaires, et elles acquièrent de surcroît un sens politique lorsque l’on sait que les colporteurs, en tant que nomades et comme pourvoyeurs d’images potentiellement subversives, faisaient l’objet d’une surveillance particulière en France depuis le milieu du XIXe siècle. Nul doute que Courbet ait pu s’identifier à plus d’un titre à cette figure qui attirait sur elle aussi bien l’intérêt commercial que la méfiance politique. D’abord parce qu’en tant que caractère populaire, le colporteur pouvait « en remontrer au bourgeois » ; ensuite parce tout en étant attaché à la terre, à la campagne, il ne cessait, comme Courbet sa vie durant, de « vaguer », de se déplacer ; enfin, parce que l’une des ambitions les plus affirmées de l’artiste fut de faire pénétrer l’imagerie populaire dans la grande peinture. Sans doute est-ce pour cela que, lorsqu’il fait construire un an plus tard, en marge de l’exposition universelle de 1855 à Paris, son « Pavillon du réalisme », Courbet expose La Rencontre aux côtés, entre autres, de son chef-d’œuvre manifeste, L’Atelier du peintre Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale) (1855, musée d’Orsay).

La figure du colporteur correspondait à la volonté de Courbet d’apparaître comme l’ardent défenseur du réalisme en butte au rejet tout autant esthétique que politique de l’académisme triomphant du Second Empire. Dans ce contexte, sans rien abdiquer de l’éminente position sociale que l’artiste se devait d’occuper selon Courbet, La Rencontre laissait toutefois entrevoir la possibilité d’une alliance entre les secteurs les plus éclairés de la société de l’époque.

Françoise CACHIN (dir.), Méditerranée. De Courbet à Matisse, Paris, Réunion des musées nationaux, 2000.

Timothy J. CLARK, Une image du peuple. Gustave Courbet et la révolution de 1848 [1973], Dijon, Les presses du réel, 2007.

Laurence DES CARS, Dominique DE FONT-REAULX (dir.), Gustave Courbet, Paris, Réunion des musées nationaux, 2007.

Michael FRIED, Le Réalisme de Courbet. Esthétique et origines de la peinture moderne, II [1990], Paris, Gallimard, 1993.

Charles ROSEN, Henri ZERNER, Romantisme et réalisme. Mythes de l’art du XIXe siècle [1984], Paris, Albin Michel, 1986.

Réalisme : Courant artistique du XIXe siècle qui privilégie une représentation non idéalisée de sujets inspirés du monde réel. Le peintre Gustave Courbet en est la figure de proue, et son tableau 'Un enterrement à Ornans', exposé en 1855, le premier manifeste.

Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.

Paul BERNARD-NOURAUD, « Courbet, le colporteur du réalisme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/courbet-colporteur-realisme

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