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Seconde chambre des apartemens

Seconde chambre des apartemens

Date de création : 1694

H. : 39,2 cm

L. : 49,9 cm

burin et eau-forte

Domaine : Estampes-Gravures

© Château de Versailles, dist. RMN - Grand Palais / Christophe Fouin

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16-574840 / INV.GRAV 585

  • Seconde chambre des apartemens
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Seconde chambre des appartements

Date de publication : Février 2020

Auteur : Stéphane BLOND

Les soirées d’appartement

Intitulée Seconde chambre des apartemens, cette estampe s’insère dans une série de six représentations de même format gravées par Antoine Trouvain entre 1694 et 1696.

Né en 1652, Trouvain est l’élève du graveur Gérard Edelinck (1640-1707) et l’auteur d’une large collection de portraits gravés de courtisanes et courtisans du règne de Louis XIV.

L’origine de cette commande également déclinée dans une version aquarellée n’est pas connue, mais la légende placée sous le titre de l’estampe confirme que son auteur exerce avec l’autorisation de la Librairie, l’administration de la censure royale : « Gravé à Paris par A. Trouvain rue St. Jacques au grand Monarque attenant les Mathurins Avec privilège du Roy. »

En 1705, Trouvain est un artiste reconnu, car il prépare deux pièces de réception à l’Académie royale de peinture et sculpture, mais il meurt en 1708, peu de temps avant d’être reçu.

Depuis le mois de mai 1682, la cour est installée à Versailles, alors que les aménagements du palais et du parc se poursuivent. Au début, le roi réside au premier étage, dans le Grand Appartement qui forme une enfilade de salons d’apparat, de réception et de vie.

En plus des activités politiques, de la chasse et des promenades qui rythment le quotidien du roi, le soir, le Grand Appartement devient le théâtre de jeux et divertissements appelés « soirées d’appartement ». Ces plaisirs sont bien décrits au début des Mémoires du duc de Saint-Simon (1675-1755) : « […] le soir il y avait appartement, ce qui arrivait l’hiver trois fois la semaine, les trois autres jours comédie et le dimanche rien. » Dès 1682, les soirées sont organisées pendant la saison froide, de 19 heures à 22 heures trois jours par semaine, généralement le lundi, le mercredi et le jeudi. C’est le roi qui désigne et reçoit ses invités, y compris pendant les conflits, comme ici lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697).

Le graveur réalise une sorte d’instantané de l’une de ces soirées, avec les agréments qui se déroulent dans six pièces appelées « chambres d’appartement ». La première gravure évoque le jeu des portiques ou Trou-Madame, un jeu d’adresse avec des palets. La seconde estampe, celle qui nous intéresse, représente les jeux de cartes dans le salon de Mercure qui servit par ailleurs de chambre du roi. Sur la troisième gravure, le roi joue au billard dans le salon de Diane. Sur la quatrième, on danse dans le salon d’Apollon. Sur la cinquième, on écoute de la musique dans le salon de Mars où sont installées deux tribunes de part et d’autre de la cheminée. Enfin, la sixième et dernière estampe fait référence aux buffets installés pour les courtisans dans le salon de Vénus.

Les jeux de la famille royale

La scène de cette estampe se déroule dans le salon de Mercure qui est dédié aux jeux de hasard, sans qu’il faille y chercher une représentation exacte de l’appartement royal.

Cette pièce accueille un petit groupe de sept personnes, autour d’une table ronde où l’on pratique le lansquenet. Ce jeu de cartes suppose la présence d’un « banquier » (ici, le Grand Dauphin) qui distribue une première carte à chaque joueur appelé « coupeur ». Sur cette carte visible de tous, les coupeurs font une mise et attendent la suite de la distribution, dans le but d’obtenir un maximum de cartes de même valeur que la première afin d’emporter la partie.

Cinq des sept personnages sont directement identifiés à partir de renvois numériques entre l’estampe et une légende placée de part et d’autre du titre. Il s’agit de princes et princesses de sang royal qui forment les représentants les plus importants de la cour entourant le monarque.

Au centre, on observe « Monseigneur » (no 1), le Grand Dauphin Louis de France (1661-1711), premier fils de Louis XIV.

À sa gauche, on remarque « Madame la Princesse de Conty Douairière » (no 5) : Marie-Anne de Bourbon (1666-1739) est la fille légitimée des amours entre le roi et Louise de La Vallière. En 1680, elle se marie avec Louis-Armand de Bourbon-Conti, neveu du Grand Condé qui décède en 1685 de la petite vérole contractée par son épouse. Elle lui survit et devient princesse douairière.

À la droite du Grand Dauphin, on repère « Monseigneur le Duc de Bourbon » (no 2) : Louis III de Bourbon-Condé (1668-1710) est prince de sang, petit-fils du Grand Condé, officier des armées du roi et Grand Maître de France. Cet office lui attribue la direction des services prestigieux de la Maison du Roi, comme le sacre ou le grand couvert.

