Aller au contenu principal
Pot à tabac au décor de scène de pêche chinoise

Pot à tabac au décor de scène de pêche chinoise

Lieu de conservation : musée Gallé-Juillet (Creil)
site web

Date de création : 1827-1840

Date représentée :

H. : 24,5 cm

L. : 21,4 cm

Fabricant  : manufacture de Creil.

Faïence, terre de pipe

Domaine : Objets

© RMN-Grand Palais / Martine Beck-Coppola

Lien vers l'image

1999 3 1 - 10-532821

Objet de fume

Date de publication : Juillet 2012

Auteur : Didier NOURRISSON

Au temps des manufactures

Selon une idée répandue, la révolution industrielle, commencée en Angleterre, gagne la France dans le premier tiers du XIXe siècle. En fait, des ateliers encore archaïques (sans machinisme majeur) concentrent des populations ouvrières plus nombreuses, et les manufactures se multiplient. Tel est aussi le cas de la manufacture de faïence fine de Creil, véritable symbole de cette première industrialisation. Fondée en 1797 par le Britannique O’Reilly dans le bassin de main-d’œuvre creillois et dans le parc du château royal racheté comme bien national, elle entend répondre à la demande grandissante d’un produit dont l’Angleterre s’était fait une spécialité depuis le milieu du XVIIIe siècle. Après un départ raté, l’entreprise redémarre en 1801 sous la houlette des frères Saint-Cricq, profitant de la proximité de forêts riches en combustible (charbon de bois), de la présence d’une voie d’eau navigable, et surtout de la fermeture des frontières (blocus économique de l’Angleterre). En 1840, quand Charles Saint-Cricq meurt, la prospère manufacture compte 900 ouvriers. Elle produit en abondance assiettes, pots, vases, toute une vaisselle qui plaît beaucoup à la société bourgeoise de la monarchie louis-philipparde (service dit « chinois réticulé » de la reine Marie-Amélie). Il s’agit pourtant d’un travail très largement artisanal et qui compte sur le sens artistique et le savoir-faire des ouvriers plus que sur la machine.

La littérature a célébré la manufacture de Creil. En l’occurrence, le personnage de Jacques Arnoux dans L’Éducation sentimentale de Flaubert, qui se déroule sous la monarchie de Juillet, se lance, à la tête d’une manufacture à Creil, dans l’aventure industrielle : « Arnoux se donnait beaucoup de peine dans sa fabrique. Il cherchait le rouge de cuivre des Chinois. Mais ses couleurs se volatilisaient par la cuisson. Afin d’éviter les gerçures de ses faïences, il mêlait de la chaux à son argile ; mais les pièces se brisaient pour la plupart, l’émail de ses peintures sur cru bouillonnait, ses grandes plaques gondolaient ; et attribuant ces mécomptes au mauvais outillage de sa fabrique, il voulait se faire faire d’autres moulins à broyer, d’autres séchoirs. »

Tabac à fumer

Ce pot est réalisé en « terre de pipe » : au traditionnel mélange d’argile et de sable est ajoutée de la chaux « afin d’éviter les gerçures de la faïence », comme l’a rapporté Flaubert. La faïence fine est cette pâte argileuse blanche, opaque et dense ; elle est recouverte d’une glaçure transparente. À la manufacture de Creil, cette argile blanche est mêlée de silex calciné et broyé, selon la méthode apprise de l’Anglais Josiah Wedgwood, d’où son nom de « faïence anglaise ». Avant d’être recouverte d’une glaçure transparente (vernis plus ou moins plombifère), la faïence est décorée selon le procédé de la décalcomanie : les motifs d’une planche de cuivre gravée sont transférés par un papier spécial et appliqués sur l’objet ; les scènes colorées sont peintes à la main.

Le décor de ce pot cylindrique polychrome est constitué de deux frises florales qui encadrent des scènes de pêche chinoise, selon la mode orientalisante en cette époque romantique. Il s’agit là d’un souvenir des porcelaines de la Compagnie des Indes.

Surtout l’inscription donne la signification moderne de cet objet. Les pots à tabac étaient nombreux depuis le XVIe siècle, mais il s’agissait de tabac à priser. Dans cette boîte, on doit déposer désormais du « tabac à fumer ». Il s’agit d’abord de « tabac » : le mot lui-même est un néologisme. Traditionnellement, on utilisait le terme « nicotiane » pour désigner l’herbe rapportée et acclimatée en France au XVIe siècle par l’ambassadeur Jean Nicot auprès du roi du Portugal. Seul le naturaliste Charles Linné l’avait placée dans sa classification des plantes sous l’appellation nicotiana tabacum. Au début du XIXe siècle, avec la découverte du dangereux alcaloïde dénommé nicotine, le tabac vient supplanter la nicotiane. Le mot « tabac », dont l’origine est obscure et controversée (l’île antillaise de Tobago, la province mexicaine du Tabasco, le cornet indien pour fumer le petun, …), s’impose désormais.

