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Hubbard, champion olympique du saut en longueur

Hubbard, champion olympique du saut en longueur

Date de création : Juillet 1924

Date représentée : Juillet 1924

Domaine : Photographies

© Musée National du Sport

Lien vers l'institution

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  • Hubbard, champion olympique du saut en longueur

William DeHart Hubbard, le saut de l’Amérique noire

Date de publication : Juin 2024

Auteur : Claude BOLI

Les Jeux Olympiques de Paris 1924 : l’avènement du sport spectacle

Vingt ans après l’organisation de la IIe olympiade, Paris se trouve une deuxième fois placé sous le faisceau des projecteurs olympiques. Les Jeux se déroulent entre le 4 mai et le 27 juillet 1924. Tout est différent. Le sport est au cœur de la manifestation. Aux yeux des organisateurs ce qui prime, ce sont la compétition, les moyens pour performer (installations) et la médiatisation. Ces Jeux marquent l’avènement du sport spectacle ; le couple media-sport se forme. Pour la première fois, les épreuves sont retransmises à la radio, 1000 journalistes (dont 189 journalistes français) couvrent l’événement. Les meilleurs athlètes sont idolâtrés pour leur exploits et leur charisme.

Un stade de 60 000 places, doté d’une piste d’athlétisme, est réalisé pour l’occasion par un architecte sélectionné par concours. Le premier village olympique, site entièrement consacré aux athlètes, est créé. Le spectacle se transforme en une fête marquée par des traditions, rituels et symboles qui évoquent un moment quasi religieux. Pour donner aux Jeux une dimension hautement culturelle, le concours d’art fournit la remarquable rencontre entre littérature et olympisme.

Présent aux Jeux Olympiques modernes de 1896, le saut en longueur connaît d’énormes évolutions techniques, notamment au niveau de la suspension, mouvement effectué par l’athlète alors qu’il est en l’air. L’épreuve consiste à franchir la plus grande distance possible en effectuant un saut dynamique au terme d’une course à très grande vitesse. Pour être capable d’obtenir une impulsion maximale et puissante, le sauteur est généralement un excellent sprinter du 100 m ou du 200 m.

Aux Jeux Olympiques de 1924, l’épreuve du saut en longueur se déroule au stade olympique Yves du Manoir de Colombes. La piste est installée à la parallèle de la tribune officielle où s’abritent les personnalités politiques et sportives (en particulier les membres du mouvement olympique). 34 athlètes de 21 pays s’affrontent. Au tour final, ils ne restent que 7 athlètes : deux Américains, un Norvégien, un Finlandais, un Français, un Britannique et un Italien. Pour accéder à la finale, l’Africain-Américain DeHart Hubbard (1903-1976) réalise 7 mètres 12, ce qui le place derrière les potentiels vainqueurs tels que le Norvégien Sverre Hansen (7 mètres 26) ou son compatriote américain Edward « Ned » Gourdin (7 mètres 19). Le concours est âprement disputé et les reporters s’y intéressent.

Depuis 1896, les athlètes américains raflent quasiment toutes les médailles d’or dans cette discipline intégrée à partir de 1876 dans les championnats d’athlétisme universitaire. La présence d’athlètes noirs dans la délégation américaine attise la curiosité d’un public (spectateurs et officiels) peu habitué à voir de si près les champions de « couleur ». Considéré comme le favori depuis ses titres de champion universitaire, Hubbard se transcende pour un saut spectaculaire qui marque ses Jeux. Il gagne le concours avec un saut de 7 mètres 445, remporte l’or au saut en longueur et devient le 1er Africain-Américain consacré dans une épreuve individuelle.

Cette carte postale immortalise ce moment et permet la diffusion de cet événement.

Capter le geste parfait

Regard fixe sur l’athlète et surtout sur le mouvement, le photoreporter a remarquablement saisi l’envolée de DeHart Hubbard ainsi que l’ambiance de la compétition. La vue panoramique livre différents éléments significatifs de cette manifestation. Le succès populaire est perceptible à travers la présence de nombreuses personnes à la fois dans la tribune officielle et dans les gradins non couverts. Au fond de l’image flottent les drapeaux de différents pays pour signifier le caractère international de l’événement. Comme toute compétition officielle, le concours est surveillé de près par les juges (un minimum de deux). Ils valident ou invalident le saut de l’athlète.

Hubbard apparaît presque en apesanteur. Bras droit tendu avec la main fermée, il effectue un mouvement dit de pédalage aérien ou de ciseau pour garder son équilibre, et surtout pour ne pas écourter son saut et gagner quelques centimètres à l'atterrissage. Hubbard est dominant, aérien, léger et également extrêmement tendu comme on peut l’apercevoir dans les muscles des deux bras. Le point de vue du cadre restitue de façon rare cette impression d’une coordination entre la vitesse de course, la puissance du saut et la force de la suspension en l’air. Les jambes musclées sont prêtes à assurer l’envol et la réception.

Après cette victoire, les sauteurs ont longtemps pris pour modèle le geste technique de Hubbard pour connaitre la joie de survoler l’épreuve.

