Prise de Jérusalem, 15 juillet 1099
Prédication de la deuxième croisade à Vézelay, 31 mars 1146
Prise de Jérusalem, 15 juillet 1099
Auteur : SIGNOL Émile
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1847
Date représentée : 15 juillet 1099
H. : 324 cm
L. : 557 cm
huile sur toile représentant Godefroy de Bouillon rendant grâce à Dieu en présence de Pierre l'ermite après la prise de la ville
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot
12-551719 / MV 360
Les croisades
Date de publication : Décembre 2019
Auteur : Alexandre SUMPF
Retrouver les croisades
Les deux tableaux peints par Émile Signol peuvent être contemplés dans des salles du château de Versailles qui ont récemment rouvert après de longues décennies de fermeture.
En 1833, le « roi des Français » Louis-Philippe a décidé de retirer le titre de résidence royale au château, symbole trop fort de la monarchie absolue, et de le transformer en musée de l’Histoire de France. Lorsque ce dernier est inauguré en 1837, avec pour objectif d’amener la « réconciliation nationale » et d’asseoir la légitimité de la nouvelle dynastie d’Orléans, s’ouvre un chantier tout aussi ambitieux. Avec les blasons des grandes familles classés par ordre chronologique, les cinq salles des Croisades situées au rez-de-chaussée du château rendent hommage à la vieille aristocratie d’épée, traditionnel soutien de la branche aînée des Bourbons.
Parmi les cent vingt-cinq peintures enchâssées dans les boiseries de style néogothique, Signol a composé huit tableaux de grand format et portraits. En 1840, il a livré son interprétation du prêche pour la deuxième croisade, payé 5 000 francs et accroché dans la salle 2 ; en 1847, il a contribué au projet de la salle 1 avec la scène de la prise de Jérusalem. Le peintre, prix de Rome 1830, participe ainsi de l’adoption des huit croisades comme page majeure de l’histoire nationale, qui ne se cantonne pas aux universités et aux histoires colportées.
Pendant deux siècles, de 1095 à 1291, huit expéditions militaires sont parties d’Europe pour répondre à l’appel de l’Église et tenter de reconquérir la Terre Sainte. La première établit, sur les territoires conquis par les croisés, combattants portant une croix brodée, des États latins d’Orient dont la défense justifie à elle seule les sept campagnes suivantes.
Les croisades font partie des sujets historiques qui ont commencé à intéresser de nouveau les Français juste avant la révolution de 1789. L’intérêt croissant pour le Moyen Âge, tout au long d’un siècle qui a vu Victor Hugo publier Notre-Dame de Paris en 1831, a contribué à alimenter la fascination pour ces épisodes épiques.
La geste française au Proche-Orient
La galerie des Croisades, comme l’ensemble des séries de salles formant l’histoire de France, guide le visiteur d’épisode célèbre en épisode célèbre – ici, la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099 et le prêche lançant la deuxième croisade à Vézelay le 31 mars 1146.
Le premier tableau mêle détails issus d’une étude des dessins reproduisant les paysages de Jérusalem et Orient fantasmé, malheurs de la guerre et exaltation lyrique de la victoire des croisés, représentants du « Bon » Dieu. Au premier plan en bas, les cadavres d’infidèles donnent l’occasion au peintre de mettre en valeur ses compétences techniques (poses, drapés, teintes de la peau). Aux troisième et quatrième plans, il mélange des éléments d’architecture connotant l’Orient. Au second plan, la scène principale se découpe en deux parties égales. À droite, l’armée, fourbue après trois ans de campagne, se partage entre cris de victoire, soin aux blessés qui se sont sacrifiés et prières de remerciement. À gauche, l’Église, personnifiée par Pierre l’Ermite, retrouve les brebis perdues qui peuvent enfin se vouer à leur vrai foi à visage découvert, toutes classes mêlées. Au centre de l’épisode, Godefroy de Bouillon (vers 1058-1100), les bras en croix, figure le conquérant que l’on a voulu faire roi de Jérusalem, mais qui a refusé par humilité.
