Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey.
Auteur : BOILLY Louis Léopold
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 71 cm
L. : 110 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais
89EE1595/INV 1290 bis
Un atelier d’artiste à la fin du XVIIIe siècle
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Charlotte DENOËL
La vie artistique durant la période révolutionnaire
Les profonds changements survenus durant la révolution française ont affecté le domaine des arts, donnant naissance à de nouvelles institutions et ouvrant la voie à des pratiques artistiques différentes. En effet, la suppression des institutions d’Ancien Régime dès 1789 a entraîné la disparition des rouages de l’administration royale des arts, en particulier ceux des académies (1793), dont les artistes, David en tête, ne cessaient de dénoncer le système hiérarchique rigoureux et profondément inégalitaire. Quant aux salons, qui permettaient aux seuls membres de l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture ainsi qu’à certains artistes agréés d’exposer publiquement leurs œuvres, leur existence ne fut pas remise en question, mais un décret de 1791 stipula que tous les artistes pourraient y être admis. Fondés désormais sur un nouveau principe d’égalité, les salons qui se tinrent au Louvre de 1791 à 1799 accueillirent de nombreux artistes et rencontrèrent un succès public certain. Offrant un aperçu des genres et des courants artistiques en vogue, ils reflétaient les nouveaux goûts de la clientèle, tandis qu’ils permirent aux artistes de s’intégrer à la société bourgeoise en acquérant une certaine autonomie financière.
Portrait de groupe dans l’atelier d’Isabey : un manifeste
Ce sont précisément ces deux tendances nouvelles qu’illustre une peinture célèbre de Louis-Léopold Boilly (1761-1845), intitulée Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey. Présentée à l’occasion du Salon de 1798, cette toile remporta un grand succès, tant par son iconographie que par sa technique virtuose. Traitant d’un thème traditionnel et très en vogue à l’époque, l’atelier de l’artiste, elle représente à la manière d’une frise le peintre Isabey (1767-1855), à gauche, en train d’expliquer à Gérard, assis, le thème d’une de ses toiles, tandis que, tout autour, des artistes s’entretiennent de sujets divers. Le réalisme et la minutie avec lesquels Boilly a peint la physionomie des personnages permettent d’identifier la plupart d’entre eux : des peintres comme Girodet (le vingt-sixième en partant de la gauche, assis au premier plan, face au spectateur), Drolling (le cinquième, à l’arrière-plan), Prud’hon (le troisième, accoudé derrière le piano), et des sculpteurs comme Corbet (le quatrième, entre Drolling et Prud’hon) côtoient aussi bien des architectes comme Percier et Fontaine (les quinzième et seizième, qui discutent à l’arrière-plan) que des musiciens comme Méhul (le premier) ou des comédiens comme Talma (le vingt et unième assis, à l’arrière-plan). Rendant hommage aux personnalités éminentes du monde des arts de l’époque, cette galerie de portraits apparaît à bien des égards comme un manifeste doublement novateur. D’une part, la vision réaliste et l’esthétique minutieuse du peintre traduisent une évolution par rapport au caractère pompeux du néoclassicisme en vogue, évolution qui annonce ainsi le romantisme, tandis que la primauté accordée aux peintres de genre dans la scène bouscule la sacro-sainte hiérarchie des genres, révélant le succès grandissant des scènes de genre et des portraits au détriment de la grande peinture d’histoire idéalisante. De même, le décor de l’atelier du Louvre, dû à Percier et Fontaine, se distingue par ses références éclectiques à l’Antiquité (ornementation dans le goût étrusque, allégories) et à la Renaissance (profils de peintres italiens dans les médaillons), abandonnant ainsi volontairement toute référence exclusive à l’Antiquité classique. D’autre part, cette toile illustre le rôle que tient désormais l’artiste dans la société : le raffinement vestimentaire des personnages, leur allure tout comme l’art de la conversation qu’ils pratiquent avec aisance indiquent qu’ils ont obtenu une certaine reconnaissance sociale. Par conséquent, réalisée à une époque charnière, cette toile non seulement constitue un témoignage vivant de la vie artistique et culturelle du temps, mais encore reflète la transition entre l’ancien ordre social et le nouveau.
Le nouveau statut social de l’artiste sous le Directoire
Ce dernier aspect de l’œuvre de Louis-Léopold Boilly est fondamental dans la mesure où le traitement original d’un sujet conventionnel jette un éclairage novateur sur les aspirations des artistes de l’époque. En effet, abondante aux époques antérieures, l’iconographie des ateliers mettait habituellement l’accent sur le caractère artisanal du travail de l’artiste, à travers la représentation de ses outils ou de son chevalet, présentant ainsi le peintre ou le sculpteur comme un travailleur manuel, un simple exécutant. A l’inverse, Boilly a choisi de s’écarter de cet aspect du métier pour donner à l’atelier d’Isabey l’apparence d’un salon élégant et confortable, décoré avec goût et au milieu duquel trône un piano. A travers le choix d’une telle iconographie, il présente ainsi l’artiste comme un intellectuel et revendique pour lui une place essentielle au sein de la société, équivalente à celle de l’humaniste, de l’honnête homme ou du philosophe aux siècles antérieurs. Visionnaire, cette optique préfigure les manifestes esthétiques des peintres réalistes de la seconde moitié du XIXe siècle, tels L’Atelier du peintre : allégorie réelle de Courbet (1855) ou Un atelier aux Batignolles de Fantin-Latour (1870), dans lesquels le peintre apparaît comme un créateur, maître de son art et chef de file d’une école.
Philippe BORDES et Régis MICHEL Aux armes et aux arts ! : les arts de la Révolution, 1789-1799 Paris, A.Biro, 1988.Jean-Jacques LEVEQUE L’Art et la Révolution française Neuchâtel, Ides et Calendes, 1987.Louis Boilly, 1761-1845 catalogue de l’exposition, Paris, musée Marmottan, Paris, Musée Marmottan, 1984 Boilly 1761-1845, Un grand peintre français de la Révolution à la Restauration catalogue de l’exposition, Lille, Musée des Beaux-Arts, 1988.Gérard MONNIER L’Art et ses institutions en France Paris, Gallimard, 1995.Denis WORONOFF La République bourgeoise de Thermidor à Brumaire, 1794-1799 Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1972.
Charlotte DENOËL, « Un atelier d’artiste à la fin du XVIIIe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/atelier-artiste-fin-xviiie-siecle
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