Le sport, terrain de visibilité

Pour les Africains-Américains, le sport va constituer un important terrain de conquête sociale et de levier de reconnaissance. A la fin du XIXe siècle, moment de l’essor de la pratique sportive, les Noirs sont exclus du système éducatif. Seuls quelques enfants de « bonnes familles », surtout dans le nord du pays, sont admis dans les équipes de football ou de baseball. Dans les années 1880-90, Isaac Burns Murphy (né esclave) (1) remporte avec panache plusieurs courses prestigieuses dont le Kentucky Derby. Admiré de tous, il est élevé au rang de figure nationale. A l’aube du XXe siècle, un cycliste au talent extraordinaire émerge : Marshall Walter Taylor (2). Il est champion du monde sur piste en 1899, et détient plusieurs records du monde de vitesse. C’est une star internationale. De 1908 et 1915, le boxeur Jack Johnson (3) est le premier noir champion du monde et le maître incontestable de la catégorie suprême, celle des poids lourds. Dans le domaine de l’athlétisme, John Baxter Taylor Jr. (4) est un pionnier. Aux Jeux Olympiques de Londres 1908, il devient le premier Noir à représenter les États-Unis dans une compétition sportive internationale et aussi le premier à décrocher une médaille d’or lors du relais 4 fois 400 mètres.

Aux Jeux de Paris 1924, c’est au tour de DeHart Hubbard d’entrer dans l’histoire du poids significatif des Africains-Américains dans l’espace sportif. Le natif de Cincinnati (Ohio) connaît une brillante carrière étudiante et sportive. Excellent lycéen (Walnut Hills), il intègre aisément les études supérieures à l’Université du Michigan en 1921. Là-bas, il est parmi les athlètes qui excellent dans plusieurs disciplines (sprint, saut en hauteur, triple saut). En 1922-1923, il remporte plusieurs concours de courses de sprint (100 et 200 mètres), de saut en longueur, et du triple saut dans les compétitions universitaires et des championnats des États-Unis d’athlétisme. Il se rapproche également du record du monde de la longueur de son compatriote Edward Gourdin en effectuant 7 mètres 67. Ses succès aux 100 mètres et au saut en longueur des championnats Big Ten (compétitions qui réunissent les dix plus prestigieuses universités) le propulsent dans la liste des athlètes sélectionnés pour les Jeux de Paris 1924. Dans la capitale parisienne, son envol magistral lui permet de marquer l’histoire puisqu’il devient le premier Africain-Américain à remporter un titre olympique en individuel.

Florence Pizzorni-Itié, Les Yeux du stade. Colombes, temple du sport, Colombes, Albaron, 1993.

Thierry Terret, Les Paris des Jeux Olympiques de 1924, 4 volumes, Biarritz, atlantica, 2008;

Nicolas Martin-Breteau, Corps politiques. Le sport dans les luttes des Noirs américains pour la justice depuis la fin du XIXe siècle, Paris, EHESS, 2020.

Collectif : Olympisme. Une histoire du monde, des premiers Jeux olympiques d'Athènes 1896 aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, catalogue de l'exposition au Palais de la Porte Dorée, Editions de La Martinière, Paris, 2024.

1 - Isaac Burns Murphy (1861-1896) : le père de Isaac Burns Murphy s'est enrôlé pendant la Guerre de Sécession auprès des Nordistes, il meurt dans un camp de prisonniers sudistes. Sa mère, à la mort de son mari, s'installe à Lexington et travaille dans une écurie. Un entraineur noir, Eli Jordan, remarque Isaac Burns Murphy et le forme comme jockey. Murphy fait alors une carrière de jockey remarquable, il gagne près de 600 courses hippiques, remporte 3 fois le Kentucky Derby, il est le premier cavalier à avoir un tel palmarès. Il est considéré comme un des meilleurs jockeys de l'histoire.

2 - Marshall Walter Taylor (1878-1932) : coureur cycliste noir américain, Marshall Walter Taylor, dit Major Taylor est champion du monde professionnel de vitesse à Montréal en 1899. Il est le premier noir à connaître une carrière sportive international. Considéré comme le cycliste sur piste le plus rapide du monde, celui qui est surnommé le Nègre volant ou le Black Cyclone met fin à sa carrière en 1910, lassé d'être la cible des racistes.

3 - Jack Johnson (1878-1946) : né dans une famille pauvre d'esclaves affranchis, Jack Johnson devient le premier champion du monde noir des poids lourds en 1908 en Australie. En 1910, il bat le champion blanc Jim Jeffries dans le Nevada devant un public blanc, la victoire de Jack Johnson soulève une vague d'émeute raciale des Blancs contre les Noirs aux États-Unis.

4 - John Baxter Taylor Jr.  (1882-1908) : étudiant à l'université de Philadelphie, John Baxter Taylor Jr. est un athlète noir américain qui participe aux Jeux Olympiques de Londres de 1908. Il est le premier africain-américain à remporter une médaille d'or aux Jeux Olympiques.

Claude BOLI, « William DeHart Hubbard, le saut de l’Amérique noire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 31/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/william-dehart-hubbard-saut-amerique-noire

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