Le marchand de chansons.
L'orgue de barbarie.
Le marchand de chansons.
Auteur : LEPRINCE Xavier
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
H. : 37,6 cm
L. : 45,2 cm
Peinture à l'huile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - J.-G. Berizzi
99-019518 / Inv. 992.4.1
Les petits métiers et la musique populaire
Date de publication : Janvier 2007
Auteur : Charlotte DENOËL
Petits métiers des villes, petits métiers des champs
Dans son opéra naturaliste Louise, créé en 1900, le compositeur Gustave Charpentier rendait hommage aux petits métiers parisiens et à leurs « cris » qui retentissaient à chaque coin de rue. Emblématiques du Paris populaire, ces petits métiers étaient alors en voie de disparition, menacés par l’industrialisation croissante et la naissance de l’économie moderne. Durant tout l’Ancien Régime, ceux-ci étaient exercés par des marchands ambulants qui parcouraient les rues en annonçant à voix haute leurs marchandises ou leurs services pour attirer la clientèle : « Seigneur allez vous baigner sans tarder ; les bains sont chauds, c’est sans mentir » clamaient les barbiers qui tenaient autrefois les étuves ; « Oisons, pigeons et chair salée ; chair fraîche et bien parée, et de l'aillée en grande quantité » annonçaient de leur côté les rôtisseurs et « Qui veut de l’eau ? » les porteurs d’eau, pour ne citer que ces exemples. Ce charivari constituait l’une des attractions principales de la rue, à la ville comme à la campagne. D’une grande diversité, les petits métiers ont été croqués de bonne heure par les artistes qui se sont attachés à en rendre avec précision les caractères spécifiques tels que le costume et les instruments de travail.
Les musiciens ambulants
Parmi les petits métiers les plus populaires figuraient les musiciens et les chansonniers dont les airs s’entendaient et circulaient dans les rues, foires, places de marché, guinguettes, tavernes ou cours. Héritiers des chanteurs itinérants du Moyen Age comme les goliards ou les troubadours, ceux-ci se rencontraient en grand nombre dans les villes et les campagnes. Au début des années 1830 étaient ainsi recensés à Paris 271 musiciens ambulants, 220 saltimbanques, 106 joueurs d’orgue de barbarie et 135 chanteurs, selon les statistiques de la police. Depuis des siècles, la musique tenait un rôle social et culturel important dans la vie des Français : tandis que le chant était associé à la plupart des activités publiques, la musique accompagnait aussi bien fêtes et réjouissances populaires que travail et cérémonies religieuses. A quarante ans d’intervalle, Auguste-Xavier Leprince et Honoré Daumier ont chacun rendu compte de cette omniprésence de la musique dans le quotidien de leurs compatriotes à travers deux œuvres, l’une peinte, l’autre dessinée. Daté de 1825, le premier tableau, une scène de genre romantique d’inspiration hollandaise, représente un joueur de violon et une fillette entonnant une chanson sur un fond de paysage. Devant eux, assis à la porte d’une étable, leur auditoire se compose d’un couple de vieux paysans et d’une jeune fille dont les visages attentifs traduisent l’intérêt qu’ils portent aux deux musiciens. Comme le suggèrent les feuilles volantes que tient dans ses mains la fillette, ceux-ci appartiennent probablement à la catégorie des marchands de musique qui, déambulant dans les rues des villes ou dans les campagnes, vendaient les paroles ou la mélodie de leurs chansons dont ils entonnaient les airs. Renouvelant sa thématique picturale à la suite de sa rencontre avec les peintres de Barbizon en 1853, le peintre, sculpteur et caricaturiste Honoré Daumier a, quant à lui, mis en scène une situation similaire, à Paris cette fois, vers 1860-1864 : au coin d’une rue, un joueur d’orgue de barbarie tourne la manivelle de son instrument, tandis que, accoudée sur l’orgue, une femme tient à la main un recueil de chansons qu’elle interprète pour les nombreux auditeurs amassés derrière eux. Par leur figure et leur apparence vestimentaire, ces derniers incarnent le menu peuple de la capitale, illustrant bien le caractère populaire de l’orgue de barbarie, cet instrument à vent mécanique qui fut très probablement inventé au XVIIIe siècle, voire au début du XIXe siècle, selon les historiens. Durant la première moitié du XIXe siècle, cet instrument constituait le véhicule des chansons à la mode et des airs d’opéra, avant d’être progressivement relayé par les orphéons et les fanfares des kiosques des jardins publics.
La redécouverte de la musique populaire
Héritières d’une longue tradition iconographique, ces deux œuvres mettent en lumière le rôle essentiel de divertissement qui était dévolu à la musique au sein de la société. D’un point de vue sociologique, elles reflètent l’intérêt porté à la musique populaire tout au long du XIXe siècle. D’abord considérée comme l’expression du « génie national », de l’âme du peuple par les romantiques, la musique populaire a été utilisée durant la première moitié du XIXe siècle pour éduquer le peuple et démocratiser l’art par les réformateurs, Saint-Simon en particulier. Dans cette optique, la loi Guizot de 1834 rendit obligatoire l’apprentissage musical à l’école, tandis que l’on entreprit la collecte et la publication des chansons populaires. Initié dès la seconde moitié du XVIIIe siècle sous l’influence de Herder qui avait ouvert la voie en 1778-1779 avec son recueil Stimmen der Völker in Liedern, cet engouement pour les chants et les ballades prit de l’ampleur au siècle suivant en France : ainsi, en Bretagne, des auteurs comme Emile Souvestre ou Louis Dufilhol éditèrent en 1834-1835 des chants populaires de Bretagne, avant la parution en 1839 du célèbre Barzaz Breiz de Hersart de la Villemarqué. Par la suite, de peur que ces chants populaires ne disparaissent, le comte de Salvandy créa en 1845 une commission des chants religieux et historiques de la France qui avait pour mission la collecte et la publication des chants populaires de la France. Interrompue par la Révolution de 1848, l’enquête fut relancée grâce au décret d’Hippolyte Fortoul du 13 septembre 1852, qui instaura l’ère des grandes collectes officielles. Dès lors, patrimonialisée, transformée en objet d’étude scientifique, la chanson populaire cessa d’être envisagée comme l’expression du peuple pour devenir l’apanage des milieux cultivés, si bien qu’au début du XXe siècle, des compositeurs comme Béla Bartok, Leos Janacek, Claude Debussy ou Maurice Emmanuel s’en inspirèrent pour renouveler le langage musical.
Paul BÉNICHOUNerval et la chanson folkloriqueParis, Corti, 1970.Daniel FABRE « Proverbes, contes et chansons », Les lieux de mémoire, t.III, Pierre NORA (dir.)Paris, Gallimard, 1997, p.3555-3581.Marie-Véronique GAUTHIERChanson, sociabilité et grivoiserie au XIXe siècleParis, Flammarion - Aubier, 1992.Florence GÉTREAU et Eliane DAPHNY (dir.)Musiques dans la rue.Ethnologie françaiseXXIX (1999-1).Musiciens des rues de Paris [exposition, Musée national des arts et traditions populaires, 1997-1998]Paris, MNATP - RMN, 1997.Sophie-Anne LETERRIER « Musique savante et musique populaire au XIXe siècle.Du peuple au public », Revue d’histoire du XIXe siècle, 1999-19.URL : http://rh19.revues.org/document157.html
Charlotte DENOËL, « Les petits métiers et la musique populaire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/petits-metiers-musique-populaire
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