Liane de Pougy
Portrait de Liane de Pougy
Liane de Pougy
Liane de Pougy
Lieu de conservation : médiathèque du Patrimoine et de la photographie (MPP)(Charenton-le-Pont)
site web
Date de création : 6 juin 1899
Date représentée : 6 juin 1899
Photographe : atelier Nadar.
Négatif-verre au gélatino-bromure d'argent.
Domaine : Photographies
© Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Atelier de Nadar
NA 238 15761 R - 10-502537
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Date de publication : Avril 2011
Auteur : Gabriella ASARO
La métamorphose d’une mère de famille en « grande horizontale »
Depuis le Second Empire, le portrait photographique connaît un véritable essor, lié au désir d’affirmation individuelle des classes moyennes qui, à défaut des trop onéreux services des peintres, se rendent dans les ateliers photographiques. Mais la photographie constitue aussi une excellente forme de publicité pour les courtisanes qui cherchent une renommée internationale ; en outre, elle est le principal instrument du culte pour la figure féminine qui, à la Belle Époque, tourne à l’obsession, sans pour autant mettre en discussion la mentalité patriarcale et misogyne de la société. Depuis la Révolution française et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne proposée par Olympe de Gouges en 1791, les mouvements féministes revendiquent l’égalité entre les sexes, mais, à la fin du XIXe siècle, l’émancipation de la femme passe encore par les alcôves. Jouissant d’une liberté impensable pour les autres femmes, les hétaïres peuvent même afficher leurs éventuelles tendances saphiques sans craindre de décourager leurs soupirants qui, au contraire, sont attirés par le défi d’une conquête apparemment impossible, oubliant – ou faisant semblant d’oublier – que leurs relations avec les « grandes horizontales » se fondent sur l’argent. La société de la Belle Époque tolère des personnages comme l’écrivain Jean Lorrain ou les courtisanes Liane de Pougy et Émilienne d’Alençon, pourvu que leur « excentricité » ne donne pas le mauvais exemple aux jeunes personnes de bonne famille. Cependant, les courtisanes de haut vol n’ont pas toujours vécu une enfance dramatique comme celle de la Belle Otero, ou du moins misérable, comme celle d’Émilienne d’Alençon : l’histoire de Liane de Pougy prouve qu’une jeune mère de famille peut devenir une grande cocotte en dépit d’une bonne éducation et d’un mariage bourgeois, si les germes de la révolte et de l’ambition couvent dans son esprit.
Née Anne-Marie Chassaigne à La Flèche, le 2 juillet 1869, dans une modeste mais respectable famille de militaires, d’un père agnostique et d’une mère très dévote, Liane éprouve les premiers frissons d’amour saphique pendant son enfance. Malgré les faibles ressources de ses parents, elle reçoit une excellente éducation au couvent des Fidèles Compagnes des Filles de Jésus de Sainte-Anne-d’Auray. Très belle et très grande pour l’époque (elle mesure 1,68 mètre), Anne-Marie épouse, à seize ans, le jeune militaire Armand Pourpe, dont elle a un seul enfant, Marc, né en 1887. Un accouchement pénible et la naissance d’un garçon, alors qu’elle désirait une fille, marquent la jeune femme, qui n’éprouve aucun instinct maternel ; étouffée par les violentes crises de jalousie de son mari, elle finit par le tromper, puis par l’abandonner, en 1889. Enfin libre, Anne-Marie part à Paris, la ville de tous les plaisirs et de tous les possibles, qu’elle avait découverte lors de son voyage de noces : après une période d’apprentissage dans une maison close et grâce aux conseils de la célèbre Valtesse de la Bigne, qui a inspiré à Zola le personnage de Nana, la pudique Anne-Marie se transforme en Liane de Pougy et gravit rapidement les échelons de la galanterie. Proust s’inspire d’elle pour créer Odette de Crécy, l’obsession amoureuse de Swann.
Comme ses consœurs, Liane entame une carrière théâtrale pour accroître sa notoriété et ses gains : en 1894, elle débute aux Folies-Bergère comme magicienne et acrobate, puis se produit comme mime à l’Olympia. Sa rivalité avec la Belle Otero, son amitié avec son « âme sœur » Jean Lorrain et ses liaisons avec Émilienne d’Alençon et Natalie Clifford Barney, font la joie des chroniqueurs mondains : Liane est en particulier l’héroïne du Gil Blas, qui ne manque pas d’annoncer la parution de ses romans autobiographiques.
