Aller au contenu principal
Déjeuner de poilu, Reims

Déjeuner de poilu, Reims

Vente des journaux sur un éventaire, Rexpoede (Nord)

Vente des journaux sur un éventaire, Rexpoede (Nord)

Déjeuner de poilu, Reims

Déjeuner de poilu, Reims

Date de création : 1er avril 1917

Date représentée : 1er avril 1917

Autochrome

Domaine : Photographies

© Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN - Grand Palais / Paul Castelnau

http://www.photo.rmn.fr

11-565568 / CA000333

L'envers de la première guerre mondiale devant l'objectif

Date de publication : Avril 2009

Auteur : Alexandre SUMPF

Les hommes dans la guerre totale

Durant la guerre de 14-18, la France a mobilisé plus de huit millions d’hommes dans la force de l’âge. Après l’enthousiasme mesuré et la résignation décidée des premières semaines, la lassitude s’est progressivement emparée des combattants, enfermés en plein air dans les tranchées, condamnés à l’attente – de la prochaine attaque, de la permission qui ne vient pas, du repas refroidi, de la lettre désirée, de la fin de la guerre… Les petits groupes de « copains » qui ne se connaissaient pas avant guerre partagent la même expérience du feu et adoptent les mêmes rituels, inventant peu à peu un mode de vie parallèle dont les codes échappent pour une large part aux populations de l’arrière.

Même si c’était le cinéma qui incarnait la véritable nouveauté dans la documentation du réel de la guerre, la photographie a joué un certain rôle dans la stratégie militaire (repérages) et dans la communication à l’adresse des soldats du front ou des civils de l’arrière. D’abord appelé au Service géographique de l’armée, Paul Castelnau (1880-1944) est versé aux côtés de Ferdinand Cuville à la Section photographique des armées, créée en 1915, et couvre pendant deux ans l’ensemble des fronts en France, puis au Proche-Orient en 1918. Il utilise pour ces images le

L’arrière-front au quotidien

Le cliché pris au début du mois d’avril 1917 dans un Reims désert constitue un document très complet sur l’équipement du soldat français, tout en proposant une scène posée mais ayant su conserver un certain naturel. La composition et l’absence de couleurs vives à l’arrière-plan font ressortir le soldat saisi dans une position peu réglementaire, assis voire affalé au pied d’un lampadaire. Son uniforme bleu horizon attire immanquablement le regard, qui peut ensuite détailler à loisir le reste de son attirail. Le casque Adrian en métal a remplacé en 1915 l’inefficace képi, les bandes molletières et les godillots pleins de boue rappellent discrètement le monde des tranchées. Le fusil Lebel est appuyé contre le vélo de ce soldat préposé à la transmission, photographié en plein déjeuner avec ses timbales en fer-blanc, la gourde où il conserve le vin généreusement distribué aux combattants tout comme l’inévitable miche de pain qu’il tient pensivement et dont il s’apprête à couper une tranche.

La scène composée autour d’un kiosque improvisé (comme en témoigne le carreau cassé qui laisse passer des fils électriques) appartient elle aussi aux représentations collectives tout en documentant la soif de lecture et d’information des soldats cantonnés au front. La pose se fait ici plus évidente : le préposé et le gradé cherchent à sortir de l’encadrement du guichet, l’un des soldats ne fait même pas semblant de lire et regarde lui aussi l’objectif. Les deux autres personnages tiennent aussi la pose, inconfortable pour le soldat à demi assis, plus simple et plus naturelle pour celui qui lit attentivement un journal. Cette mise en scène collective apparaît d’autant plus œcuménique qu’elle rassemble des soldats de différentes unités et de grades divers. Dans ce cliché soigneusement organisé, seul le soldat venu poster sa lettre, contre le bord du cadre à gauche, paraît s’être invité : il a bougé pendant que le photographe exposait sa plaque.

Repos du poilu, répit du combattant

À l’instar des photographies que les combattants prennent eux-mêmes dans les longs temps de répit et d’ennui que laisse la guerre, les clichés de Castelnau renseignent le quotidien du poilu avec une proximité convaincante, sans allusion directe au danger pourtant omniprésent. Le second cliché essaye ainsi de saisir dans des attitudes figées une « normalité » de la situation, un enjouement et une camaraderie scellée par la lecture qui ne peut tromper l’œil – exercé après deux années de guerre – des populations civiles. Celles-ci savent que le combattant ne fait pas plus confiance qu’elles à la presse nationale (l’échantillon est représentatif avec Le Figaro, Le Journal, La Victoire, L’Écho de Paris, L’Humanité, etc.) où l’assurance crâne des communiqués le dispute à la bravoure d’emprunt des journalistes et à l’imitation maladroite du « parler poilu ». Les journaux muselés par la tatillonne censure officielle pratiquent aussi l’autocensure patriotique fondée sur le conformisme et l’exagération, tout en multipliant les scoops afin de vendre du papier. Les bandes dessinées affichées sur les panneaux rappellent que, dans l’esprit des combattants, triomphent la causticité et l’irrévérence des journaux de tranchées, tolérés par l’état-major mais réservés à un public restreint de poilus.