Le second tableau représente un événement majeur de l’histoire des croisades : l’appel à un second départ après la première victoire des croisés contre les infidèles. Fidèle aux mêmes couleurs chaudes que pour l’épisode précédent, Signol livre cette fois une composition verticale. Il ne fait plus l’apologie des valeurs d’égalité portées par les croisés, mais illustre un appel descendu du Ciel jusqu’aux tréfonds de la société de l’époque, passant par l’intermédiaire du couple royal, du prêtre inspiré, des chevaliers qui vont partir combattre et des nobles qui financent l’expédition. En effet, Louis VII a fait convoquer un parlement des nobles dans la basilique de Vézelay, qui ne peut contenir toute l’assemblée et renvoie la scène au pied de la « Colline Éternelle ». Le motif de la verticalité – flèches de la basilique, étendards dans la foule, bras levés vers l’orateur et Dieu, lumière qui tombe sur Bernard – renvoie à la fois aux rapports entre suzerains et vassaux, et au lien avec Dieu. Ce thème est redoublé par le motif de la croix – brandie par Bernard et par ceux qui l’écoutent, mais qui se retrouve aussi plus subtilement dans une épée levée vers Bernard ou encore dans le faîte du dais royal. Les croix s’inscrivent dans un ciel d’une pureté irréelle, indice indéniable de la présence divine. Le tableau rend hommage à Bernard de Clairvaux (1090-1153), promoteur insatiable de l’ordre cistercien, qui a joué un rôle clé au concile de Troyes (1129), où il a rédigé et imposé les statuts de la milice du Temple autorisant des moines à porter l’épée et à verser le sang.
La conquête chrétienne, fait majeur de l’histoire nationale
Le projet du monarque constitutionnel ne consiste pas seulement à encenser la geste des grandes familles aristocrates françaises : il entend instruire et inspirer par l’image.
Sous l’impulsion d’historiens comme Joseph-François Michaud (1767-1839), auteur d’une Histoire des croisades en sept volumes (1812-1822), le roi entend bien appuyer les scènes exposées sur des faits vérifiés. L’exigence de véracité pousse les peintres à se documenter, notamment au musée de Cluny, qui a ouvert ses portes en 1844. Les collections d’armes anciennes donnent tout loisir pour réaliser des études de cottes de mailles, de casques et d’épées. La Prise de Jérusalem fourmille ainsi de détails militaires parfois légèrement anachroniques, mais bien plus fidèles à la réalité historique que les représentations idéalisées composées aux époques précédentes.
La facette documentaire de ce tableau n’empêche pas le recours à l’émotion religieuse. L’intérêt pour les croisades ouvre aux peintres des perspectives de renouvellement de l’inspiration sur le thème biblique grâce à l’orientalisme, mis au goût du jour par l’épopée napoléonienne en Égypte, et à son exaltation par les artistes romantiques. Si Signol n’a jamais entrepris de voyage d’étude au Proche-Orient ou même au sud de la Méditerranée, il s’inspire d’œuvres illuminées par le soleil, s’essaie à quelques costumes autochtones et s’efforce de restituer avec fidélité les paysages peints par d’autres.
Alors que quelques décennies plus tôt, Voltaire dénonçait les croisades comme symbole de l’extrémisme clérical, cet épisode est désormais inscrit dans les heures glorieuses du royaume avec les salles de Versailles. Cela n’est pas anodin dans la décennie 1830, qui voit le royaume de France renouer avec la conquête coloniale, avec la prise d’Alger et la « pacification » de l’Algérie par le général Bugeaud en 1836-1837 (contre Abd el-Kader), puis sa gouvernance entre 1841 et 1847.
CONSTANS Claire, LAMARQUE Philippe, RICHARD Jean, BUROLLET Thérèse, Les salles des Croisades : château de Versailles, Doussard, Éditions du Gui, 2002.
DUPRONT Alphonse, Le mythe de croisade, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1997, 4 vol.
TYERMAN Christopher, The invention of the Crusades, Toronto, University of Toronto Press, 1998.
Alexandre SUMPF, « Les croisades », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/croisades
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