Les philanthropes du jour.
Convention relative à la suppression de la traite des noirs.- Londres, 29 mai 1845.
Les philanthropes du jour.
Auteur : DAUMIER Honoré
Lieu de conservation : archives départementales de la Martinique (Fort-de-France)
site web
H. : 23,1 cm
L. : 20,8 cm
Lithographie. Caricature parue dans Le Charivari du 6 décembre 1844. "Les philanthropes du jour", suite de 34 pièces, 1844.
Domaine : Estampes-Gravures
© Archives départementales de la Martinique
15 Fi 140
La traite illégale
Date de publication : Avril 2007
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
La traite illégale
La traite illégale
Réprimer la traite
Avant que n’éclate la Révolution en France, l’Angleterre et la France pratiquaient toutes deux la traite des Noirs. Au début du XIXe siècle, l’Angleterre, devenue abolitionniste, supprime la traite, en 1807, puis l’esclavage, en 1833. En France, l’évolution des mentalités est moins rapide ; si l’esclavage avait été aboli par la Convention en 1794 en France, Bonaparte le rétablit en 1802, ainsi que la traite, implicitement. Louis XVIII interdit celle-ci en 1818 mais reste partisan de mesures progressives ; de ce fait, les armateurs français poursuivent la traite. Plusieurs lois abolitionnistes seront nécessaires pour décourager ce trafic illégal.
L’Angleterre, championne de l’abolition de la traite, mène une action internationale pour purger les côtes de l’Afrique des trafiquants d’esclaves. Elle passe des conventions avec divers pays et utilise le droit de visite, pour contraindre les navires à les respecter. La France organise aussi peu à peu une surveillance des côtes d’Afrique par sa marine.
Peu après l’avènement de Louis-Philippe, une convention bilatérale est passée avec l’Angleterre pour coordonner la surveillance des côtes de l’Afrique en exerçant un droit de visite réciproque (1831 et 1833). La France est le seul pays à participer avec sa marine à la répression du trafic négriers. Les navires de l’Angleterre se déploient, à partir du Sierra Leone, pour contrôler les foyers négriers du Bénin et du Golfe de Guinée. Les navires français sont basés à Saint-Louis du Sénégal et à Gorée. Des commissions mixtes sont chargées de juger sans appel les négriers saisis par les croisières de répression. Cette action concertée permet une régression sensible de la traite, à partir de 1840.
Mais la France de Louis-Philippe, qui n’a pas encore aboli l’esclavage, reste avant tout soucieuse de ne pas apparaître à la remorque de l’Angleterre. Une « crise du droit de visite » agite bientôt la vie politique. L’orgueil national est attisé par une lutte de pouvoir entre Adolphe Thiers, écarté des Affaires étrangères en raison de sa politique aventureuse contre l’Angleterre, et François Guizot, son remplaçant au ministère. Lorsque Guizot tente de mettre à jour la convention avec l’Angleterre, en décembre 1841, des mois de débats parlementaires et de multiples articles dans la presse, orchestrés par Thiers, empêchent sa ratification.
La visite des bateaux français par la marine anglaise, suscite en France un antagonisme viscéral contre l’Angleterre, renforcé par diverses affaires montées en épingle, telle la saisie par les Anglais, en 1839, de la Sénégambie, qui transportait non des captifs mais des travailleurs engagés pour Cayenne.
En réalité, les deux marines ne saisissent plus de captifs noirs sur les navires français car la traite française n’existe plus. Le droit de visite qui enflamme l’opinion française n’a plus de raison d’être en 1844. La traite a pris des voies plus complexes, sous d’autres pavillons.
« Les philanthropes du jour »
Daumier caricature l’exercice du droit de visite des navires par la marine anglaise pour lutter contre la traite des Noirs dans Le Charivari du 6 décembre 1844. Fièrement campé sur le pont d’un navire, un officier anglais domine du regard deux grands Noirs, interloqués et mécontents, qui plient les genoux et croisent les bras, le dos courbé. Il a saisi le bateau négrier qui les transportait et les a délivrés, mais il les contraint maintenant- ô mauvaise surprise ! - à travailler quatorze ans dans les colonies anglaises. Un marin rit de toutes ses dents de ce bon tour. L’invraisemblable silhouette ventripotente du capitaine, les épaules tombantes sous l’uniforme chamarré, incarne la suffisance et l’habileté de l’Angleterre. La caricature exaspère les esprits contre la puissante « Maîtresse des mers » qui fait progresser ses propres intérêts économiques et stratégiques, sous couvert de philanthropie.
