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La tabacomanie ou le culte du cigare.

La tabacomanie ou le culte du cigare.

Date de création : 1842

Date représentée : 1842

Lithographie, papier Caricarture du jour n°44 Editeur : Bauger & Cie Imprimeur : Aubert

Domaine : Estampes-Gravures

© Photo RMN - Grand Palais - F. Raux

http://www.photo.rmn.fr

09-569426 / 60.147.112C

Tabacomanie

Date de publication : Juillet 2012

Auteur : Didier NOURRISSON

La bourgeoisie est au pouvoir

La France de Louis-Philippe Ier s’ennuie, selon Lamartine. Est-ce pour cela qu’elle se met à fumer ? En tout cas, la consommation parisienne, en moyenne individuelle, hommes, femmes et enfants compris, atteint déjà le kilo par an, soit l’équivalent de 1 000 cigarettes. L’enrichissement voulu par le principal ministre Guizot et la révolution industrielle développée notamment dans les manufactures de tabac de l’État (le Gros Caillou à Paris) permettent l’accès à un produit de consommation qui se banalise. Au point que l’on peut parler pour la première fois de « tabacomanie » : ce mot, venu de la langue médicale comme exemple de folie, entre alors au dictionnaire pour désigner le comportement des grands amateurs de tabac.

La classe bourgeoise au pouvoir (Louis-Philippe est qualifié de « roi-bourgeois ») a fait du cigare l’emblème de sa domination. Elle forme à la fume les autres catégories sociales selon le principe de l’imitation du modèle dominant, mais selon une hiérarchisation des pratiques. L’usage du tabac chaud se répand ainsi dans les nouvelles couches sociales : en pipe, en cigare (tabac haché « enrobé » dans une feuille), et bientôt en cigarette (tabac haché enveloppé dans du papier). La reine Marie-Amélie et ses suivantes vendent – et vantent par la même occasion – les premières cigarettes industrielles lors d’un gala de charité en 1843.

La période compte des caricaturistes particulièrement talentueux (Daumier, Gavarni, Bertall, Cham, Grandville…) qui s’expriment dans les nombreux journaux illustrés (La Caricature, Le Charivari, Le Journal amusant…). Après 1835, ils passent de la satire politique à la comédie de mœurs, afin de contourner la censure tout en dénonçant les « tares » du régime. La critique du mode de vie et des attitudes bourgeoises s’apparente alors à un processus de moralisation des comportements en même temps qu’à un essai de critique politique. La pratique de la fume est au cœur de la dénonciation.

Une éducation à la fume


Le dessin représente une famille de la petite bourgeoisie – un couple et ses huit enfants. Référence à la famille royale peut-être, puisque Marie-Amélie a donné huit enfants à son royal époux.

En vrai pater familias, l’homme est assis un peu en dehors du cercle de famille et tire sur sa belle pipe à long tuyau, très éloignée des bouffardes et autres « brûle-gueule » du peuple. Il rêve d’être officier de la garde nationale et de fumer le cigare. C’est en tout cas l’image qui apparaît dans le nuage de fumée qui s’échappe de sa bouche. La garde nationale (loi du 22 mars 1831) a pour buts le maintien de l’ordre et la défense du territoire. Elle constitue une véritable force de police, en même temps qu’un moyen de promotion sociale. Debout au milieu de sa nombreuse famille, la mère tient le dernier-né emmailloté dans les bras. Les huit enfants du couple, c’est bien évident, fument. La distinction des âges, en attendant celle des classes, s’impose. Une note en annexe du dessin remarque justement que « les enfans au dessus de sept ans fument pipe entière ! ». De fait, les garçons ont des pipes à tuyau évolutif selon leur âge. Les filles aînées ainsi que les plus jeunes enfants, jusqu’au nourrisson, tirent sur des « cigarettes ». Le mot désigne alors un petit cigare. Qualifié de « cigaret » à l’origine, destiné à des jeunes ou au sexe « faible », il a été rebaptisé « cigarette » par les « lionnes » comme George Sand, afin d’égaler les hommes. Comme la cigarette industrielle n’existe pas encore en 1842, il s’agit de « cousues main », faites de tabac roulé directement dans du papier par l’utilisateur.

Même si c’est de manière outrancière, les caricaturistes disent la société. Sous la monarchie de Juillet, ils ont commencé par des charges politiques féroces (la poire de Charles Philipon). La machine infernale de Fieschi ayant mis un terme à la liberté de la presse, ils se sont reconvertis dans le social. On ne peut plus exciter l’opinion politique par une ironie mordante, la caricature s’est faite bourgeoise et… fumeuse. Les portraits-charges se parent d’une inoffensive pipe ou d’un cigare à mettre dans toutes les bouches. Écrivains, artistes, gens de la rue et de la boutique sont saisis dans un instantané de fume. La critique sociale se cache sous un voile plutôt opaque. Les différences de classe sont certes durablement signifiées dans les actes et les attitudes même les plus banales, comme la fume, mais le révolutionnaire n’est plus le sans-culotte au brûle-gueule. La critique fait long feu, et le tabac passe pour l’instrument de la concorde sociale.

ALLARD, Paul, « Satire des mœurs et critique sociale dans la caricature française de 1835 à 1848 », in P.Régnier (dir.), La caricature entre République et Censure, Lyon, Presses universitaires (PUL), 1996, p.171-181.CACERES, Bénigno, Si le tabac m’était conté…, Paris, La Découverte, 1988.NOURRISSON, Didier, Histoire sociale du tabac, Paris, Éditions Christian, 2000.NOURRISSON, Didier, Cigarette.Histoire d’une allumeuse, Paris, Payot, 2010.

Didier NOURRISSON, « Tabacomanie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/tabacomanie

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