Ce qui frappe dans le premier cliché, c’est la solitude incongrue de ce soldat : il ne s’agit pas d’une scène de vigie attentive aux mouvements de l’ennemi, ni d’un portrait en pied d’un combattant appartenant à une arme particulière, exerçant une fonction spéciale, ou d’origine exotique. Il goûte son éphémère repos et son frugal repas en passant, entre les deux étapes de sa mission. Nul militaire autour de lui, et un Reims aussi désert que détruit, privé de visages et de façades. Dans la riche série de clichés sur Reims (200 autochromes sur les 375 conservés à la médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine), Castelnau a tiré le portrait individuel de certains survivants qui n’avaient pas fui la ville ; mais il semble n’avoir pris aucun cliché associant civils et militaires. Songeur, le soldat ne fixe pas l’objectif, mais le vide devant lui, insensible à sa blessure légère à la main et inquiet de son futur. Ce repos mis en scène, paré de couleurs pour regonfler le moral de la population, peine toutefois à convaincre qu’il est plus qu’un fragile répit arraché à la guerre, bien présente à l’esprit de ceux que visent le cliché.

 

Jean-Jacques BECKER, La Première Guerre mondiale, Paris, Belin, 2008 (rééd.).

François COCHET, Rémois en guerre : l’héroïsation au quotidien, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993.

Jean-Yves POURCHER, Les Jours de guerre. La vie des Français au jour le jour entre 1914 et 1918, Paris, Plon, 1994.

Pierre VALLAUD, 14-18, La Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Alexandre SUMPF, « L'envers de la première guerre mondiale devant l'objectif », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/premiere-guerre-mondiale-devant-objectif

Anonyme (non vérifié)

Le visage du poilu assis sur le trottoir est impressionnant.
Il a l’air complètement ailleurs comme si l’horreur des tranchées restée encore dans son regard.

jeu 14/10/2010 - 14:44 Permalien

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Le Traité de Versailles

Le Traité de Versailles

La signature du traité de paix de Versailles intervient quelques mois après l’armistice du 11 novembre 1918. Mais l’armistice ne signifie pas la…

Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
Les troupes coloniales au service de la patrie

Les troupes coloniales au service de la patrie

La « plus grande France » dans la guerre totale

Si la Grande Guerre a été mondiale, les combats n’ont pas eu la même intensité sur tous les…

Les troupes coloniales au service de la patrie
Les troupes coloniales au service de la patrie
Les troupes coloniales au service de la patrie
La fascination des ruines : Arras dans la Grande Guerre

La fascination des ruines : Arras dans la Grande Guerre

La Grande Guerre à Arras

Avant la guerre, la ville d’Arras, chef-lieu du Pas-de-Calais, attirait déjà les touristes avec les deux places baroques…

La fascination des ruines : Arras dans la Grande Guerre
La fascination des ruines : Arras dans la Grande Guerre
Intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale

Intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale

« La Fayette, nous voilà », les premières participations américaines à la Première Guerre mondiale

Le don de matériel en provenance des États-…

Intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale
Intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale
Intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale
L'interrogatoire du prisonnier

L'interrogatoire du prisonnier

La guerre : une réalité quotidienne

Quand la Première Guerre mondiale débute au milieu de l’été 1914, les belligérants s’accordent à penser qu’…

Constantin Brancusi, un sculpteur au travail dans son atelier

Constantin Brancusi, un sculpteur au travail dans son atelier

Une œuvre de la mémoire en Roumanie

Pendant l’entre-deux-guerres, pour honorer la mémoire et le sacrifice des 9 millions de disparus de la Grande…

Emblème de l'escadrille La Fayette

Emblème de l'escadrille La Fayette

Dès 1914, en dépit de la neutralité affichée des Etats-Unis dans le conflit qui oppose les Alliés aux Empires centraux, de nombreux volontaires…
Les taxis de la Marne

Les taxis de la Marne

Des taxis parisiens aux taxis de la Marne

La Compagnie Française des Automobiles de Place, plus tard dite « G7 » (du fait que ses véhicules…

Les taxis de la Marne
Les taxis de la Marne
Les taxis de la Marne
Les Bretons dans la guerre de 1914-1918

Les Bretons dans la guerre de 1914-1918

Les Bretons dans la guerre

Le nombre des Bretons tués au cours de la Grande Guerre est estimé à 130 000, ce qui représente un pourcentage de…

Le tombeau du maréchal Foch aux Invalides

Le tombeau du maréchal Foch aux Invalides

La patrie en deuil

La mort du maréchal Foch clôt une partie de l’histoire de la Première Guerre mondiale. Disparu le 20 mars 1929, ses…