Tati, surnommé Desponts, courtier de Malembe, venant de sa petite terre, en hamac.
Cahier des opérations de troc effectuées par le capitaine du navire négrier La Manette, entre juin et octobre 1790.
Quibangua et intérieur d'un comptoir européen sur la côte d'Angola en Afrique.
Noir au bois Mayombe.
Tati, surnommé Desponts, courtier de Malembe, venant de sa petite terre, en hamac.
Lieu de conservation : Centre des archives d’Outre-Mer (Aix-en-Provence)
site web
H. : 22,8 cm
L. : 41 cm
Dessin d'après nature de Louis Ohier de Grandpré, gravé par Nicolas Courbe. Gravure en taille-douce. Gravure tirée de: « Voyage à la côte occidentale d'afrique, fait dans les années 1786 et 1787, contenant la description des moeurs, usages, lois, gouvernement et commerce des Etats du Congo, fréquentés par les européens, et un précis de la traite des noirs, ainsi qu'elle avait lieu avant la Révolution française, ... » par L. Degrandpré, An IX-1800/1801, Paris, 2 vol.. Tome 1, page 98
Domaine : Dessins
© Centre des Archives d'Outre-Mer
CAOM/BIB.AOM.Res 46683
La traite à la « côte d'Angole »
Date de publication : Avril 2007
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
La traite à la « côte d'Angole »
La traite à la « côte d'Angole »
A la fin du XVIIIe siècle, de nombreux négriers européens vont pratiquer la traite de Noirs sur la « côte d’Angole » qui désigne alors non seulement l’actuelle Angola, au Sud du fleuve Zaïre, mais surtout au Nord, les royaumes du Congo : le Loango, le Kacongo et le Ngoyo ou Gabinde, particulièrement productifs. Les captifs, que les Européens appellent Congos, viennent de la périphérie de ces royaumes, sur une aire d’environ 300 km et arrivent aussi, par le fleuve, de régions plus lointaines du centre et du sud de l’Afrique. Les archives de ce trafic se recoupent avec des récits de voyages, parfois illustrés.
Capitaine négrier à la » côte d’Angole », en 1786-1787, Louis Ohier de Grandpré mène ensuite une vie aventureuse sous la Révolution, tour à tour armateur et marchand, agent secret, officier, ingénieur et écrivain féru de botanique. A l’époque où la traite redémarre en France, il publie, en 1801, son expérience de négrier, dans un manuel de traite spécifique pour cette partie de la côte.
Un courtier africain
Au milieu d’un paysage grandiose à la flore luxuriante symbolisée par l’arbre à pain, un Africain, accoudé avec prestance au hamac dans lequel ses fidèles le transportent, apparaît visiblement conscient de sa puissance. Son opulence lui vient de sa fonction de courtier, intermédiaire obligé entre les marchands d’esclaves de l’intérieur de l’Afrique et les Européens qui font la traite. Grandpré l’a dessiné devant la splendide baie de Malembe, où les navires négriers à l’ancre font sa fortune. Tati arbore, comme tous les courtiers, le haut collier en morfil, ivoire d’éléphant à l’état brut, les perles de traite, la longue chaîne autour des reins et les bracelets de métal. Il possède, comme eux, une propriété proche du lieu de traite appelée petite-terre. Son bonnet, attribut donné par le souverain local, le désigne comme dignitaire.
Le registre de traite de La Manette
Le même Tati figure 22 fois dans un document d’archive très rare, le cahier de troc d’un navire négrier de Bordeaux, La Manette, navire de 250 tonneaux, construit à Lorient. Le navire effectue sa campagne de traite entre juin et octobre 1790, du Sud au Nord de la côte d’Angole, principalement à Malembe et sur le Zaïre où le capitaine détache son second. La plupart de ces tableaux détaillés que les capitaines négriers tenaient au jour le jour ont disparu. On voit ici Tati céder 34 "noirs, négresses, négrillons et négrilles", et recevoir, pour chaque esclave fourni, des marchandises soigneusement consignées.
Fait révélateur de la spécificité de cette traite, tous les dignitaires du Kacongo, du Loango et des royaumes voisins apparaissent parmi les courtiers inscrits dans la colonne de gauche. Le mafouc, désigné par le souverain, est chargé de négocier avec les capitaines négriers les conditions de traite et reçoit des Européens le paiement des coutumes. Sont aussi courtiers le mambouc, héritier désigné du trône, les mafoucs des villages centres de traite, le macaye, premier ministre, le maquimbe qui fournit pirogues et porteurs, le monibanze, financier chargé des coffres du roi, le monibèle, messager, les mangofs, chargés de l’introduction des étrangers, le matiente, les princes et fils de roi. Tous, sous contrôle du pouvoir central, vendent des captifs qui ne viennent pas des royaumes locaux, mais de régions périphériques. Ainsi les dignitaires locaux tirent de la traite des fortunes considérables sans modifier la vie des autres habitants.
