
Montesquieu

Montesquieu

Montesquieu
Auteur : CLODION
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1783
H. : 164 cm
L. : 122 cm
Commandé pour la série des statues des Grands Hommes de la France par le comte d'Angiviller.
Marbre blanc.
Domaine : Sculptures
© Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Raphaël Chipault
ENT 1987.02 - 16-502970
Montesquieu (1689-1755), précurseur des Lumières
Date de publication : Juin 2025
Auteur : Lucie NICCOLI
Un aristocrate curieux de son temps, écrivain et voyageur
Fils aîné d’un magistrat guyennais, né en 1689, sous le règne de Louis XIV, Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, suit le parcours classique d’un jeune aristocrate de province : il « fait son droit » à Bordeaux, « monte à Paris » pour s’initier aux affaires puis, à la mort de son père, retourne à La Brède pour y gérer ses vignobles et épouser un riche parti. Il hérite aussi de la charge de président à mortier (président de la grande chambre) du parlement de Bordeaux, mais se passionne plutôt pour les sciences.
Également fin lettré et observateur éclairé de la société française, Montesquieu fait publier en 1721, à Amsterdam, Les Lettres persanes, qui le rendent aussitôt célèbre. Ayant vendu sa charge, il quitte la France pour un voyage d’études à travers l’Europe, notamment à Londres, où il séjourne un an et demi. Rentré à La Brède en 1731, il se consacre à l’écriture, inspiré par les réflexions nées de ce périple, et publie en 1734 les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. De l’Esprit des lois, son œuvre majeure, vaste traité de théorie politique, paraît à Genève en 1748. Il y analyse les différents types de gouvernements, formule sa théorie de la séparation des pouvoirs, et s’efforce de définir « l’esprit » des lois, soit le rapport qu’elles entretiennent avec la géographie et l’histoire, les mœurs ou la religion de chaque peuple. Cet ouvrage révolutionnaire pour son temps est très mal reçu : mis à l’index par l’Église, condamné par la Sorbonne… Montesquieu s’emploie à le défendre jusqu’à sa mort, en 1755.
C’est pourtant cette œuvre que Claude Michel, dit Clodion, membre de la dynastie de sculpteurs Adam, place entre ses mains en 1783, à la suite de la commande par le comte d’Angiviller, surintendant des bâtiments de Louis XVI, d’une série de statues des Grands hommes (1) de la France pour la Grande galerie du Louvre. À côté de cette sculpture monumentale posthume, le seul portrait réalisé du vivant du philosophe (2), en 1753, consiste en un profil gravé sur une médaille par le Genévois Jacques Antoine Dassier, lui aussi membre d’une illustre dynastie d’artistes, assortie sur le revers d’un hommage allégorique à L’Esprit des lois.
La reconnaissance du « Grand homme »
Ces deux portraits permettent de mesurer la reconnaissance croissante du philosophe et de son œuvre en l’espace de trente ans – de la fin de sa vie au règne de Louis XVI. La médaille de Jacques Antoine Dassier présente sur l’avers le profil du vieil homme jusqu’aux épaules et une légende circulaire : « CAROL. DE SECONDAT BARO DE MONTESQUIEU ». Celui-ci, les cheveux courts et souples, semble vêtu d’une simple toge, drapée sur son épaule, à la manière d’un philosophe antique. En dépit de profondes rides et de l’affaissement de ses traits, son visage au regard franc, au menton ferme, est empreint de dignité. La gravité de son expression est fidèlement rendue, avec douceur, tandis que le traitement des plis de son vêtement est plus énergique. Le globe légèrement bombé de son œil gauche trahit la cataracte dont il était atteint depuis quelques années et qui, ajoutée à sa myopie, le rendait presque aveugle. Sur le revers de la médaille, une scène allégorique célèbre son grand œuvre : sous la légende « HINC IURA » (« là sont les droits »), la Vérité, nue, dans les nuées, tient d’une main L’Esprit des lois et une plume, de l’autre, un astre rayonnant ; face à elle, la Justice sur la terre ferme, couronnée et portant une balance, laisse tomber son glaive et retire le bandeau de ses yeux.
Le Montesquieu de Clodion est confortablement assis dans un robuste fauteuil, revêtu du costume de président à mortier du parlement de Bordeaux. Par-dessus sa longue robe boutonnée jusqu’au cou, il porte un ample manteau dont le revers révèle les bandes de vair (3) et, sur le buste, un camail (4) d’hermine. La posture est stable et naturelle mais la légère torsion du corps – buste et tête tournés du côté opposé aux jambes croisées – et la superposition d’étoffes différentes permettent au sculpteur de développer un jeu de plis complexe, dans un style plus baroque que néoclassique. Sa main droite tenant une plume est posée sur un accoudoir tandis que, son bras gauche reposant sur un guéridon couvert d’une lourde étoffe, à côté de plusieurs volumes et de son mortier (5) à galons, il tient de sa main gauche le manuscrit ouvert de L’Esprit des lois. Au lieu de la perruque blanche à bouclettes qui était d’usage au parlement, Clodion a doté le philosophe d’une longue chevelure négligemment bouclée dans le dos telle qu’il n’en porta jamais. Son visage légèrement ridé est celui d’un homme âgé mais encore bien portant. Son long nez est commun aux deux portraits peint et gravé, mais son front un peu dégarni semble ici plus grand. Il émane de sa personne un air d’assurance tranquille et d’autorité bienveillante.