Le duc se penche vers sa voisine de table qui est aussi son épouse, « Madame la Duchesse de Bourbon » (no 3) : Louise-Françoise de Bourbon (1673-1743) est une autre fille légitimée du roi, issue de sa liaison avec Madame de Montespan.

Le dernier personnage identifié, debout derrière la princesse de Conti, est « Monsieur de Vandôme, grand Prieur de France » (no 4) : arrière-petit-fils du roi Henri IV, Philippe de Vendôme (1655-1727) sert Louis XIV comme lieutenant général de ses armées. Depuis 1678, il est également grand prieur de France au sein de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Le personnage représenté de dos n’est pas identifié.

Celui qui se trouve à l’arrière du Grand Dauphin (no 6) pourrait être le jeune duc de Bourgogne (1682-1712), qui n’apparaît pas sur les autres gravures. Le fils du Grand Dauphin, alors âgé de 12 ans, poursuit son apprentissage du pouvoir, car il est héritier présomptif en ligne directe. Le 14 avril 1711, il obtient le titre de Dauphin de France à la mort de son père qui est terrassé par la variole. Il meurt à son tour sans régner, le 18 février 1712, d’une épidémie de rougeole.

La société de cour

En plus d’être une source inestimable sur les divertissements de la cour de Louis XIV, la série de Trouvain permet de connaître les us et coutumes du château de Versailles. Traditionnellement décrit comme une prison dorée pour des nobles dont le sort est lié à leur relation permanente avec le roi, le palais est un théâtre : les règles de préséance ou de rangs protocolaires régissent l’étiquette. Selon les termes du sociologue allemand Norbert Elias (1897-1990), cet ensemble de pratiques décrit une « société de cour ». Certes, l’étiquette s’assouplit lors des soirées d’appartement, mais la stratégie de séduction opère toujours auprès du roi, mais aussi des principaux représentants de sa famille qui servent de relais aux ambitions courtisanes. En 1694, lorsque le graveur commence son œuvre, le roi délaisse de plus en plus les soirées d’appartement, mais Saint-Simon affirme que les courtisans restent nombreux et la quête de distinction perdure : « Au commencement que cela fut établi, le roi y allait et y jouait quelque temps ; dès lors il y avait longtemps qu’il n’y allait plus, mais il voulait qu’on y fût assidu, et chacun s’empressait à lui plaire. » Les jeux et divertissements s’achèvent avec le souper au grand couvert, autre moment clé de l’étiquette versaillaise avant le coucher qui clôt la journée du roi.

Enfin, les soirées d’appartement mettent également en œuvre des codes de représentation. Le « paraître » tient une place majeure dans la concurrence que se font les nobles au sein de cet univers clos. Ce principe est décrit sur la gravure par la richesse des vêtements, les bijoux et la toilette des participants qui répondent à des effets de mode, à l’instar des hautes perruques et des mouches portées par les personnages. Au XVIIIe siècle, le collectionneur Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) ne s’y était pas trompé, car il compila une série de gravures d’Antoine Trouvain dans un recueil en quatre tomes intitulé les Costumes de France.

ELIAS Norbert, La société de cour, Paris, Flammarion, coll. « Champs » (no 144), 1985.

LEFERME-FALGUIÈRES Frédérique, Les courtisans : une société de spectacle sous l’Ancien Régime, Paris, Presses universitaires de France / Le Monde, coll. « Partage du savoir », 2007.

LEGRAND Anne-Sophie, « Antoine Trouvain (1652-1708) : graveur et éditeur d’estampes », mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Paris, université Paris IV – Sorbonne, 1995.

LEVRON Jacques, La cour de Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 339), 2010 (1re éd. 1996).

SABATIER Gérard, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel de l’histoire », 1999.

SOLNON Jean-François, La cour de France, Paris, Fayard, coll. « Les nouvelles études historiques », 1987.

ZIEGLER François, Villars : le centurion de Louis XIV, Paris, Perrin, 1996.

Ligue d’Augsbourg : Guerre et conflit qui oppose la France à une coalition européenne de 1688 à 1697. Pour Louis XIV, il s’agit de continuer une politique d’annexion de territoires.

Étiquette : Cérémonial et usage dans une cour royale, auprès d’un chef d’État, une réception officielle… Protocole officiel.

Préséance : Droit issu d’un privilège, créé par l’usage ou institué par une règle, de prendre place au-dessus de quelqu’un, de le précéder dans une hiérarchie protocolaire.

Mouche : Petit morceau de tissu noir que les femmes et les hommes se collaient sur le visage aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Dauphin : À partir de 1349, le fils aîné du roi de France, héritier du trône de France, porte le titre de Dauphin. L’épouse du Dauphin est appelée la Dauphine. Par extension, on appelle « dauphin » l’héritier ou le successeur d’une personne.

Stéphane BLOND, « Seconde chambre des appartements », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 20/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/seconde-chambre-appartements

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