Aller au contenu principal
La Vénus de Milo encore encordée dans la galerie Daru du musée du Louvre

La Vénus de Milo encore encordée dans la galerie Daru du musée du Louvre

Lieu de conservation : Archives nationales (Paris)
site web

Date de création : 1939

Date représentée : 1939

Domaine : Photographies

© Archives des Musées nationaux

Lien vers l'institution

AMN, R30-photo no 7

La Vénus encordée

Date de publication : Mars 2014

Auteur : Alexandre SUMPF

Images de l’évacuation des œuvres

En 1938, la crainte de la guerre et des bombardements entraîne une grande opération de déménagement des œuvres des collections publiques des Musées Nationaux, et notamment de celles du Louvre. Si quelques pièces quittent le musée dès septembre 1938, c’est à partir de la fin août 1939 (et de manière plus officielle le 3 septembre) que la décision est prise d’évacuer très rapidement les œuvres les plus précieuses. Plus de 3690 tableaux ainsi que de nombreuses sculptures et objets d’art sont alors transportés dans divers lieux (châteaux, musées, abbayes) gardés secrets et jugés sûrs (à l’abri des bombardements car éloignés de tout sites militairement stratégiques). La Joconde rejoint ainsi Chambord (avant d’être transportée à Louvigny, à l’Abbaye de Loc Dieu, au musée de Montauban et enfin à Montal), tandis que la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo rejoignent le château de Valençay.

Placé sous la supervision du futur directeur des Musées Nationaux Jacques Jaujard, ce déménagement de grande ampleur implique une importante logistique. Démontage, emballage, empaquetage, mise en caisse, marquage, étiquetage, transport dans le musée puis en camion et dépôts nécessitent en effet le concours de nombreux ouvriers et personnels spécialisés, qui effectuent cette prouesse en un temps très court.

Issues de différents fonds photographiques et le plus souvent commandées par le Louvre à son administration (à des fins d’archivage et aussi de témoignage documentaire), les clichés de cette évacuation de septembre 1939 restent assez rares et les lieux d'évacuation ne sont pas diffusés à l’époque, pour des raisons évidentes de confidentialité et de sécurité. A l’instar de La Vénus encordée ici étudié, ils se tiennent à mi-chemin entre le reportage et l’art, renseignant à la fois sur le déroulé « technique » et historique de l’opération, mais présentant aussi des images surprenantes, à forte valeur esthétique et symbolique.

Une Vénus inédite

À l’occasion de l’entreprise de déménagement des œuvres, la direction du Musée du Louvre demande à trois photographes professionnels d’immortaliser l’opération. Coutumiers des clichés de monuments et d’œuvres figurant dans les expositions (catalogues) ou les collections privées et publiques Noël Le Boyer, Laure Albin-Guillot et Marc Vaux suivent les différents manœuvres et découvrent un Louvre inédit.

Placée dans la galerie Daru du musée, on aperçoit au premier plan la célèbre Vénus de Milo, maintenant descendue de son récent (1936) socle rotatif et encordée au niveau des hanches et des genoux. Destinée à être transportée dans une grande caisse en bois en cours de montage et dont on aperçoit les premiers éléments sous la statue et à ses côtés, la Vénus s’inscrit dans la perspective de la galerie qui apparaît en un flou volontaire au second plan. Un espace qui se vide (les ouvriers ont été tenus à l’écart pour la photographie), où échafaudages et autres caisses en cours de réalisation ou entassées (comme au fond à gauche) sont finalement plus nombreuses que les quelques sculptures encore visibles (au fond à droite).

Si l’on reconnaît bien sûr les bras manquants, les détails (himation autour des hanches, chignon, bandeau, trois mèches sur la nuque, etc.), les traits, le tour, la beauté et la sérénité familiers de la sculpture de la fin de l’époque hellénistique, La Vénus encordée se révèle pourtant ici de manière inédite, dans l’atmosphère surprenante et presque surréaliste de ce Louvre en déménagement.

Une Vénus « prisonnière » mais protégée

La Vénus encordée nous renseigne tout d’abord sur les modalités pratiques de l’évacuation des œuvres. Les salles et galeries du Louvre sont fermées au public, désertes et littéralement vidées, détournées de leur fonction d’exposition dans ce moment d’urgence exceptionnel, presque en suspens dans l’histoire et le temps. On devine aussi la technique et les procédés à la fois rudimentaires (un simple cordage à trois degrés et quelques nœuds) et précis (assemblage des caisses ici et dans le reste de la galerie, position de la corde) qui président au déménagement.