La savante construction d’une idole féminine
Ces trois clichés, réalisés par l’atelier Nadar, montrent la passion de Liane de Pougy pour les perles. Sensible à l’éclat de l’or et des pierres précieuses, la célèbre hétaïre est, encore plus qu’une croqueuse de diamants, une « croqueuse de perles » : la féminité et la lueur lunaire des sphères de nacre attirent irrésistiblement Liane qui, à ses débuts dans l’art de la galanterie, a enduré les coups de cravache assenés par lord Carnavon, le célèbre égyptologue anglais, pour obtenir en récompense une perle d’une inestimable valeur.
Dans les deux premiers clichés, Liane est à peine trentenaire et déjà une célébrité de la vie mondaine parisienne. La cocotte s’affiche sur le premier cliché en dame élégante, prête à partir pour une promenade, peut-être au bois de Boulogne ; sa robe claire, son attitude sage et son regard sérieux prouvent que, loin d’avoir oublié la tenue et les bonnes manières apprises dans sa jeunesse, elle les utilise maintenant pour attirer ses riches soupirants. La position debout met en valeur la silhouette élancée de Liane et l’attitude fière d’une femme qui a réussi à s’affranchir du pouvoir marital et à se faire une position – peu honorable, certes, mais aussi très rentable – dans le milieu mondain parisien.
Sur le deuxième cliché, Liane apparaît en page de la Renaissance, selon la mode du travestissement qui charme les spectateurs masculins par le double attrait du déguisement : son ambiguïté sexuelle et les jolies formes qu’il révèle (voir Giuditta Pasta et le travestissement à l'opéra). Si elle joue ainsi de son physique androgyne, Liane de Pougy ne résiste pas à la tentation de porter un tour de perles même sur son costume masculin.
Le troisième cliché montre une Liane mûre, mais toujours belle et pleine de charme. Le modèle apparaît ici comme enveloppé dans un nuage impalpable de voiles blancs, d’où ressortent ses cheveux, encore châtain naturel, et dix tours de grosses perles. Le luxe de la parure contraste avec l’attitude de la belle courtisane : son air contemplatif, yeux levés au ciel, semble annoncer la conversion qui transformera la belle pécheresse en Madeleine pénitente.
Une « femme spectacle » proche de la sainteté
Liane de Pougy rêve d’une carrière théâtrale, bien que Sarah Bernhardt (Sarah Bernhardt par Nadar et La naissance du vedettariat) lui ait conseillé de se contenter de se montrer sans parler et que les critiques, impitoyables mais sincères, aient décrété qu’elle joue « mieux couchée que debout » : elle se tourne alors vers la pantomime où, à défaut d’expressivité, sa beauté lui garantit le succès. Comme Nana, Liane de Pougy triomphe au théâtre sans aucun talent, par la seule force de la séduction : plutôt qu’une femme de spectacle, on peut ainsi voir en elle une « femme spectacle » qui s’offre aux yeux du public, anticipant la « femme objet » du XXe siècle.
En 1910, Liane épouse le prince roumain Georges Ghika, de quinze ans son cadet, et abandonne la vie de demi-mondaine, sans pour autant renoncer aux amours saphiques. La mort de son fils Marc, pionnier de l’aviation tombé au champ d’honneur en 1914, éveille en elle l’amour maternel et aussi un vif sentiment de culpabilité. Ce deuil et, en 1926, une profonde crise conjugale poussent Liane à une remise en question radicale de sa vie ; en 1928, la rencontre avec la mère supérieure de l’asile Sainte-Agnès, à Saint-Martin-le-Vinoux, près de Grenoble, marque le début de sa conversion. Restée veuve en 1945, Liane de Pougy entre dans le Tiers Ordre de Saint-Dominique, près de Lausanne, sous le nom d’Anne-Marie-Madeleine de la Pénitence ; quand elle meurt le 26 décembre 1950, à l’âge de quatre-vingt-un an, son confesseur la dit « proche de la sainteté ».
Jean CHALON, Liane de Pougy, courtisane, princesse et sainte, Paris, Flammarion, 1994.
Claude DUFRESNE, Trois grâces de la Belle Époque, Paris, Bartillot, 2003.
Sylvie JOUANNY, L’Actrice et ses doubles : figures et représentation de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Genève, Droz, 2002.
Liane de POUGY, Mes cahiers bleus, Paris, Plon, 1977.
Gabriella ASARO, « Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/liane-pougy-charme-ambiguite-belle-epoque
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Gier || Quelle vie !
Je ne connaissais pas cette Liane. Quelle vie ! Il y a là un beau scénario pour une oeuvre en mot ou en image.
Personne n'y a jamais songé ?
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