Le Chancelier Séguier
Auteur : LE BRUN Charles
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1660-1661
H. : 295 cm
L. : 357 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Franck Raux
RF 1942 3 - 16-514515
Pierre Séguier, chancelier de France
Date de publication : Avril 2016
Auteur : Jean HUBAC
L’hommage d’un peintre à son protecteur
Charles Le Brun a moins de 40 ans lorsqu’il réalise cette grande toile, probablement entre 1654 et 1657. A cette date, il est déjà un artiste confirmé et reconnu qui jouit de la faveur de la haute noblesse. C’est la protection de Pierre Séguier qui lance justement sa carrière à la fin des années 1630 et lui permet de côtoyer les peintres Simon Vouet et Nicolas Poussin. Il fréquente les cercles mondains de la cour, ce qui lui vaut d’obtenir de prestigieuses commandes, comme celle de Richelieu pour le Palais-Cardinal. Il déploie ses talents de décorateur dans la haute société parisienne et sait répondre avec succès aux attentes de ses commanditaires, avant de faire partie de l’équipe que Nicolas Fouquet mobilise à Vaux-le-Vicomte entre 1658 et 1661 et de séduire le jeune Louis XIV, auquel il reste ensuite attaché jusqu’à sa mort. Si Séguier est bien le protecteur de la première carrière de Le Brun – il est le patron de l’Académie de peinture et de sculpture née en 1648 et dont Le Brun est un des membres fondateurs après son retour de Rome –, il cède la place au roi, qui achève de faire de Le Brun le peintre du classicisme et de la grandeur monarchique, en particulier dans le programme iconographique du château de Versailles.
Le portrait du chancelier Séguier est donc autant l’hommage d’un artiste à son patron et mécène – dans la logique clientéliste de la société d’Ancien Régime – que la célébration du premier grand officier de la Couronne de France par un peintre officiel. Pierre Séguier est l’homme de confiance de Richelieu au moment où il accède à la garde des Sceaux (1633), puis à la chancellerie (1635). Cette fonction prestigieuse et attachée à son titulaire de manière viagère lui assure une influence considérable jusqu’aux années 1640, décennie au cours de laquelle il perd progressivement son entregent.
Pierre Séguier est âgé de près de 70 ans lorsque Le Brun réalise son portrait équestre. Sans pouvoir en déterminer la destination, cette œuvre est sans doute une commande privée du chancelier, pensée par son commanditaire à un moment où il voulait réaffirmer son autorité.
L’incarnation de la justice
Au centre de la composition, le chancelier à cheval fixe du regard le spectateur et l’invite à participer à la pompe monarchique. Protégé par deux parasols de cérémonie tenus par de jeunes pages, Séguier porte un costume d’apparat fait de drap d’or et un chapeau de velours noir à large bord doré. Il avance avec gravité, assurance et autorité, au pas de son cheval blanc dont la robe est recouverte d’une garniture aux couleurs proches de celles du manteau du cavalier. Les huit pages qui escortent le chancelier – et dont ne sont réellement visibles que six d’entre eux – semblent former une ronde chorégraphiée avec lenteur et affectation dans les postures, comme si chaque jeune homme pouvait illustrer une pose gracieuse indépendamment de ce contexte. Certains tiennent les parasols, d’autres les rennes, d’autres enfin les cordons de la garniture du cheval.
Le décor est quant à lui volontairement réduit à un ciel nuageux (aube ou crépuscule ?) et à une ligne d’horizon épurée, afin de ne pas divertir l’attention du spectateur et de ne pas inscrire la dignité du grand officier dans un événement particulier.
