Le Peuple mangeur de rois
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : vers 1793
H. : 10,9 cm
L. : 14,7 cm
eau-forte faisant partie d'une série intitulée La Terreur
Domaine : Estampes-Gravures
© CC0 1.0 / Paris Musées / musée Carnavalet
G.26320
Le peuple mangeur de rois
Date de publication : Novembre 2020
Auteur : Sonia DARTHOU
La Révolution française, période privilégiée pour les caricatures politiques, multiplie le recours aux allégories mythologiques malgré le décalage chronologique avec l’Antiquité.
Cette œuvre d’un graveur anonyme, intitulée Le Peuple mangeur de rois, datée d’environ 1793, est à mettre en écho avec un dessin contemporain engagé de Jacques Louis David destiné à décorer un rideau de scène, Le Triomphe du peuple français, qui représente aussi le peuple en Hercule triomphant sur un char.
La légende, « Statue colossale proposée par le journal des Révolutions de Paris, pour être placée sur les points les plus éminens (sic) de nos frontières », nous permet de contextualiser cette image caricaturale comme un projet d’œuvre statuaire destinée à avoir une grande visibilité. Ce journal, édité quotidiennement depuis 1789, qui abritait opinions prorévolutionnaires, était très populaire.
Un Hercule révolutionnaire
La composition, inscrite dans une scène de siège militaire, s’inspire de la statuaire antique tout en intégrant des éléments modernes qui actualisent cette proposition imagée très politique.
Le peuple, personnifié en Hercule, tout en muscle, identifiable par sa massue héroïque et placé sur un socle, évoque les statues grecques et romaines, tandis que les sculptures de la base (armes et figure terrassée surplombée de l’inscription « Mort aux tyrans ») et les éléments du « paysage » montrent sa puissance et la légitimité de son combat.
Les effets d’échelle, volontairement accentués dans la caricature, affichent un peuple-Hercule surdimensionné, dont la supériorité éclate face au roi, réduit à un pantin minuscule et impuissant. Le torse tatoué du titre de l’œuvre, « Le peuple mangeur de rois », ce peuple-Hercule saisit le despote couronné par la gorge et le suspend au-dessus d’un brasier qui évoque, à la lumière de ce tatouage, un peuple cannibale qui pourrait faire rôtir son souverain.
Coiffée d’un bonnet phrygien, représentée comme un sans-culotte, encadrée de remparts, de canons, de lances surmontées de bonnets phrygiens face à des tentes militaires, cette allégorie mythologique du peuple français « assiégé » affiche clairement le combat révolutionnaire populaire engagé contre la (les) monarchie(s).
Le peuple héroïsé grâce à la mythologie
Cette caricature montre combien la mythologie garde dans l’imaginaire européen une pertinence et une force qui vont être utilisées pour glorifier, dénoncer ou critiquer bien après l’Antiquité.
Alors qu’Héraclès-Hercule est, depuis des siècles, instrumentalisé par les figures du pouvoir royal, cette estampe propose d’inverser le rapport de force en assimilant le peuple au héros des Douze Travaux. Le héros devient ainsi une figure populaire pour servir la cause de la Révolution, où le peuple opprimé se présente comme surpuissant face à la monarchie. Dans cette image, le peuple, comme élément collectif, est héroïsé tel un nouvel Hercule qui incarne depuis toujours force, stratégie, ordre et légitimité. Éliminer la royauté devient ainsi, grâce à cette image, comme un des Douze Travaux d’Hercule, c’est-à-dire un combat héroïque, mais aussi civilisateur et justicier. La violence de la scène, tel un avertissement, indique combien la Révolution est entrée dans une phase radicale qui prône l’élimination de la monarchie.
Cette image doit également s’inscrire plus largement dans le contexte de la guerre révolutionnaire, où la France se dresse face aux monarchies européennes, comme l’expriment parfaitement les paroles de La Marseillaise.
HUNT Lynn, « Hercules and the radical image in the French Revolution », Representations, no 2, 1983, p. 95-117.
SURATTEAU Jean-René, GENDRON François (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, 1989.
TULARD Jean, FAYARD Jean-François, FIERRO Alfred, Histoire et dictionnaire de la Révolution française (1789-1799), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins » (no 76), 1987.
Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.
Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.
Sonia DARTHOU, « Le peuple mangeur de rois », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/peuple-mangeur-rois
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