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L'Homme qui marche

L'Homme qui marche

Auteur : RODIN Auguste

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1905

H. : 213 cm

L. : 161 cm

Praticien : Henri-Victor-Gustave Lebossé

Fondeur :  Alexis et Eugène Rudier

Pr. 72 cm -  Pds :  400 kg

Bronze

Domaine : Sculptures

© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

RF 4094 - 95-004333

  • L'Homme qui marche

L'homme qui marche

Date de publication : Février 2023

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

Un homme qui marche à la fin du siècle

L’exposition universelle qui ouvre ses portes en grandes pompes à Paris au printemps 1900 se présente au reste du monde comme le « Bilan d’un siècle ». C’est l’occasion pour le sculpteur Auguste Rodin, âgé de soixante ans et comblé d’honneurs, de présenter au public français et étranger son propre bilan artistique. Dans le sillage de Gustave Courbet, qui avait édifié son  Pavillon du réalisme lors de l’exposition universelle de 1855, initiative qu’il reprit en 1867 avec son Exposition Courbet , Rodin fait construire, en 1900, son propre pavillon, à ses frais et sur un emplacement proche de la Place de l’Alma où le peintre réaliste avait bâti les siens. Quoiqu’animé d’un esprit moins frondeur que son prédécesseur, mais tout aussi indépendant, Rodin n’entend pas limiter la rétrospective qu’il organise aux seules œuvres qui ont fait son succès. Outre les figures issues de ce que Rainer Maria Rilke (1) a nommé sa carrière d’idées, la Porte de l’Enfer  sur laquelle Rodin travaille depuis 1880 et qui ne sera fondue qu’après sa mort, l’artiste expose une pièce d’un genre nouveau, qu’il fait pénétrer dans le siècle qui s’ouvre sans tête ni bras : L’Homme qui marche.

Un homme en mouvement

L’aspect autant que la silhouette de cette figure tronquée déconcertent les visiteurs. Sa surface elle-même paraît inachevée, à la manière de certaines statues de Michel-Ange comme les deux esclaves (vers 1513-1515) que conserve le musée du Louvre depuis la fin du XVIIIe siècle. Une comparaison avec ces marbres que renforce probablement le fait que Rodin, lors de l’exposition universelle, présente la version en plâtre de ce bronze fondu cinq ans plus tard. Cependant, là où l’inachèvement des statues de Michel-Ange est dû aux circonstances historiques davantage qu’à la seule volonté de l’artiste, celle de Rodin était destinée à être exposée en l’état, et le bronze édité ultérieurement ne modifie pas sur ce point le plâtre original. Le torse, en particulier, conserve les marques superficielles d’une pièce accidentée en terre cuite sur laquelle Rodin avait travaillé une dizaine d’années avant qu’il ne la réemploie pour L’Homme qui marche, ce qui explique la sensation que sa peau paraisse effectivement abîmée par endroits.

Le fini de l’exécution, qui confère traditionnellement à une sculpture cette souplesse  analogue à celle de la peau et que l’on désigne traditionnellement par le terme italien de morbidezza, cet effet que des générations de sculpteurs ont recherché afin d’obtenir la preuve de leur virtuosité, Rodin, lui, le néglige. Non qu’il abandonne la morbidezza en tant que telle, mais il la transforme et l’investit d’un sens nouveau, celui d’une « vie contenue », vouée à remplacer l’illusion de vie qui avait fait les beaux jours de la statuaire néoclassique. Le même torse, pourtant, entretient encore quelque correspondance avec l’un des prototypes antiques les plus célèbres de l’histoire de l’art, le Torse du Belvédère (Ier siècle avant notre ère, découvert vers 1432), que des générations d’artistes ont copié lorsqu’ils se rendaient dans les musées du Vatican. Mais en greffant ce torse sur deux jambes puissantes plantées à la manière d’un compas dans leur socle comme dans un sol meuble au lieu d’un piédestal, Rodin coupe le fil qui le reliait encore à l’Antiquité. Ces jambes proviennent d’ailleurs du Saint Jean-Baptiste par lequel Rodin, dès 1878, rompit définitivement avec l’académisme tout en reconduisant là aussi le type du nu masculin qu’on désignait précisément du nom d’« académie ». L’Homme qui marche est par conséquent le résultat d’un processus d’assemblage que Rodin ne cherche pas à dissimuler, mais qu’il entreprend au contraire à cette période de systématiser. Ce que la statue perd en homogénéité du point de vue de la forme, elle la gagne cependant sur le plan du mouvement, qui s’avère être devenu, au fil du temps, la grande préoccupation de l’artiste. Mouvements de la matière et de la figure, que plus rien ne vient distraire, ni l’expression d’une tête ni les gestes des bras. Bien que le pas de L’Homme qui marche soit improbable d’un point de vue physiologique, Rodin dote sa figure d’un élan jusqu’alors sans équivalent dans l’histoire de la statuaire européenne.