Le quibanga
Chaque navire doit installer un comptoir temporaire par campagne de traite, dit quibanga, construction élevée sur des poteaux, un peu plus de deux mètres au dessus du sol, et surmontée d’une grande case de paille précédée d’une galerie sur laquelle on peut disposer des armes en cas de nécessité. Dans le quibanga, demeure du capitaine pendant la traite, Cousse de La Manette a négocié les conditions de troc avec le mafouc, puis a reçu chaque jour les courtiers en tenant le registre de traite. Au-dessous de la chambre, une solide prison, à la fenêtre munie d’une grille, est aménagée entre les pieux ; les captifs achetés y sont enfermés une nuit, avant d’être transportés à bord.
Ailleurs, sur les côtes de Guinée, des forts et des comptoirs permanents servent de dépôts où les esclaves peuvent être rassemblés à l’avance. Au contraire chaque expédition à la côte d’Angole est une aventure risquée car le pouvoir local très organisé empêche les Européens de prendre pied, pour les maintenir en compétition.
La cargaison de La Manette
Parmi les marchandises, les textiles bruts tiennent la première place dans le cahier. Guinées, indiennes, liménéas, chasselas, bajutapeaux, néganépeaux ont gardé leurs noms d’origine indienne mais sont fabriqués en France à la fin du XVIIIe siècle. Les pagnes des porteurs de Tati montrent les diverses toiles de traite, unies, rayées ou quadrillées, et les indiennes imprimées, à motifs géométriques ou floraux.
La règle du négoce est de satisfaire les goûts locaux, quels qu’ils soient : ainsi, les peaux de chats que courtiers et marchands d’esclaves portent sur le ventre, en les ornant de grelots, viennent d’Europe ; ces articles figurent dans la cargaison de la Manette.
On troque aussi des armes à feu et des armes blanches, des métaux, de l’alcool et des articles divers. Tous ces objets qui facilitent la vie quotidienne apparaissent en Afrique, dotés d’un pouvoir de différenciation à la fois symbolique, social et économique.
La Manette mène une traite de quatre mois pour acquérir 373 esclaves qu’elle transporte à Saint-Domingue : un résultat moyen pour lequel 60 % des captifs ont été acquis à Malembe et 40 % sur le Zaïre.
« Noir au bois mayombé »
Baignant dans un exotisme harmonieux qui exclut brutalité et laideur, les courtiers et marchands d’esclaves, armés de fusils de traite, conduisent leurs captifs nus aux négriers : les femmes par la main, les hommes les plus dociles, tenus par une ficelle et ceux qui résistent par une fourche de bois, le terrible bois mayombé, bloqué par une cheville autour du cou. Ils repartent avec les barriques d’eau de vie et les marchandises qu’ils ont troquées contre les captifs, enveloppées dans des paniers faits de feuilles de bananiers.
L’esthétique des corps et de la nature tropicale rend idyllique cette scène de traite. Grandpré veut à la fois séduire les lecteurs de son manuel traite et décrire les conditions propres au Congo. D’où la distorsion entre son texte qui ne cache pas la rude réalité de la traite, et ses dessins gravés, qui en donnent des « crayons un peu embellis », selon sa propre expression.
Le registre de La Manette révèle concrètement les conditions de traite à Malembe et recoupe les informations fournies par Ohier de Grandpré : le pouvoir local garde la haute main sur la traite et ne consent de monopole à aucun état européen.
En 1801, la reprise de la traite représente un enjeu économique considérable. Grandpré sert en priorité cet objectif, même s’il recommande en même temps de développer d’autres modes de mise en valeur des ressources africaines.
Phyllis M.MARTINThe External Trade of the Loango Coast : 1576-1870.The Effects of Changing Commercial Relations on the Vilikingdom of LoangoOxford, Clarendon Press, 1972.Dieudonné RINCHONPierre-Ignace-Liévin Van Alstein, capitaine négrier : Gand 1733, Nantes 1793Dakar , I.F.A.N., 1964.Louis OHIER de GRANDPRE Voyage à la Côte occidentale d'Afrique fait dans les années 1786 et 1787, contenant la description des moeurs, usages, lois, gouvernement et commerce des Etats du Congo, fréquentés par les européens, et un précis de la traite des noirs, ainsi qu'elle avait lieu avant la Révolution française, suivi d'un voyage au cap de Bonne-Espérance contenant la description militaire de cette colonie Paris, Dentu, 1800-1801.Lien Gallica.Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitionsDirection des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « La traite à la « côte d'Angole » », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/traite-cote-angole
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