Du pot, on passe au mot car l’un conditionne l’autre. En même temps que la pratique de la fume. En 1831, il s’est déjà vendu 25 960 kg de cigares et 305 143 kg de tabac de pipe. Vingt ans plus tard, les consommations sont passées à 213 944 kg de cigares et 683 265 kg de tabac de pipe. À ces chiffres, il faut ajouter 3 250 kg de la petite dernière des tabacs chauds, la cigarette. Puisant dans le pot, l’amateur peut déposer le tabac dans le fourneau de sa pipe ou dans la rainure du papier pour fabriquer une « cousue-main » (cigarette). Désormais, et à jamais, le tabac à fumer l’emporte sur le tabac à priser.

Du pot au mot

La monarchie de Juillet (1830-1848) voit un grand essor manufacturier. Celui-ci met à la disposition des premiers consommateurs de masse des objets de la vie quotidienne. Dans le cas de ce pot, on peut le voir à la devanture des récentes pharmacies (car le tabac sert toujours de médicament), sur les rayonnages des désormais nombreux débits de tabac, comme dans les tout nouveaux « fumoirs » des maisons bourgeoises.

La consommation du tabac sous forme de prise, de chique et de plus en plus de fume conduit à l’invention de très nombreux objets. Liés à des gestes quotidiens et à un ensemble de pratiques sociales, ils sont le plus souvent chargés de décorations. Les différents accessoires des priseurs et des fumeurs répondent aux différentes fonctions de conservation, comme les pots et les coffrets, de transport dans des étuis, des blagues, des tabatières ou encore d’allumage donné par les briquets et les allumettes. Ils servent aussi à la distinction de la place sociale occupée par leur propriétaire.

Le « tabac à fumer » qui est dans le pot définit la modernité du contenant, en attendant les sobres et commodes paquets de tabac à bourrer dans ses poches.

· Jacques BONTILLOT, Les Faïences de Creil et Montereau : deux siècles d’évolution des techniques et des décors, Montereau, édit. du CERHAME, 1998.

· Jacqueline DU PASQUIER, « Faïence : plus chic que porcelaine », Revue de la Société des amis du musée national de céramique, n° 15, 2006.

· Armand HUSSON, Les Consommations de Paris, Paris, Hachette et Cie, 1875.

· Ariès MADDY, Creil, faïence fine et porcelaine, 1797-1895, Paris, Guénégaud, 1994.

· Didier NOURRISSON, Histoire sociale du tabac, Paris, Éditions Christian, 2000.

· Didier NOURRISSON, Cigarette. Histoire d’une allumeuse, Paris, Payot, 2010.

· Gustave FLAUBERT, L’Éducation sentimentale.

Didier NOURRISSON, « Objet de fume », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/objet-fume

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Albums liés

Découvrez nos études

Lorettes

Lorettes

Dans les villes qui se développent de manière spectaculaire sous les assauts de la révolution industrielle, la prostitution prend un essor sans…

Les Stéréotypes du buveur

Les Stéréotypes du buveur

Montbéliard fut, entre 1800 et 1850, l’une des capitales de l’imagerie populaire, au même titre qu’Épinal ou Wissembourg. Les frères de Deckherr,…

Papier à cigarettes "Le Nil"

Papier à cigarettes "Le Nil"

Naissance de la fabrication du papier à cigarettes

La cigarette, comme modèle réduit du cigare présent en France dès l’époque napoléonienne,…

Femme en prise

Femme en prise

Une société enfumée

Une peinture transformée en photographie répond peut-être à une opération de vulgarisation de l’œuvre d’art : la toile sort…

Regard sur les Anglais au début du XX<sup>e</sup> siècle

Regard sur les Anglais au début du XXe siècle

De Paris Ville Monde à la représentation de l’étranger dans L’Assiette au beurre.

Au début du XXe siècle, Paris est marqué par l’…

Les brasseries au cœur de Paris

Les brasseries au cœur de Paris

La bière pétille au XIXe siècle

La consommation de bière se développe sensiblement en France au XIXe siècle, débordant ses…

Les codes publicitaires de l'alcool et du tabac dans les années 1930

Les codes publicitaires de l'alcool et du tabac dans les années 1930

Des origines de leur promotion, vers 1850, jusqu’aux lendemains de la Grande Guerre, presque toutes les affiches et encarts publicitaires en faveur…
Les codes publicitaires de l'alcool et du tabac dans les années 1930
Les codes publicitaires de l'alcool et du tabac dans les années 1930
Le travail en atelier et en manufacture

Le travail en atelier et en manufacture

En France, jusqu’aux années 1820, le travail des enfants, qui aident les adultes dans leurs tâches agricoles ou artisanales, ne fait pas débat.…

Le travail en atelier et en manufacture
Le travail en atelier et en manufacture
Plaisirs aux barrières

Plaisirs aux barrières

Paris des Barrières

Dans le premier tiers du XIXe siècle, Paris grandit vite : 547 000 habitants en 1801, le million est atteint en…

Tabacomanie

Tabacomanie

La bourgeoisie est au pouvoir

La France de Louis-Philippe s’ennuie, selon Lamartine. Est-ce pour cela qu’elle se met à fumer ? En tout cas, la…