Un homme qui marche dans le siècle à venir

À certains égards, la technique fragmentaire dont use Rodin et le principe d’assemblage qui en découle anticipent certaines expérimentations auxquelles s’adonneront les mouvements d’avant-gardes qui se développent une dizaine d’années plus tard, comme le cubisme et le dadaïsme, chez lesquels ils s’apparenteraient au procédé du montage. Cette tendance peut être interprétée comme l’indice d’une vision elle-même fragmentée de la réalité sur laquelle l’œuvre d’art ne vient plus apposer le sceau de l’harmonie, mais où elle s’expose elle-même dans un état d’indétermination qui l’ouvre au réel. En ce sens, L’Homme qui marche, avec « cette allure d’enjamber les siècles », comme l’écrit le peintre Henri Dujardin-Beaumetz qui fut proche du sculpteur, reflète à la fois les espoirs et les inquiétudes d’une époque de transition. L’art de Rodin peut difficilement être interprété selon un rapport direct ou univoque à l’histoire. Au même titre que Le Penseur (1880), dont il constituerait en quelque sorte le pôle opposé, non pas mélancolique mais entreprenant, L’Homme qui marche offre pourtant une image saisissante de l’homme dans son temps : à la fois puissant et fragile, encore empreint de classicisme et déjà pénétré par la modernité. Une image comparable en ce sens à celle qu’offre, quelques décennies plus tard,  L’Homme qui marche que conçut Alberto Giacometti en 1947 en hommage au modèle rodinien qu’il copia, et qui produit à son tour l’image d’un homme s’engageant dans le second XXe siècle, chargé de tous les bouleversements qui venaient de transformer en profondeur l’image de l’homme.

L'installation de L'Homme qui marche en plâtre, une vidéo du Musée des beaux-arts de Montréal

Catherine CHEVILLOT, Antoinette LE NORMAND-ROMAIN (dir.), Rodin. Le livre du centenaire, Paris, RMN, 2017.

Catherine GRENIER (dir.), Alberto Giacometti. "L’Homme qui marche", Paris, Fondation Giacometti, Lyon, Fage, 2020

Philippe COMAR, Les Images du corps, Paris, Gallimard, 1993.

Rainer Maria RILKE, Auguste Rodin [1903, 1907], Paris, Émile-Paul Frères, 1928.

Auguste RODIN, Éclairs de pensée. Écrits et entretiens, Paris, Olbia, 1998.

1- Rainer Maria Rilke (1875-1927) : écrivain et poète autrichien, il voyage en Europe. En août 1902, il rencontre Rodin à Paris qui le fascine, il deviendra le secrétaire du sculpteur à Meudon. La relation entre les deux hommes est durable de 1902 à 1906.

Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.

Cubisme : Courant artistique, né peu avant la guerre de 1914, dont les pionniers furent Pablo Picasso et Georges Braque. Il porte un nouveau regard sur l’objet, dont les volumes et les plans peuvent être représentés de manière stylisée et vus simultanément sous plusieurs angles. Il s’inspire à la fois des recherches formelles de Paul Cézanne et des arts premiers.

Dada : Mouvement intellectuel né au cœur du cataclysme de la Première Guerre mondiale en Europe. Le mouvement ne tarde pas à gagner les États-Unis avec Man Ray, Duchamp et Picabia qui animent Dada New York. Dans un esprit subversif, les artistes Dada (ou dadaïstes) mettent en question la notion d’œuvre d’art. Leur travail est souvent caractérisé par le recyclage et le détournement des objets qu’ils collectent.

Paul BERNARD-NOURAUD, « L'homme qui marche », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/homme-qui-marche

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