Avec jubilation, Daumier joue sur un l’anglophobie, très répandue en France. Ce sentiment engendré par des décennies de guerres entre les deux pays et par la défaite de l’Empire, se nourrit du ressentiment contre les succès de l’Angleterre.
Daumier donne pour une fois la parole aux Noirs mais leur avis n’est pas pris en compte : la répression est affaire de Blancs. A l’époque, le droit international est une pratique occidentale ; les Noirs doivent s’y plier, quelles qu’en soient les retombées matérielles, sociales ou économiques. En pratique, s’ils soient saisis par des Anglais ou des Français, les captifs connaissent des sorts équivalents. Ils ne sont pas ramenés à leur point d’embarquement où ils ne pourraient rester en liberté ; les deux pays les font parfois servir plusieurs années avant de leur accorder la liberté mais ils sont nombreux à s’installer au Sierra Leone.
Toutes à leur rancune nationaliste, l’opinion et la presse françaises se bornent à rejeter toute nouvelle convention avec l’Angleterre, comme humiliante. Pendant ce temps le trafic illégal d’êtres humains perdure et la cause des Noirs reste bien lointaine.
Convention bilatérale
Face à la crise du droit de visite, Guizot doit déployer habileté et détermination pour maintenir un accord diplomatique. En décembre 1844, il reprend l’initiative d’un contact avec l’Angleterre, ce qui a sans doute suscité cette caricature. Pour calmer l’opinion toujours désireuse d’égaler l’Angleterre, Guizot fait aboutir l’idée d’une parité des marines françaises et anglaises pour surveiller la côte d’Afrique.
La crise est surmontée par la nouvelle convention du 29 mai 1845, mais à quel prix ! La France envoie 26 navires de guerre, soient 2840 hommes et 222 canons, croiser au large de l’Afrique.
Les signataires français, Louis de Baupoil, comte de Saint-Aulaire, ambassadeur à Londres, et l’anglophile Victor de Broglie, ancien ministre des Affaires étrangères, apposent un sceau à leurs armes, un usage qui a encore cours en cette première moitié du XIXe siècle. Suivent les signataires anglais : Lord Aberdeen, principal Secrétaire d’Etat pour les Affaires étrangères et Stephen Lushington, juge de la haute cour d’Amirauté. Le triple lien de fils de soie bleu blanc rouge qui relie les cachets au bas des deux versions linguistiques symbolise la nouvelle solidarité instituée par le traité et reste considéré comme une précaution contre une fraude éventuelle.
Cette croisière française dispendieuse sera supprimée par la Seconde République qui abolit l’esclavage, en 1848.
Survivance de la traite illégale
La traite des Noirs se prolonge pendant plusieurs décennies au XIXe siècle après sa condamnation par l’Angleterre, puis par la France et la plupart des nations occidentales. Le système international de répression ne suffit cependant pas à y mettre un terme. Car après 1848, il existe encore une demande de captifs dans les colonies néerlandaises et espagnoles et au Brésil, où l’esclavage subsiste. La traite ne disparaîtra de l’Atlantique qu’ au tournant des années 1860.
Au total cependant, la répression menée au XIXe siècle par les marines anglaise et française permet à 160 000 Africains d’échapper à l’esclavage et, parmi eux, 96 000 s’installent en Sierra Leone.
Serge DAGET La répression de la traite des Noirs au XIXe siècle : l'action des croisières françaises sur les côtes occidentales de l'Afrique, 1817-1850 Paris, Karthala, 1997.
David ELTIS Economic Growth and the Ending of the Trasatlantic Slave Trade, New York, Oxford University Press, 1987.
Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions Direction des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « La traite illégale », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/traite-illegale
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