L’auteur de L’Esprit des lois célébré par le ministre de Louis XVI
Ces deux portraits – l’un modestement gravé sur une médaille, dépouillé et réaliste, l’autre sculpté dans le marbre, monumental et magnifique – furent très admirés et abondamment reproduits par l’estampe. Alors que l’art des médailliers était exclusivement au service des princes depuis le milieu du XVIIe siècle et avait perdu en créativité, les Dassier, auteurs de séries de personnages célèbres dans les champs de l’histoire, de la théologie ou de la littérature, étaient reconnus pour la qualité de leurs productions ; ils furent même les seuls médailliers mentionnés dans L’Encyclopédie. Montesquieu pouvait donc espérer de son effigie gravée une publicité conséquente pour son œuvre.
La statue de Clodion fut considérée comme l’une des plus réussies de la série des Français illustres pour l’exceptionnelle qualité de son exécution. Ces statues de Grands hommes, fruits de la dernière grande commande officielle de l’Ancien régime, témoignent du culte qui leur fut rendu à partir du règne de Louis XVI. Jusqu’alors, seule la personne du roi devait représenter la grandeur du pays. Le projet avait été lancé dès 1776, alors que Louis XVI tentait déjà, en remplaçant Turgot par Necker, de remédier aux difficultés financières et politiques qui menaçaient le régime. Le fait qu’il ait approuvé deux ans plus tard le choix de Montesquieu, seul « grand homme » moderne parmi les vingt-trois commandés, un philosophe qui avait pourtant, dans ses écrits, sapé les fondements de l’absolutisme, peut être vu comme un signe de son ouverture d’esprit – à moins qu’il ne s’agisse d’aveuglement, une dizaine d’années avant la Révolution.
Guilhem SCHERF, Anne L. POULET (sous la dir. de), Clodion 1738-1814, catalogue de l’exposition présentée au Louvre de mars à juin 1992, RMN, Paris, 1992, p. 179-286.
Guilhem SCHERF, « La galerie des "Grands hommes" au cœur des salles consacrées à la sculpture française du XVIIIe siècle », Revue du Louvre. La revue des musées de France, 1993, p. 58-67.
Jean LACOUTURE, Montesquieu. Les vendanges de la liberté, Points, Paris, 2005.
William EISLER, Images chatoyantes du siècle des Lumières, les médailles des Dassier de Genève, Skira, Milan, 2010 ;
Antoinette EHRARD, William EISLER, Portraits de Montesquieu. Répertoire analytique, Presses universitaires Blaise Pascal, 2014
1 - Commande des Grands hommes : Racine, le chancelier d’Aguesseau, Corneille, le chancelier de l’Hôpital, Fénelon, Catinat, Sully, Vauban, Molière, Montesquieu, La Fontaine, Tourville, Condé, Molé, Duquesne, Bayard, Luxembourg, Rollin, Montausier, Descartes, Pascal, Turenne.
2 - En dehors du tableau de 1739 qui le représente en président à mortier au parlement de Bordeaux.
3 - Vair : fourrure d'écureuil gris.
4 - Camail : pélerine ou cape courte recouvrant les épaules. La fourrure d'hermine est encore portée de nos jours par les magistrats et symbolise la fonction.
5 - Mortier : coiffe en forme de toque portée par les présidents des parlements
Baroque : Mouvement artistique qui se développe au XVIIe siècle en Italie, puis dans de nombreux pays européens. Parlant plus aux sentiments qu’à la raison, il privilégie l’exubérance des formes, la représentation du mouvement et les effets de surprise. Il fait appel à tous les arts dans leur ensemble.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Lucie NICCOLI, « Montesquieu (1689-1755), précurseur des Lumières », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 07/06/2025. URL : https://histoire-image.org/etudes/montesquieu-1689-1755-precurseur-lumieres
Les Lettres persanes, Montesquieu, BnF Essentiels.
L'Esprit des lois, Montesquieu, BnF Essentiels.
Le château de La Brède, demeure de Montesquieu.
Le Dictionnaire Montesquieu, 200 articles autour de la pensée, de la vie et de l’œuvre de Montesquieu, ENS Lyon.
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