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Monument aux morts

Monument aux morts

Date de création : 1899

Date représentée :

H. : 800 cm

L. : 1400 cm

Domaine : Sculptures

© RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

Lien vers l'image

00-030651

Un Monument pour tous les morts

Date de publication : Avril 2007

Auteur : Bernard COLOMB

Au cœur du Père-Lachaise

C’est dans le cadre de la loi du 23 prairial an XII qu’a été créé le cimetière de l’est parisien, nom officiel du Père-Lachaise. Ce texte législatif est le produit de différents mouvements d’opinion et constitue la conclusion du combat des médecins hygiénistes pour éloigner les « champs des morts » des espaces urbains et retrouver ainsi les règles prévalant dans l’Antiquité. Il s’était avéré que la présence des cimetières à l’intérieur des villes, autour des églises (usage remontant au Haut Moyen Âge), produisait trop de nuisances telles que les odeurs méphitiques ou l’infection des puits. Par ailleurs la sécularisation de la société qui débute au siècle des Lumières amène à dessaisir l’Église de la responsabilité et de la propriété des nécropoles. Les Parisiens mirent plusieurs décennies à adopter cet espace lointain pour y inhumer leurs morts.

Le parc romantique imaginé par Alexandre Théodore Brongniart, premier architecte concepteur du lieu, resta longtemps déserté. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXe siècle que l’engouement se fit jour, et c’est pour un lieu désormais très fréquenté que Albert Bartholomé imagine ce projet, répondant en 1889 avec enthousiasme à la sollicitation du conseil municipal de la capitale. Il s’agissait de réaliser un monument aux morts, une œuvre dédiée aux inconnus, aux morts de la fosse commune et à ceux dont le corps n’avait pu être retrouvé. Il lui faudra dix ans pour créer ce cénotaphe qui, dès le jour dès son inauguration en 1899, reçut 98 000 visiteurs et connut un succès immédiat.

Après des études inspirées de la frise des Panathénées du Parthénon, l’artiste a opté pour un monument à une seule face ensuite mis en scène par Jean-Camille Formigé, architecte des promenades et plantations de la ville de Paris depuis 1885 qui a aussi réalisé le crématorium du cimetière. Le statuaire a choisi la blancheur de la pierre tendre d’Euville pour une œuvre combinant haut-relief et ronde-bosse, manifestation de ce « retour au style » qui a alors marqué la sculpture française.

Face à l’au-delà

L’appareil des blocs, l’absence d’ornements et la forme de l’ouverture de la construction qui supporte les sculptures évoquent un mastaba égyptien. Le corps central se détache sur un arrière-plan arboré et s’avance au bout de l’allée principale que délimitent des talus plantés de gazon. Organisé selon deux registres, il compte vingt et une figures plus grandes que nature (l’ensemble est haut de sept mètres), dont quelques voiles glissant vers le sol couvrent la nudité. Chronologiquement parlant, le registre supérieur, long de quatorze mètres, se concentre sur le passage de la vie à la mort, tandis que le registre inférieur évoque ce qui arrive après le grand passage. En haut, deux théories de personnages encadrent un couple qui se présente face à l’au-delà. Déployant un bras mince et souple, la femme pose une main rassurante sur l’épaule du compagnon de ses jours qui descend avec elle dans le tombeau obscur.
Par les postures plus que par les visages des personnages, chacun de ces ensembles symbolise les différentes attitudes face à la mort. Ils résument en fait les sentiments de ceux qui restent, mais aussi de ceux qui partent. Ainsi la partie gauche montre la désespérance, le chagrin, l’accablement et la résignation face au décès d’un être aimé. Serrées en une masse compacte, des créatures, assises, accroupies ou penchées, murmurent des paroles d’adieu, échangent d’ultimes caresses, se cachent le visage ou détournent la tête. L’ensemble s’ordonne selon une diagonale qui descend de la gauche vers la droite, vers le groupe de l’enfant mort – une femme, assise la tête baissée, qui élève le corps d’un jeune enfant au-dessus d’elle.

Le groupe de droite obéit à un mouvement comparable, mais s’ordonne selon une diagonale inverse. Ici sont représentés ceux qui partent. Le pas est lourd, les bras tombants, les yeux baissés. Avant de connaître la sérénité des deux personnages debout dans l’embrasure, les attitudes disent le désespoir (femme prostrée au premier plan), la prière, le courage (un personnage soutient une femme qui chancelle), la résignation. Ce dernier sentiment s’incarne dans le groupe de l’adieu, tout à fait à droite, avec cette jeune femme qui lance un dernier baiser au monde.