Le chef d’œuvre testamentaire de la chancellerie
Interprétée successivement comme le portrait de l’entrée solennelle du chancelier dans Rouen en 1640, puis comme celui de son entrée dans Paris en 1660 à l’occasion de l’arrivée de la jeune reine Marie-Thérèse, cette toile porte pourtant le style caractéristique du Le Brun des années 1653-1657, selon l’historien de l’art Jacques Thuillier. C’est pourquoi Yannick Nexon opte pour une vision atemporelle de la dignité chancelière, exprimée ici dans un cortège où le luxe est au service de la grandeur souveraine. Le portrait fige ainsi au milieu des années 1650 l’image de la chancellerie dans un absolu somptuaire. Cette interprétation est d’autant plus probable que Séguier ne récupère les Sceaux qu’en 1656, après que Mazarin les lui a retirés en 1650. En 1655, le chancelier doit encore composer avec le garde des Sceaux Mathieu Molé et affirmer son autorité, quoiqu’amoindrie. En 1656, Séguier retrouve une influence importante dans l’entourage royal. Qu’il ait été réalisé en 1655 ou en 1656, le portrait de Le Brun participe donc à l’exaltation du pouvoir du chancelier à un moment stratégique et charnière.
A la fin des années 1650, le chancelier vit ses dernières années de pleins pouvoirs. En effet, de 1661 à sa mort en 1672, Séguier – il est vrai âgé et fatigué – ne joue plus qu’un rôle de second plan, relégué par Louis XIV dans des fonctions plus honorifiques que réellement influentes. C’est ainsi que le chancelier perd son autorité sur les intendants et doit céder devant la toute-puissance du contrôleur des finances Colbert. Cette œuvre exprime donc paradoxalement la grandeur d’une fonction qui entame son déclin institutionnel. Illustration éclatante des derniers feux de la monarchie de justice, le tableau de Le Brun est ainsi le témoignage d’un système qui cédera le pas, peu de temps après, à une monarchie de finances.
GADY Bénédicte, L’ascension de Charles Le Brun : liens sociaux et production artistique, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Passages » (no 29), 2010.
GAREAU Michel, avec la coll. de BEAUVAIS Lydia, Charles Le Brun : premier peintre du roi Louis XIV, Paris, Hazan, 1992.
NEXON Yannick, Le chancelier Séguier (1588-1672) : ministre, dévot et mécène au Grand Siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », 2015.
Jean HUBAC, « Pierre Séguier, chancelier de France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/pierre-seguier-chancelier-france
Lien à été copié
Découvrez nos études
Les Avocats à la cour d'assises
Les Français du XIXe siècle se passionnent non seulement pour les « types » sociaux, mais aussi pour les…
Les Quatre sergents de La Rochelle
En 1820, la lutte qui oppose libéraux et partisans de l’Ancien Régime a pris en France une violence nouvelle à la suite de l’assassinat du duc de…
La perception de l’impôt et la place de l’écrit dans les campagnes
Daté de 1617 dans la version du musée du Louvre, ce tableau est connu à plusieurs dizaines d’exemplaires à travers le monde,…
Les martyrs de prairial
Exacerbée par la crise sociale, la famine et le chômage, exaltée par la répression et la persécution menées contre les militants sectionnaires à…
La Voisin et l’affaire des poisons
Entre 1676 et 1682 éclate à Paris l’affaire des poisons : la mise au jour par la…
La légende de Louis Mandrin
La criminalité du XVIIIe siècle a laissé dans la mémoire collective un nom encore célèbre aujourd'hui : Louis Mandrin (1725-1755). C'…
L’Affaire Calas
L’affaire Jean Calas commence le 13 octobre 1761, lorsque ce négociant protestant…
La prison panoptique
La prison moderne est née sous la Révolution : c’est à ce moment qu’elle devient la base de la pénalité française. En 1791, Le Pelletier de Saint-…
Faits divers criminels
Tout au long du XIXe siècle, la croissance significative de la population urbaine et…
Pierre Séguier, chancelier de France
Charles Le Brun a moins de 40 ans lorsqu’il réalise cette grande toile, probablement entre 1654 et 1657. A…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel