Assassinat du duc de Guise
Auteur : DELAROCHE Paul
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Blois)
site web
Date de création : après 1834
Date représentée : 23 décembre 1588
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais / Gérard Blot
03-003461 / Inv. 895.3.2
L’assassinat du duc de Guise
Date de publication : Décembre 2019
Auteur : Nicolas LE ROUX
Ce tableau est une réplique d’atelier d’une œuvre conservée au musée Condé du château de Chantilly. Le tableau original a été commandé par Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans, le fils aîné du roi Louis-Philippe. Achevé en 1834, il a été exposé au Salon de 1835. La réplique a probablement été réalisée pour servir de modèle à une gravure.
Les années 1830 sont un moment important dans la construction d’un imaginaire historique national à travers des productions picturales commandées soit par le roi, soit par le duc d’Orléans, qui était un grand collectionneur et mécène. Le château de Versailles, qui est transformé en 1837 en musée dédié « à toutes les gloires de la France », accueille ainsi de nombreuses compositions historiques, notamment la série des grandes batailles censées avoir fait la France.
Paul Delaroche a étudié la peinture auprès de Louis-Étienne Watelet puis d’Antoine-Jean Gros, le grand peintre de l’épopée napoléonienne. Il se spécialise dans la peinture d’histoire et commence à exposer au Salon en 1822. Delaroche, qui est également un portraitiste renommé, rencontre un grand succès. Il enseigne à l’École des beaux-arts de Paris et entre à l’Institut de France en 1832. Tous les critiques ne sont pas impressionnés par l’art de Delaroche, et Théophile Gautier lui-même l’a exécuté dans l’article qu’il a consacré au Salon de 1834 : « […] M. Delaroche, médiocre inventeur, médiocre dessinateur, médiocre coloriste ; médiocre est ici un terme poli. […] Quelle différence entre M. Eugène Delacroix et M. Delaroche ! Le premier est un peintre, un artiste dans la plus grande étendue du mot, l’autre ne sera jamais, quoi qu’on fasse, qu’un ouvrier de talent, qu’un arrangeur assez adroit et rien de plus. »
L’époque se passionne pour les anecdotes historiques mises en images. On s’intéresse aux destinées tragiques des princes et des princesses du Moyen Âge et des XVIe et XVIIe siècles. L’intérêt pour les guerres de Religion commence à la fin des années 1820, quand Ludovic Vitet publie une série de scènes historiques – Les Barricades (1826), Les États de Blois (1827) et La Mort de Henri III (1829) –, mais il est surtout stimulé par la création au Théâtre-Français, en février 1829, d’un drame composé par le jeune Alexandre Dumas : Henri III et sa cour. L’action se déroule en 1578, et le duc de Guise apparaît comme un mari soucieux de son honneur. Après avoir assassiné l’amant de sa femme, Saint-Mégrin, l’un des mignons du roi, le duc lance un défi au souverain dans sa dernière réplique : « Bien ! et maintenant que nous avons fini avec le valet, occupons-nous du maître. » La pièce remporta un triomphe, et l’on sait que Delaroche s’est penché sur sa scénographie.
L’œuvre est de format moyen allongé (environ 1 m de large, sur une cinquantaine de centimètres de hauteur), qui rappelle certaines compositions de Gros. Elle a une apparence très scénographique : si le plafond n’était pas visible, on pourrait se croire sur la scène d’un théâtre, avec son décor chargé et ses tentures.
L’œil est attiré par le groupe de personnages qui se trouve sur la gauche du tableau. Le roi Henri III, écartant une tapisserie rouge, entre dans la chambre. Devant lui se trouve une troupe d’hommes armés : il s’agit de membres de la compagnie des Quarante-Cinq. Les costumes sont extrêmement travaillés, conformément au goût de Delaroche pour les détails historiques. On se croirait devant une galerie de figures théâtrales.
