Agar chassée par Abraham.
Auteur : VERNET Émile-Jean-Horace, dit Horace
Lieu de conservation : musée d'arts (Nantes)
site web
H. : 82 cm
L. : 65 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - G. Blot
00-012832 / INV1213
Agar chassée par Abraham
Date de publication : Avril 2012
Auteur : Alexis MERLE DU BOURG
Vernet exerçait en 1833 les fonctions de directeur de l’Académie de France à Rome lorsqu’il découvrit l’Algérie, dont la France amorçait la conquête. Parti découvrir des « sujets d’actualité », il y eut surtout l’intuition quelque peu hallucinée d’une immuabilité absolue du monde arabo-musulman le plaçant en contact immédiat avec le décor, les physionomies et les tenues de la Bible du temps des patriarches ou du Christ. Renforcée par plusieurs voyages en Afrique du Nord et au Moyen-Orient entre 1837 et 1854, cette expérience fondatrice qui lui faisait écrire de retour de son premier voyage au Maghreb « Rien ne peut mieux donner une idée de nos pères dans les plaines de Canaan. C’était Jacob et toute la Genèse […] si j’avais le talent d’en tirer parti, quel beau tableau on pourrait faire ! » le conduisit à s’engager dans la voie d’un renouvellement de la peinture religieuse à la fois revivifiée et rendue plus authentique au contact d’un Orient immuable. Faisant œuvre de théoricien, Vernet défendit ses vues contre ses détracteurs dans son essai artistico-ethnographique « Des rapports qui existent entre le costume des anciens Hébreux et celui des Arabes modernes », publié en 1848 dans L’Illustration et lu à l’Académie des Beaux-Arts en janvier de la même année.
Inspiré d’un épisode biblique (Genèse, XXI) fréquemment illustré par les artistes entre le XVIIe et le XIXe siècle, le tableau représente la répudiation par Abraham d’Agar et de leur fils Ismaël. Longtemps demeurée stérile, Sarah, femme d’Abraham, a encouragé l’union de son mari avec sa servante égyptienne Agar (Genèse, XVI). Une intervention divine donne finalement un enfant légitime au couple – Isaac –, ce qui entraîne le bannissement de la servante et de son fils vers le désert où les anges les sauveront de la mort. Après Rébecca à la fontaine, tableau lui aussi inspiré de l’Ancien Testament qu’il a présenté au Salon de 1835 au retour de son voyage en Algérie, Vernet approfondit avec sa Répudiation d’Agar le processus dit « d’arabisation » de la Bible, lecture dont il se fera le plus ardent défenseur en France.
Rien ne manque ici, ni la tente bédouine, ni les types et les costumes pittoresques (particulièrement celui d’Abraham, copié sur celui d’un « beau Scheyck [sic] de Bédouins »), qui susciteront l’admiration de Prosper Mérimée. En bon peintre d’histoire, très au fait de la grande tradition académique, Vernet explore la psychologie des protagonistes du drame et joue fortement sur les oppositions en construisant sa composition de part et d’autre d’une grande ligne verticale. À gauche, du côté de Sarah qui veille jalousement sur Isaac, les élus, l’ordre, la lignée, l’héritage. À droite, promis à la solitude du désert sinon à la mort, Agar et le fils adultérin d’Abraham qui tournent vers ce dernier des regards où se lisent la détresse et l’incompréhension de l’enfant et la douleur muette (et quelque peu dédaigneuse ?) de la concubine trahie. Entre les élus et les réprouvés se tient la haute figure du patriarche dont l’attitude inflexible est – à peine – tempérée par l’ombre d’un regret qui passe.
L’opposition entre un Occident réputé essentiellement dynamique et modelé par la notion de progrès et un Orient statique conduit à une répétition perpétuelle compte certainement parmi les préjugés les mieux ancrés dans la pensée européenne du XIXe siècle. Si elle justifia à certains égards l’entreprise coloniale, elle incita aussi les artistes à interroger sans relâche les formes et les figures de contrées qui offraient la promesse stimulante d’une translation temporelle autant que géographique. Alors que Delacroix avait découvert « l’Antiquité vivante » en Orient, Vernet y discerna l’occasion d’une rénovation de la peinture religieuse offrant une alternative au courant néogothique qu’il abhorrait.
Étude en partenariat avec le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme
SOUVIRON Claude, DEPIERRE Marie-Colette, Orients - Ville de Nantes, Musée des Beaux-Arts : collections du XIXe siècle, catalogue de l’exposition musée des Beaux-Arts de Nantes (juin - septembre 1982), Nantes, Musée des Beaux-Arts.Cat. n°3 Catalogue de l’exposition Les Années romantiques.La peinture française de 1815 à 1850, Nantes, musée des Beaux-Arts, Paris, galeries nationales du Grand Palais, Plaisance, Palazzo Gotico, 1995-1996, Paris-Nantes, Grand Palais-Musée des Beaux-Arts de Nantes, 1995.Catalogue de l’exposition Femmes de l’Ancien Testament, Nice, musée national Message biblique Marc-Chagall, 3 juillet-4 octobre 1999, Paris, R.M.N., 1999.Catalogue de l’exposition Horace Vernet, Rome, Académie de France, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Rome-Paris, De Luca-École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1980.
Académie des beaux-arts : Créée en 1816 par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie royale de musique, fondée en 1669, et de l’Académie royale d’architecture, fondée en 1671. Institution qui rassemble les artistes distingués par une assemblée de pairs et travaillant le plus souvent pour la couronne. Elle définit les règles de l’art et du bon goût, forme les artistes, organise des expositions.
Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.
Alexis MERLE DU BOURG, « Agar chassée par Abraham », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/agar-chassee-abraham
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