Le Christ chez les paysans.
Auteur : VON UHDE Fritz
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 50 cm
L. : 62 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
RF 772 - 03-001916
Un retour aux sources du catholicisme
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Chantal GEORGEL
Retour à l'Evangile.
La fin du XIXe siècle, siècle du positivisme, du rationalisme, de la montée de la laïcisation des sociétés, est aussi – et ce n'est pas paradoxal – un temps de renouveau de la pensée religieuse, encouragé par Léon XIII dans son encyclique Rerum novarum (publiée le 15 mai 1891), et ses appels au ralliement du monde catholique à la République. La science ne résout pas tout, le politique non plus. Chacun en prend conscience en cette fin de siècle troublée par tant de crises. Aussi peut-on observer un retour à la foi. Aussi cherche-t-on à légitimer le catholicisme en l'inscrivant dans l'Histoire et à retrouver la pureté des Evangiles. Ce mouvement, présent dans le monde catholique, dans l'enseignement par exemple de l'abbé Loisy (1857-1940), élève de Renan et auteur de L'Evangile et l'Eglise(Paris, Picard, 1902), emporte également le monde protestant. Parti du monde intellectuel, il gagne la littérature et les arts, la peinture en particulier. Le Christ chez les modernes, le Christ « homme parmi les hommes », devient l'un des thèmes préférés des peintres naturalistes, réalistes (ne permet-il pas les plus pittoresques et les plus émouvantes des scènes de genre ?) ou symbolistes.
Bénédicité.
Fritz Von Uhde met en image le texte même de la prière qui précède les repas : « Bénissez – le Seigneur [bénit] – La main droite du Christ nous bénit, nous et ce que nous allons consommer. » Mais il ne s'agit pas d'une simple prière. Le Christ est présent dans cette famille de paysans (allemands ou hollandais) dont il va partager le repas. Reconnaissable à son auréole, à sa barbe et à sa longue robe, il est bien réel et réellement chez des paysans, image idéale du peuple, le vrai peuple de Dieu. Von Uhde, peintre allemand, participe du protestantisme libéral de son siècle, marqué par une évolution qui le conduit à une pratique plus morale que mystique de la religion. Notons aussi le stéréotype : la plus grande ferveur de la femme et de l'enfant, levant les yeux vers le Seigneur – comme s'ils « buvaient ses paroles » –, tandis que les autres paysans, les hommes en particulier, ont la tête baissée, dans le geste traditionnel de la prière.
Ce tableau connut un grand succès. Critiqué par d'aucuns – surtout les catholiques – qui y virent une désacralisation du Christ, il fut pourtant acheté en vente publique par l'État républicain, pour son musée des Artistes vivants (le Luxembourg), signe que cet Etat perçut le message d'abord humanitaire de ce tableau, qui offrait en outre l'avantage non négligeable (en 1893) de présenter le peuple sous un jour rassurant, loin des bruits du monde ouvrier. Ce tableau fit tache d'huile ; d'autres peintres exploitèrent bientôt la même veine, dont Léon Lhermitte, Béraud, Dagnan, Debat-Ponsan ou Jacques-Emile Blanche. En témoigne L'Hôte ou le Dernier Souper, grande composition entreprise en 1891. « C'est le sujet des Pèlerins d'Emmaüs, traité à la moderne, selon la tradition des Hollandais et des Flamands : sans "couleur locale", les personnages vêtus comme on l'était de leur temps », écrit Blanche qui poursuit : « Le Christ, c'est Anquetin ; drapé dans un peignoir de toile blanche à motifs bleus – des poissons (ikhthus, iota, khi, thêta, upsilon, sigma, en caractères grecs), symboles du nom du Christ, et des cercles O, symboles de l'Eternité. Anquetin rompt le pain, les yeux levés vers le Père. A sa droite et à sa gauche, deux pèlerins : un ouvrier en blouse, et un artisan de ma rue, en houppelande, contemplent, interrogateurs, le Fils de Dieu, qui s'est fait homme. »
Un souffle évangélique passe sur les Salons de la fin du siècle : c'est une « épidémie, Jésus-Christ anarchiste, socialiste, libéral et révolutionnaire, réaliste, historique, symboliste, naturaliste » est partout… et le « Christ proteste » : « Ah, si j'avais pu deviner, si j'avais pu supposer que, deux mille ans plus tard, je serais peint et repeint, et surpeint… ma foi ! je t'avoue que j'y eusse renoncé. Et l'humanité se serait tirée d'affaires sans moi, comme elle eût pu. » Dixit Mirbeau, l'anticlérical Mirbeau (Le Journal, 28 avril 1901).
Gérard CHOLVY et Yves-Marie HILAIRE Histoire religieuse de la France contemporaine , tome II, (1880-1914)Toulouse, Privat, 1986.
Isabelle POUTRIN (dir.) Le XIXe siècle, science, politique et tradition Paris, Berger-Levrault, 1995.
Chantal GEORGEL, « Un retour aux sources du catholicisme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/retour-sources-catholicisme
Lien à été copié
Découvrez nos études
L'Édit de Fontainebleau
Le 18 octobre 1685, Louis XIV scelle l’édit de Fontainebleau, par lequel il met fin à près de quatre-vingt-dix ans d’…
La Ratification du traité de Münster de 1648
Cette toile, peinte en 1837 par Claude Jacquand (1803-1878), est la réplique d’une œuvre réalisée…
Cultes et coutumes religieuses dans la France rurale du XIXe siècle
Alors que le XIXe siècle est souvent décrit comme un siècle de déchristianisation, due au déracinement que provoquent exode rural et…
Cranach et l’iconographie en faveur de la Réforme
La fin de l’année 1545 est marquée par l’ouverture du Concile de Trente (1), dans le nord de l’Italie,…
L’anticléricalisme dans le premier XIXe siècle
Après la Révolution qui rompt brutalement avec l’Église en récusant l’association, fondatrice de l’Ancien Régime, entre ordre politique et ordre…
Le catholicisme libéral de Lamennais
Félicité Robert de La Mennais fut une des personnalités intellectuelles les plus marquantes de la Restauration et de la…
Veto du roi au décret sur les prêtres réfractaires (juin 1792)
Le vote de ce décret, qui condamne les ecclésiastiques non assermentés à la…
Le Mouvement anticlérical à la veille de 1905
La France de la première décennie du XXe siècle est en proie à de nombreuses…
Henri IV et la paix
Depuis 1562 la France est plongée dans des guerres de religion. La mort de François duc d’Anjou en 1584, dernier frère d’Henri III lui-même sans…
La guerre de Vendée vue par la IIIe République
La chouannerie, opposition armée des paysans de l’Ouest de la France aux assemblées révolutionnaires, est un thème de prédilection…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel