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"La jeunesse allemande... La jeunesse soviétique"

Date de création : 1941-1944

H. : 85 cm

L. : 122 cm

Domaine : Affiches

Domaine Public © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre

Lien vers l'image

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Enfants de la patrie

Date de publication : Juin 2023

Auteur : Alexandre SUMPF

Merci pour notre enfance heureuse !

Lorsque les soldats de Hitler envahissent l’Union soviétique, le 22 juin 1941 (1), se font face deux empires aux populations gonflées des conquêtes de 1939. Le vivier démographique de l’Allemagne nazie se monte, juste avant-guerre, à 22 millions de jeunes de moins de 20 ans (un tiers de la population) ; celui de l’U.R.S.S. de Staline apparaît plus important, avec 44,5 % des 190 millions de citoyens au recensement de 1939. Dans la France occupée où le baby-boom (2) se manifeste dès 1941, l’affiche La jeunesse allemande. La jeunesse soviétique porte sur le terrain des futures générations le combat où s’entretuent leurs pères. Comme (trop) souvent avec la propagande allemande en France, il est difficile de savoir qui a réalisé ce diptyque, à quelle occasion, et où on a pu le voir. L’image propose une comparaison manichéenne (3) dans le droit fil de la conception nazie d’une lutte à mort entre la civilisation et la barbarie. Elle s’inscrit plus largement dans le projet totalitaire – commun aux deux puissances en lutte – d’embrigadement total des enfants, censés jouir d’une relation directe, car idéologique, avec le Guide.

Le péril jeune

Le combat est alléchant ! À gauche, six charmants bambins germains ; à droite, deux spectres tout à fait dignes de celui qui hante l’Europe depuis 1848 – selon l’expression de Marx et Engels au tout début du Manifeste du parti communiste. De format horizontal pour faciliter la comparaison, La jeunesse allemande. La jeunesse soviétique permet au public de jouer au jeu des différences.

Les Allemands sont uniformément blonds, ils ont la peau rose, les joues rebondies, des coiffures dans le vent pour les trois garçons et étudiées pour leurs trois petites camarades. Les garçons avancent d’un pas décidé – qui en sandale, qui en chaussures, mais tous en traditionnelle culotte de peau bavaroise – et même avec un petit air martial. Les filles, en retrait, sourient timidement en baissant les yeux comme il sied à une enfant bien élevée. Le groupe descend d’un escalier, cartable au dos : c’est la sortie de l’école.

À droite, rien ne va plus. Le nuage rouge qui sert de fond au titre de cette partie de l’image connote l’incendie et le communisme, également ravageurs. Les deux enfants se tiennent dos au mur, dans la rue. Ils sont d’un âge et d’un sexe indéterminé, la colorisation du cliché original a fait virer au jaune maladif le peu de peau apparente. Ils ne portent pas de costume national, sauf à affirmer que les haillons sont l’uniforme de rigueur pour un enfant soviétique. Le désordre de leur mise contraste au maximum avec la rigueur élégante de leurs « adversaires » allemands. Ils cachent leurs cheveux sous des casquettes, sans doute parce qu’ils sont rasés et pleins de poux. Ils ont froid, ont l’air d’avoir faim, fixent le vide de leurs yeux sans vie. On imagine que les quatre camarades qui auraient dû figurer pour parfaire la symétrie sont morts, ou en camp, ou en train de voler.

No Future

Le public français a rarement eu l’occasion avant-guerre, et moins encore depuis 1939, de contempler de visu un enfant allemand ou soviétique. Depuis 1941, il doit se contenter des images livrées par les propagandistes nazis, lassantes à force d’insister sur la prospérité allemande – chacun perçoit qu’elle dérive en partie des réquisitions d’ampleur en France et ailleurs – et sur l’arriération soviétique. Si des parents en quête de quoi nourrir leurs enfants s’arrêtent un instant devant l’affiche, ils doivent sans doute se demander où situer les enfants de France – tant gâtés par le Maréchal Pétain, il est vrai. La guerre civile espagnole et les petites victimes des bombes ont appris aux civils que leurs enfants ne sont pas à l’abri, les Parisiens ont vu des Juifs parfois âgés de quelques mois raflés les 16-17 juillet 1942. Hormis les plus fanatiques anticommunistes, il y a fort à parier que les Français éprouvent en réalité une forme de répulsion pour les six petits profiteurs de guerre (malgré eux) et de la pitié, voire de la sympathie, pour les deux Soviétiques errants. Les premiers sont les futurs occupants du pays, les autres paraissent trop désemparés pour effrayer quiconque. Repus ou émaciés, scolarisés ou abandonnés, en vérité, ces enfants sont des victimes directes ou indirectes de la guerre totale.

Pierre Bourget, Charles Lacretelle, Sur les murs de Paris et de France, 1939-1945, Hachette, Paris, 1980.

Cécile Desprairies, Sous l’œil de l’occupant. La France vue par l’Allemagne, 1940- 1944, Armand Colin, Paris, 2010.

Laura Hobson-Faure, Manon Pignot, Antoine Rivière (dir.), Enfants en guerre, « sans famille » dans les conflits du XXe siècle, CNRS Éditions, Paris, 2023.

1 - Opération Barbarossa : le 22 juin 1941, sur ordre d'Hitler, l'armée allemande envahit le territoire de l'Union Soviétique, rompant ainsi l'alliance de non-agression signé le 23 août 1939 entre l'Allemagne hitlérienne et l'U.R.S.S..

2- Baby-boom : augmentation rapide et exceptionnelle des naissances sur une période donnée.

3 - Manichéisme : doctrine religieuse ancienne. Par extension, le manichéisme est une forme de pensée sans nuance qui divise le monde, les êtres... en deux entre le bien et le mal.

Photomontage : Collage et/ou assemblage de plusieurs ou de parties choisies de photographies afin de créer une nouvelle image.

Diptyque : Objet constitué de deux volets le plus souvent reliés par une charnière. Par extension, le terme s’applique à deux œuvres réalisées en pendants.

Alexandre SUMPF, « Enfants de la patrie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/enfants-patrie

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