Vie quotidienne des Arméniens
Famille polonaise posant dans son jardin d'une cité minière
Portrait de groupe de résidents
Vie quotidienne des Arméniens
Auteur : DJOLOLIAN-ARAX Krikor
Lieu de conservation : musée national de l’Histoire de l’immigration (Paris)
site web
Date de création : 1920-1925
Date représentée : 1920-1925
H. : 10 cm
L. : 15 cm
photographie
Domaine : Photographies
© Musée national de l'Histoire de l'immigration
Immigrés dans les années 1920
Date de publication : Avril 2016
Auteur : Magdalena RUIZ MARMOLEJO
L’entre-soi
Dans la France des années 1920, la précarité est à la fois sociale et économique. Les immigrés sont tolérés cependant les pulsions xénophobes se multiplient. En réaction à cette situation, le sentiment communautaire se renforce spontanément chez les Polonais représentant 0,1 % de la population totale française en 1921 (soit 46 000 personnes), les Russes, dont on compte près de 80 000 personnes en 1920 et les Arméniens regroupant près de 60 000 personnes en 1926.
Les Polonais travaillent dans les grands centres industriels et les mines du Nord. Les fins de semaines des familles sont rythmées par les sorties à la campagne, les cafés et les évènements sportifs.
Dans un tout autre contexte, les Russes blancs rassemblent la noblesse émigrée qui a fuit la Révolution russe et le régime soviétique. Parmi eux, la princesse Vera Mestchersky crée la fondation Maison russe dès son arrivée en France, en vue d’éduquer les jeunes filles. Elle reçoit de son élève Dorothy Paget le château de la Cossonerie. Là, elle y accueille d’autres Russes pour revivre leur propre culture.
Parmi les photographies de cet ensemble, une seule est anonyme. Krikor Djololian-Arax né à Constantinople, a fui comme de nombreux immigrés arméniens, le génocide de 1915. A Paris, il organise et photographie plusieurs championnats d’athlétisme arméniens, la vie des scouts et les bals. En plus de ces reportages, il travaille en studio.
Zgorecki a quant à lui appris le métier de photographe auprès du mari de sa sœur dès 1924. Jusqu’en 1939, il enregistre près de 3 700 portraits en studio et se déplace en vélo pour photographier les mariages et communions. De ce fait, les photos sont les commandes d’une clientèle majoritairement polonaise et obéissent à des normes codées par le genre.
Lieu de résidence, la maison symbolise également le patrimoine d’une famille. Elle inscrit de plus la lignée dans un espace. Malgré les déménagements successifs et les ruptures, la famille recompose une unité dans son logement et l’organise en fonction de l’utilisation des espaces : jardin, cuisine, chambre. De ce fait, la famille se réfère à une maison mémorisée, un modèle et tente de la recréer ailleurs. La famille se redonne ainsi cohérence et intégrité tant du point de vue social que géographique.
Portraits de groupes, portraits de famille
Cet ensemble de photographies donne à voir plusieurs portraits de groupes : des Arméniens et deux familles : l’une polonaise, l’autre russe.
Ces clichés bichromes ont été pris en extérieur. Chaque famille pose devant sa maison dont seules les portes et baies rythment verticalement la composition. Par ailleurs, les Polonais et les Arméniens se déploient en éventail autour d’une table placée au centre.
Ces trois photographies partagent un autre point commun : le goût pour la mise en scène et le cérémoniel. En effet, les personnes sont parées pour une grande occasion. Si la chemise blanche est de rigueur chez les hommes, les costumes varient légèrement avec cravate ou nœud de papillon. Les dames portent la longue robe claire ou fleurie et rehaussée de colliers. Une attention est portée à la coiffe et révèle les origines sociales de la personne: nœud de fillettes, chignon de mères, coupe garçonne de jeune femme. L’homme mûr porte un chapeau haut de forme, l’homme du peuple la casquette et le dandy les cheveux gominés.
Par la qualité des images, Zgorecki se rapproche d’Eugène Atget. Il opère avec une chambre en bois et utilise des négatifs en plaques de verre. Inventif, il réalise son propre agrandisseur.
Un souvenir kaléidoscopique
Selon Abdelmalek Sayad, la photographie d’une communauté d’immigrés illustre la volonté légitimer sa présence dans un espace national et d’affirmer son poids économique, car la présence d’étrangers est toujours conçue comme provisoire.
Par la photo, chacun partage également un souvenir, celui du moment passé ensemble. Ce type d’évènement personnel fonctionne comme la mémoire collective. En effet, l’individu insère son récit personnel dans une époque et un lieu servant de points de repères au groupe. En évoquant le souvenir de ce moment partagé ensemble, c’est la cohésion du groupe qui est renforcée. Le souvenir est matérialisé en fonction du vécu. Ces divers récits individuels montrent que chaque évènement est protéiforme et varie selon les contraintes sociales.
Ainsi, la photographie de famille a une symbolique forte. Elle témoigne des choses et personnes disparues tout en évoquant le statut social. Transmise entre les différentes générations, elle est le point émergent d’un maillage de relations sociales en passant de la sphère privée à la sphère publique. Restituer le récit individuel avec des objets personnels est un véritable défi pour Musée national de l’histoire de l’immigration car il laisse de nombreux vides et non-dits. Dans chaque objet, la chronologie familiale est reconstruite puis mise au regard d’évènements historiques.
Les sentiments qui accompagnent l’expérience migratoire sont mis en avant et créent un lien intime avec le visiteur. En donnant ces photographies au musée, les familles se sont certes détachées physiquement d’un bien, d’un « objet d’affection », en vue de témoigner, d’édifier et d’amuser les générations futures : un ordre social fondé sur l’intime est créé.
CHEMINOT Marie, « Les Polonais devant l’objectif : deux studios photographiques en territoires de migration », dans PONTY Janine (dir.), Polonia : des Polonais en France de 1830 à nos jours, cat. exp. (Paris, 2011), Paris, Cité nationale de l’histoire de l’immigration / Montag, 2011.
DASSIÉ Véronique, Objets d’affection : une ethnologie de l’intime, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Le regard de l’ethnologue » (no 22), 2010.
DEVIN Pierre, Kasimir Zgorecki, cat. exp. (Douchy-les-Mines, 1994), Douchy-les-Mines, Centre régional de la photographie Nord-Pas-de-Calais, 1994.
HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l’évolution de l’humanité » (no 8), 1994 (1re éd. 1925).
Magdalena RUIZ MARMOLEJO, « Immigrés dans les années 1920 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/immigres-annees-1920
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