Portrait de Paul Valéry
Auteur : BLANCHE Jacques-Émile
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Rouen)
site web
Date de création : 1923
H. : 92,4 cm
L. : 73,4 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais / agence Bulloz
00-015305 / 1930.1.2
Paul Valéry
Date de publication : Avril 2018
Auteur : Christophe CORBIER
Fils du célèbre docteur Blanche, peintre attaché à la figuration, Jacques-Émile Blanche (1861-1942) a peint les portraits de nombreux écrivains et artistes durant toute sa carrière, dont Marcel Proust, Igor Stravinsky, Henry James et Paul Claudel.
En 1923, il réalise le portrait du poète et philosophe Paul Valéry (1871-1945), qu’il connaissait personnellement depuis le début du XXe siècle. Conférencier recherché, poète présent dans les salons mondains de la capitale, ami d’André Gide, fréquentant après la guerre Jean Cocteau, André Breton, François Mauriac ou encore Rainer Maria Rilke, Paul Valéry est élu à l’Académie française en novembre 1925. Auteur de La Jeune Parque (1917) et du recueil Charmes (1922), Valéry s’affirme comme l’un des penseurs les plus fins et les plus profonds de son époque, non seulement pour tout ce qui touche à la création littéraire et artistique (Variété, 1924-1944), mais aussi par ses réflexions lucides sur la politique et la culture contemporaines (Regards sur le monde actuel, 1931).
Comme son maître Stéphane Mallarmé, Valéry a été souvent taxé d’obscurité, et il était réputé un écrivain difficile et intellectuel. L’intellectualité, qui constitue en quelque sorte la signature du poète, Jacques-Émile Blanche a cherché à la traduire visuellement par la pose du penseur, qui est typique de Valéry dans son iconographie.
Valéry est saisi dans l’espace clos et dépouillé d’une chambre d’appartement, où rien n’évoque le luxe ni une quelconque activité mondaine. Assis sur une chaise et présenté de trois quarts, le regard perdu dans une profonde méditation, vêtu de manière simple et stricte, le corps noyé dans un costume sombre, le poète semble indifférent à ce qui l’entoure et uniquement préoccupé par le jeu de sa pensée.
Par un contraste entre la blancheur de la peau et l’obscurité de sa tenue et de l’arrière-plan aux tons bruns légèrement rehaussés de rouge et d’ocre, Jacques-Émile Blanche met aussi en valeur le visage et les mains du poète, symboles de son activité intellectuelle et créatrice. La main gauche, au repos sur le bras gauche de la chaise, pendant négligemment dans le vide, dénote un abandon du corps, passif, figé dans l’immobilité. À l’inverse, la main droite, avec les doigts légèrement recroquevillés sur le bord du menton, suggère un penseur actif : la main ne soutient pas la tête, elle semble accompagner au contraire le mouvement intérieur de la réflexion.
Le regard du spectateur converge en direction de la tête et du visage, ce qui est provoqué aussi par l’angle de vue et le cadrage serré.
Par tous ces signes, Jacques-Émile Blanche a évoqué dans ce portrait l’auteur de La Soirée avec Monsieur Teste (1896), qui pouvait s’appliquer à lui-même la réflexion inaugurale : « La bêtise n’est pas mon fort. » En effet, la chambre dans laquelle est représenté Valéry peut rappeler la cellule de monsieur Teste, espace qui convient le mieux pour suggérer l’intensité de la méditation du poète. Ce qui nous est donné à voir, c’est le disciple de Mallarmé qui ne veut rien laisser au hasard, qui n’aime pas l’arbitraire des romans et qui pèse avec minutie le poids et la valeur de chaque mot.
Ce portrait s’insère par ailleurs dans toute une iconographie de Paul Valéry développée pendant l’entre-deux-guerres. Il existe un certain nombre de portraits peints, sculptés ou photographiés du poète, qui le figurent souvent dans la pose du penseur : photographies de Charles Leirens et de Gisèle Freund, réalisées respectivement en 1935 et en 1938, lithographie de Picasso illustrant une édition de La Jeune Parque en 1921, buste de Boris Lipnitzki sculpté en 1931. Le portrait de Jacques-Émile Blanche contribue ainsi à établir l’image, voire le stéréotype d’un poète sévère et intellectuel, figure marmoréenne et impassible qui se consacre intégralement à la pensée et à la création poétique.
COLLECTIF, Jacques-Émile Blanche, peintre (1861-1942), cat. exp. (Rouen, 1997-1998 ; Brescia, 1998), Rouen, musée des Beaux-Arts / Paris, Réunion des musées nationaux, 1997.
COLLET Georges-Paul, Jacques-Émile Blanche : biographie, Paris, Bartillat, 2006.
JARRETY Michel, Paul Valéry, Paris, Fayard, 2008.
VALÉRY Paul, Œuvres, édition, présentation et notes de JARRETY Michel, Paris, Librairie Générale Française, coll. « La pochothèque », 2016, 3 vol.
Christophe CORBIER, « Paul Valéry », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/paul-valery
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