Aller au contenu principal
Portrait du jeune Trioson.

Portrait du jeune Trioson.

Date de création : 1800

Date représentée : 1800

H. : 72 cm

L. : 58 cm

Huile sur toile

Domaine : Peintures

© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski

http://www.photo.rmn.fr

91DE2073 / RF 1991-13

Portrait du jeune Trioson

Date de publication : Octobre 2005

Auteur : Delphine DUBOIS

Découverte de l’enfance

Au XVIIIe siècle, l’enfant devient un être digne d’intérêt. Son univers intrigue et fascine. La société commence à se soucier de son bien-être et de sa formation (développement du système scolaire, progrès de la médecine). Aimé, soigné, éduqué, l’enfant fait l’objet d’un investissement grandissant qui prendra véritablement son essor au XIXe siècle. L’Émile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau, publié en 1762, prône une éducation libre guidée par la Nature. L’ouvrage connaît un retentissement sans précédent dans les milieux aisés et cultivés. La reine Marie-Antoinette fait bâtir le Hameau à Versailles dans le but d’éduquer les enfants de France selon les principes rousseauistes. D’autres artistes, tel Chardin dans L’Enfant au toton, vers 1736, s’intéressent également au monde captivant et troublant de l’enfance.

Anne-Louis Girodet de Roucy Trioson (1767-1824) a été un brillant disciple de David, dans l’atelier duquel il est entré en 1785. Auteur d’œuvres de propagande bonapartiste et napoléonienne (Les Ombres des guerriers français conduites par la Victoire dans le palais d’Odin, 1801), il se détourne des sujets traditionnels du néoclassicisme pour s’immerger dans un univers onirique et poétique (Le Sommeil d’Endymion, 1793 ; Les Funérailles d’Atala, 1808). La mélancolie de l’enfance et sa faculté d’émancipation le séduisent et l’intriguent.

Rêverie du jeune Trioson

Fils du docteur Trioson (1735-1815), protecteur et ami de Girodet, Benoit-Agnès Trioson (v. 1789-1804) vient de suspendre son étude pour rêver. Les travaux érudits l’ennuient. Il délaisse les objets de son éducation entassés sur le fauteuil : le violon, le rudiment de grammaire latine, le scarabée et le papillon, les feuilles de papier à dessin et le porte-sanguine qui côtoient un morceau de pain et des coquilles de noix. Peu studieux, il les a détournés de leur usage premier : dessins griffonnés sur les pages de son livre, mots interminables et incompréhensibles écrits sur les feuilles, violon et insectes maltraités. Puis, il les abandonne totalement pour s’évader dans le rêve. Le spectateur est ignoré ; étranger à son univers, il ne peut qu’observer et imaginer les songes du garçon.

Utilisant des effets de clair-obscur, Girodet coupe son tableau en deux espaces verticaux opposés. À droite, une moitié noyée d’ombre, dans laquelle se concentrent les divers sujets d’étude. Ce côté sombre la réalité et l’érudition dont l’enfant se détourne. Il dirige au contraire son regard vers la moitié droite qui, entièrement vide, est baignée de lumière. Elle représente le monde imaginaire et romantique vers lequel s’évade l’esprit vagabond du jeune garçon.

Le portrait est traité en monochromie de brun, marron et ocre que relèvent juste la note bleue et froide du gilet et le blanc très lumineux de la chemise. Ces teintes douces et neutres confèrent une grande douceur à la composition. L’ensemble des objets se noie dans le coloris brun ; le spectateur finit par occulter leur présence tout comme l’enfant qui les a abandonnés. Le bleu et le blanc, autour de la tête, soulignent au contraire la fraîcheur et la vivacité de l’imagination enfantine. Le visage semble se détacher du reste du tableau : le rêve échappe à la réalité.

Le premier romantisme français

Girodet, affectueusement lié à cet enfant qui devint son frère à titre posthume en 1809, s’attache à rendre l’état d’âme de son modèle. Dès sa présentation au Salon de 1800, le portrait, ironiquement intitulé Jeune enfant étudiant son rudiment, trouble profondément les spectateurs.
Le docteur Trioson accordait une grande importance à l’éducation de son fils unique. Girodet reçut lui aussi une éducation parfaitement soignée, mais, en admirateur de Rousseau et de l’Émile, il considère l’espièglerie et la dissipation comme inhérentes à l’enfance, qui tend naturellement à échapper aux contraintes de la discipline imposée (les cheveux bouclés, indisciplinés, évoquent la fantaisie de l’esprit). Aussi est-ce avec une tendre indulgence qu’il confronte dans son œuvre l’évidente mélancolie de l’enfant et le rudiment de grammaire latine ouvert à la page de la déclinaison du verbe « être heureux ».