La richesse des costumes et du décor pourrait détourner l’attention du véritable sujet de la scène, la mort d’Henri de Lorraine, duc de Guise, mais l’un des Quarante-Cinq, à la droite du groupe, tend son épée en direction du cadavre. Vêtu d’un habit de satin gris perle, le ruban bleu de l’ordre du Saint-Esprit au cou, il gît au pied d’un lit à baldaquin, éclairé par une lumière tombant artificiellement de haut, ce qui garantit l’effet théâtral de la scène. Une chaise renversée indique la violence de la lutte. S’il n’y a guère de sang sur le pourpoint de la victime, il semble symboliquement répandu dans le rouge du rideau.
L’assassinat du duc de Guise s’est déroulé dans le château de Blois, le 23 décembre 1588. Delaroche ne laisse rien entendre des motifs d’Henri III et des causes de la mise à mort du duc. Néanmoins, à l’arrière-plan, sur le mur du fond, une Crucifixion invite à voir une analogie entre les souffrances du duc, qui a les bras en croix, et celles du Christ. Le duc était en effet le chef de la Ligue, ce rassemblement de catholiques intransigeants qui n’acceptaient pas qu’un protestant puisse un jour monter sur le trône de France. Depuis 1584, l’héritier de la couronne était en effet Henri de Navarre, et ce prince n’était pas catholique. Les ligueurs imposèrent au roi de revenir sur les édits de Tolérance, en juillet 1585, et le royaume sombra dans la guerre civile. En mai 1588, le duc de Guise brava les ordres du roi en venant à Paris. Henri III fit entrer des troupes dans la capitale, mais la milice prit les armes. Le roi, menacé, s’enfuit le lendemain. Espérant regagner un peu d’autorité, il convoqua les états généraux à Blois, mais la majorité des députés étaient favorables aux idées ligueuses. Alors que le duc de Guise voulait imposer son contrôle sur le conseil royal, Henri III prépara en secret son assassinat.
Au début des années 1830, les troubles des guerres de Religion n’étaient plus qu’un lointain souvenir, mais la crainte de la guerre civile, les dangers posés par les questions de succession et de légitimité dynastique, ou encore les traumatismes provoqués par les attentats politiques étaient d’actualité. Le duc de Berry (fils du futur Charles X, et donc héritier probable de la couronne) avait ainsi été assassiné en 1820. Les bruits de complots ou de séditions se multiplièrent après l’avènement de Louis-Philippe. Des légitimistes envisageaient de capturer le roi à l’occasion d’un bal aux Tuileries, mais le complot fut éventé au début de 1832. Quelques mois plus tard eut lieu une tentative de soulèvement en Vendée…
Le tableau de Delaroche a été immédiatement admiré en raison de sa qualité très théâtrale. Ce succès étonna pourtant certains observateurs. Hilaire-Léon Sazerac, qui publia une série de lettres à propos du Salon de 1835, faisait partie des sceptiques : « Mais, indépendamment des ouvrages dont nous venons de donner une nomenclature succincte, il en est un qui excite un enthousiasme tel que, jamais peut-être de mémoire d’homme, on n’en vit de semblable et de si singulièrement exprimé. Les claqueurs de tous les théâtres de Paris et de la banlieue sont (qu’on nous passe la trivialité du mot en faveur de la justesse de son application) enfoncés par les fanatiques admirateurs qui se pressent à l’entour d’un tableau de petite dimension. Le sujet de ce tableau est un de ces crimes politiques dont la famille de Catherine de Médicis ne fut jamais avare : c’est l’Assassinat du duc de Guise au château de Blois, et l’auteur de ce tableau est M. Delaroche. » (H.-L. Sazerac, « Deuxième lettre : 5 mars 1835. Aspect général de l’exposition », dans Lettres sur le Salon de 1835, Paris, s. éd., s. d., p. 30-31.)
Au cours des années suivantes, le goût romantique pour les drames historiques ne se démentit pas. En 1836, l’opéra de Meyerbeer, Les Huguenots, remporta un succès extraordinaire. Alexandre Dumas lui-même revint à cette période dans les années 1840 avec sa trilogie La Reine Margot, La Dame de Monsoreau et Les Quarante-Cinq.
Nicolas LE ROUX, « L’assassinat du duc de Guise », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/assassinat-duc-guise
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