Le registre inférieur est centré sur une crypte sépulcrale creusée dans le soubassement à l’aplomb de la porte du mastaba. Les deux êtres qui, un peu plus haut, se présentaient devant la mort, sont couchés côte à côte, froids et blêmis, tels des transis de la Renaissance. Le jeune enfant repose, étendu sur le ventre en travers des deux corps. Une femme, génie mélancolique et tendre, soulève de ses deux bras étendus la pierre du sépulcre, regardant les morts sur lesquels elle est censée répandre les mystérieuses clartés de l’au-delà. « Elle fait resplendir la lumière au pays des ombres », s’enthousiasme un critique de l’époque reprenant ainsi l’inscription gravée sous le bras gauche du génie, juste au-dessus de la signature du sculpteur : « Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort, une lumière resplendit. »

 

La représentation du chagrin du deuil

Le monument de Bartholomé est un aboutissement. L’attitude des Français face à la mort a été profondément modifiée pour l’ensemble du corps social en l’espace d’un siècle. Une fois de plus, la bourgeoisie impose sa vision et, dans un processus d’acculturation, transmet aux autres classes ses représentations et ses pratiques. Ces évolutions ont conduit à l’idée que chacun devait posséder une tombe, un lieu identifié où ses proches pourraient se rendre et se recueillir, s’adonnant alors à « un culte des morts ». Le Père-Lachaise constitue un espace révélateur de cette évolution. C’était un « champ des morts » issu du siècle des Lumières où devait s’effectuer le retour du corps à la nature. C’est devenu une « ville des morts » où domine le leitmotiv de la chapelle funéraire familiale qui donne aux allées septentrionales l’aspect de voies urbaines bordées de maisons d’habitation. Là se déroulent les nouvelles pratiques de deuil. C’est bien dans le déplacement, dans le fait de « se rendre » sur la tombe de l’autre, que réside la nouveauté. Jusque vers le milieu du siècle, ces pratiques restent minoritaires puis elles sont de plus en plus fréquentes et se réalisent dans le triomphe de la Toussaint où chacun vient rendre hommage à ses disparus. C’est le jour de la Toussaint que Albert Bartholomé dévoile sa création empreinte de religiosité.

Cette nécessité d’un lieu où honorer les morts devient bientôt une obligation pour ce cimetière confronté à son succès et à l’impossibilité de s’étendre, enserré qu’il est dans le tissu urbain de Paris qui l’a rejoint et dépassé par la loi d’extension de la ville promulguée en 1860. Bientôt la « tranchée gratuite », c’est-à-dire la fosse commune, disparaît, et les concessions autres que perpétuelles sont interdites au 1er janvier 1874. En commandant un monument qui doit s’élever au centre de l’enclos funéraire à la mémoire des anonymes, le conseil municipal adopte la conception dominante : tous, même ceux qui n’ont pas de tombe, doivent avoir un lieu, un édifice consacré à leur souvenir. En tant que représentant du « retour au style », Albert Bartholomé s’avère être un artiste plus novateur sur la forme que sur le fond. La douleur de la perte, sentiment qui semblait réservé pendant l’Ancien Régime à l’élite aristocratique (et le sculpteur s’est inspiré des réalisations de Canova pour la famille impériale autrichienne dans la crypte des Capucins à Vienne), s’est désormais répandue dans toute la société, avec la prise du pouvoir par la bourgeoisie. Avant l’expérience de la « mort de masse » ou de la « mort de tous », qui accompagne le premier conflit mondial, ce monument à la fois emphatique et déchirant rend compte de la découverte et de la prise en considération de la mort de l’autre, du seul autre.

Philippe ARIÈS, L’Homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977.

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN, Mémoire de marbre. La sculpture funéraire en France, 1804-1914, Paris, Agence culturelle de Paris, 1995.

Danielle TARTAKOWSKY, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise. XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 1999.

Jean TULARD (dir.), Dictionnaire Napoléon, article « cimetières de Paris » de Marcel Le Clere, Paris, Fayard, 1987.

« À propos du monument d’Albert Bartholomé. Une nouvelle acquisition du musée de Brest », in Revue du Louvre et des musées de France, volume 24, n° 2, 1974.

La Sculpture française au XIXe siècle, catalogue de l’exposition du Grand Palais, Paris, R.M.N., 1986.

Bernard COLOMB, « Un Monument pour tous les morts », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/monument-tous-morts

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