D’un point de vue esthétique, le photographe utilise cette atmosphère particulière pour nous montrer une Vénus plus nue que jamais, fragile et vulnérable. Dans un contraste saisissant, il confronte la majesté et la sérénité habituelles de la sculpture à l’extraordinaire situation dans laquelle elle se trouve. Proprement divine, La Vénus encordée conserve bien sa stature majestueuse, mais elle semble un temps presque livrée à elle-même, abandonnée dans le musée fantomatique et comme en chantier.

Symboliquement enfin, les cordes évoquent tout d’abord l’emprisonnement et l’entrave. Prisonnière des circonstances, la Vénus est comme une métonymie de l’art en temps de guerre, où violence et potentielle destruction barbares menacent culture, amour (la déesse Aphrodite, qui serait ici représentée) et beauté. Bientôt enfermée et cachée, la statue ne peut dans ces conditions ravir les regards. Pourtant, les mêmes cordes disent aussi la protection et le soin, la possibilité de sauvegarder le chef d’œuvre des vicissitudes temporelles. A l’abri dans le château de Valençay jusqu’en 1945 et remplacée par un moulage lors de la réouverture du musée par les nazis le 29 septembre 1940, La Vénus est ainsi préservée.

AZEMA, Jean-Pierre et BEDARIDA, François, La France des années noires (2 vol.), Éditions du Seuil, Paris, 1993.

BERTRAND DORLEAC, Laurence, L’art de la défaite : 1940-1944, Paris, Seuil, 1993.

CORCY, Stéphanie, La vie culturelle sous l’occupation, Paris, Perrin, 2005.

Catalogue de l’exposition Le Louvre pendant la guerre. Regards photographiques 1938-1947, Paris, Les éditions du Musée du Louvre, 2009.

Alexandre SUMPF, « La Vénus encordée », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/venus-encordee

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Dénoncer la collaboration

Dénoncer la collaboration

L’exposition « Kollaboration ».

Dans la ville de Tunis libérée en mai 1943, les membres de l’organisation Combat (le plus grand des huit…

Dénoncer la collaboration
Dénoncer la collaboration
La "Rafle du billet vert" 1/2

La "Rafle du billet vert" 1/2

En reportage avec la Gestapo

Parmi la centaine de clichés documentant la « rafle du billet vert » récemment réapparus, nombreux sont ceux qui…

La
La
Londres, capitale de la résistance européenne

Londres, capitale de la résistance européenne

Une affiche « européenne »

De septembre 1939 à juin 1941, l’Allemagne nazie accumule les succès militaires en Europe. La Pologne, le Danemark, la…

Jean Moulin

Jean Moulin

Cette photographie de Jean Moulin a contribué à nourrir la légende du héros de la Résistance. Antérieure à l’Occupation, elle a été choisie par sa…

L’Art contre l’Occupation

L’Art contre l’Occupation

Se réunir sous l’Occupation

Arrivé à Paris de sa Hongrie natale via Berlin en 1924, Gyula Halasz, dit Brassaï, se fait rapidement connaître comme…

La libération de Paris : derniers combats

La libération de Paris : derniers combats

La place de la Concorde, un « nid de résistance allemande »

Effectuée du 19 au 25 août 1944, la libération de Paris est le résultat conjoint de l’…

Alsace, année zéro

Alsace, année zéro

L’une des images de la « Libération » de l’Alsace.

A partir de 1944, la reconquête et la Libération du territoire français s’accompagnent de la…

Rouen en ruines

Rouen en ruines

Rouen sous les bombes

Hormis quelques pilonnages allemands en 1940, la ville de Rouen a essentiellement été la cible de l’aviation alliée. Déjà…

Les maquisards

Les maquisards

Images du « maquis »

Le terme de « maquis » renvoie à la fois au lieu où opèrent ceux qui le composent, au groupe constitué par ces derniers…

Hitler à Paris

Hitler à Paris

La « Blitz Besuch » (visite éclair)

L’armistice franco-allemand est signé le 22 juin 1940. La moitié nord et la côte atlantique du territoire…

Hitler à Paris
Hitler à Paris