Élève de David, Girodet se démarque de son maître en faisant entrer le mystère, la sensualité et le sentiment dans sa peinture. Toutefois, le style très précis, très fidèle à la réalité (justesse des proportions, de la morphologie), reste néoclassique. Ce tableau exprime une certaine dichotomie entre l’extrême exactitude du dessin, le souci du détail, et le propos éthéré et chimérique du sujet. Son évocation de l’enfance, d’une grande subtilité (Un jeune enfant regardant des figures dans un livre, 1798 ; Portrait du docteur Trioson donnant une leçon de géographie à son fils, 1804), témoigne d’une profonde sensibilité et de la volonté d’affirmation du sujet, du moi, en plein accord avec l’esprit romantique. Toutefois, le rêve n’est ici qu’évoqué. Girodet peint la réalité (un enfant délaisse ses devoirs pour rêver) et non le monde onirique et fantaisiste comme le feront les romantiques allemands. Phare du premier romantisme français, l’œuvre de Girodet occupe une place à part dans la peinture du début du XIXe siècle.

Thomas CROW, L’Atelier de David. Émulation et Révolution, Paris, Gallimard, 1997.Pierre ROSENBERG, « Le portrait de Romainville Trioson (1800) », in Revue du Louvre, 4-1991, p. 11.Renaud TEMPERINI, « Le néo-classicisme », in La Peinture française, Paris, Éditions Pierre Rosenberg, 2001.

Delphine DUBOIS, « Portrait du jeune Trioson », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 25/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/portrait-jeune-trioson

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Regard sur l'enfance

Regard sur l'enfance

Le mouvement ouvrier avait été pratiquement annihilé après la loi Le Chapelier de 1791, qui interdisait les corporations et supprimait de fait la…

Un modèle de l'Instruction républicaine

Un modèle de l'Instruction républicaine

Les débuts de l'école de la IIIe République

Le tableau En classe, le travail des petits a été réalisé par Jean Geoffroy en 1889. L’…

Portrait du jeune Trioson

Portrait du jeune Trioson

Découverte de l’enfance

Au XVIIIe siècle, l’enfant devient un être digne d’intérêt. Son univers intrigue et fascine. La société commence à se…

Madagascar. 1925. Travail d'écriture en plein air

Madagascar. 1925. Travail d'écriture en plein air

Madagascar dans les années 1920 : l'intérêt croissant pour cette terre de missions, d'explorations et d'aventures

Depuis la loi de 1896,…

La propagande hitlérienne

La propagande hitlérienne

L’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne

Dans les années 1920 en Allemagne, le refus des conditions imposées par les vainqueurs lors du traité…

La propagande hitlérienne
La propagande hitlérienne
Portrait du Prince impérial

Portrait du Prince impérial

Au zénith lors du Congrès de Paris de 1856, le prestige de la France en Europe n’était déjà plus qu’un lointain souvenir en 1870. Le 3 juillet 1866,…
Une vision sociale de l'armée

Une vision sociale de l'armée

La pauvreté et la malnutrition dans la France de la IIIe République

Dans la société française du XIXe siècle, les inégalités sont encore criantes…

L'emmaillotement

L'emmaillotement

L’action de l’assistance publique

La France de la fin du XIXe siècle est marquée par une grande fragilité de la petite enfance, une…

L'emmaillotement
L'emmaillotement
L'emmaillotement
La marquise de Maintenon et Saint-Cyr

La marquise de Maintenon et Saint-Cyr

L’épouse secrète du roi

Issue d’une famille d’origine protestante, Françoise d’Aubigné (1635-1719) est la veuve du poète Scarron. Sans enfant et…

Le développement des écoles primaires à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle

Le développement des écoles primaires à la fin du XIXe siècle

Progrès de la scolarisation

Le progrès de la scolarisation, tendance générale en Europe de l’Ouest au XIXe siècle, se développe d’abord avec la…

Le développement des écoles primaires à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle
Le développement des écoles primaires à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle