Décor intérieur du temple de la Raison établi à Saint-Maurice de Lille avec la statue de la Liberté.
Décor champêtre réalisé pour le temple de la Raison établi à Saint-Maurice de Lille.
Décor intérieur du temple de la Raison établi à Saint-Maurice de Lille avec la statue de la Liberté.
Auteur : VERLY François
Lieu de conservation : archives départementales du Nord (Lille)
site web
Date de création : 1794
Date représentée : 1794. Date révolutionnaire : an II
H. : 48 cm
L. : 38,5 cm
Aquarelle
Domaine : Dessins
© Archives départementales du Nord - Cliché J.-L. Thieffry
Musée 333 / 21
Le culte révolutionnaire de la raison en l'an II
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS et Claudine WALLART
Lille et le culte révolutionnaire
Dans l’histoire française, la « déchristianisation » entreprise à partir de brumaire an II (novembre 1793) entraîne l'unique interruption du culte catholique pendant au moins un an et sur tout le territoire. La Convention veut remplacer le culte romain présumé contre-révolutionnaire par un culte nouveau. Elle laisse les municipalités décider de l’affectation des
églises au culte choisi par les citoyens. Les prêtres deviennent abdicataires[1] ou passent dans la clandestinité. Les cérémonies cultuelles sont supprimées, même si demeurent des résistances et des permanences chrétiennes.
Un ensemble de cérémonies nouvelles qualifiées de « cultes révolutionnaires » se met en place. Déchristianisation n’est pas athéisme ni laïcité dans l’esprit des révolutionnaires. Les courants de pensée déistes du siècle des Lumières se prolongent en cultes d’Etat. Né de l’événement, le culte rendu aux martyrs de la Révolution, comme Marat et Le Peletier, est vite suivi du culte à l’Etre suprême et aux vertus montagnardes. Les cérémonies sont
confiées à des metteurs en scène, « citoyens-artistes » comme David ou Marie-Joseph Chénier[2], et organisées comme moyens de propagande pour susciter l’adhésion populaire à la Révolution.
Le conseil municipal de Lille décide, en septembre 1793, de transformer en temple de la Raison l’église Saint-Maurice. Cet édifice vaste et central reste la seule église encore utilisable après les destructions du siège de 1792[3]. L’architecte lillois François Verly[4] est chargé de l’aménagement intérieur. Il peint ces aquarelles de 38,5 x 48 cm, vers la fin de 1793, pour préparer la décoration du temple. Celui-ci est inauguré seulement le 21 septembre 1794, deux mois après le 9 Thermidor. Mais la fin de la Terreur n’interrompt pas les cérémonies républicaines nées en l’an II qui sont maintenues jusqu’à la fin du Directoire, époque de la disparition de ce décor.
Le cadre du culte officiel
L’église a été débarrassée de tous ses ornements religieux et tableaux, et des gradins sont aménagés sur son pourtour. Verly utilise, tout comme pour la fête de la Fédération de Lille, des matériaux légers et bon marché : bois, toile, tissu. Il place au centre de l’édifice une charpente figurant la Montagne. Au sommet du tertre se dresse une statue de la Liberté due au sculpteur douaisien Charles-Louis Corbet. La Liberté est figurée par une jeune femme, drapée à l’antique, coiffée du bonnet phrygien et qui tient dans la main gauche une couronne civique. Réalisée en marbre, elle a coûté 40 000 livres. Autour des colonnes de l’édifice sont peints des arbres dont le feuillage monte jusqu’aux voûtes. Des processions antiques, gravées sur des ruines, semblent disposées pour préfigurer les défilés qu’organise tout culte officiel révolutionnaire, en plein air, et dont le terme est l’église transformée en temple.
Derrière la Montagne est esquissé un décor en trompe l’œil figurant un paysage champêtre au sol rocailleux que la seconde aquarelle montre de façon détaillée. Perçant les nuages de ténèbres, un éclair – l’Etre suprême – foudroie les symboles de l’Ancien Régime honni : trône, autel, missel, ciboire et couronne. Dans ce paysage naturel reconstitué, le tombeau de Jean-Jacques Rousseau est ombragé de saules et de peupliers. Dans une grotte on trouve celui de Marat.
Raison, Liberté, Etre suprême et valeurs nouvelles
La divinité proposée au culte dans le temple de Lille est la Liberté et non la Raison, comme ce fut aussi le cas le 20 brumaire an II (10 novembre 1793), lors de la transformation de Notre-Dame de Paris en temple de la Raison. Les mêmes allégories se retrouvent dans les chants qui accompagnent les cérémonies. Ainsi, l’hymne à la Liberté de Marie-Joseph Chénier, sur une musique de François Gossec, composé pour la fête parisienne, s’ouvre-t-il par « Descends, ô Liberté, fille de la Nature » ; au sommet de la montagne, à l’entrée du petit temple rond voué à la philosophie, « l’image fidèle de la Beauté qui apparaît » est aussi celle de la Liberté.
Le décor que révèlent ces deux aquarelles suit le répertoire commun de toutes les fêtes révolutionnaires. Leur symbolique illustre la volonté des législateurs de la Révolution de fonder sur les ruines de l’Ancien Régime catholique et « fanatique » non pas un culte individualisé, mais un ensemble de cérémonies intégrant les valeurs et les symboles révolutionnaires. La fête doit contribuer à transformer radicalement les mentalités en faisant adopter comme nouvelles valeurs : le calendrier républicain et le décadi, en remplacement des fêtes des saints et du dimanche, la morale familiale, la Nature et les commémorations.
Tous les arts, l’architecture par ce décor, la sculpture et aussi la musique, concourent à la mise en scène des nouveaux idéaux. En supprimant les espaces d’obscurité et de mystère de l’église pour les remplacer par ce décor de pastorale, l’aménagement a transformé l’église en un lieu tout différent. Les fêtes révolutionnaires de l’an II ont marqué les contemporains, acteurs ou spectateurs, en réalisant un moment l’utopie de la cité nouvelle. Dans ce décor, boire et danser apparaissaient sans doute moins comme une profanation. Mais à travers ces fêtes, toutes les contradictions du politique et du sacré ont aussi été intégrées au cœur de la mentalité révolutionnaire.
Mona OZOUF, La Fête révolutionnaire 1789-1799 Paris, Gallimard, 1976.Albert SOBOUL, Dictionnaire historique de la Révolution Paris, PUF, 1989.Claudine WALLART, « Le culte révolutionnaire de la Raison »in Florilège des Archives départementales du Nord , 2000, p.120.
1. En cette période d'anticléricalisme militant, les prêtres sont contraints de renoncer à leur ministère.
2. Frère du poète André Chénier guillotiné en juillet 1794.
3. Une série de croquis des ruines, pris sur le vif par François Verly, sont conservés aux Archives départementales du Nord.
4. Après avoir fréquenté l'Académie royale d'Architecture à Paris, François Verly (1760-1822) a fait ses preuves en organisant, à Paris, les réjouissances pour la naissance du second fils de Louis XVI, en 1785, et en aménageant, à Lille, le Champ-de-Mars pour la fête de la Fédération, en 1790.
Luce-Marie ALBIGÈS et Claudine WALLART, « Le culte révolutionnaire de la raison en l'an II », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 22/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/culte-revolutionnaire-raison-ii
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