Anatole France
Anatole France, écrivain français, chez lui
Anatole France
Auteur : STEICHEN Edward
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1913
Date représentée : 1913
H. : 20,6 cm
L. : 16,2 cm
Publiée dans Camera Work, avril-juillet 1913.
Héliogravure
Domaine : Photographies
ADAGP © Musée d'Orsay, Dist. GrandPalaisRmn / Alexis Brandt
PHO 1981 32 14 - 11-543450
Anatole France, un écrivain militant
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Charlotte DENOËL
Crises et conflits sous la IIIe République
Si, dès 1879, la IIIe République (1870-1940) apparut solidement installée, en dépit d’une forte instabilité ministérielle due à l’absence de partis politiques structurés, elle n’en a pas moins été secouée à partir de 1885 par un certain nombre de crises. Tout en révélant la faiblesse du pouvoir exécutif, ces crises suscitèrent l’affrontement de systèmes de valeurs antagonistes. La plus grave d’entre elles, l’affaire Dreyfus (1894-1899), eut un retentissement politique considérable, dans la mesure où cette affaire d’espionnage complexe – qui mettait injustement en cause un officier juif français – intervint à la suite de la campagne d’antisémitisme lancée par Drumont et son journal La Libre Parole, et souleva une question brûlante : fallait-il condamner le capitaine Dreyfus au nom de la raison d’Etat ou, au contraire, défendre les droits de l’individu à un jugement équitable au nom de la justice et de la vérité ? Derrière cette question s’opposaient non seulement deux tendances politiques, la droite et la gauche, mais aussi et surtout deux conceptions du pouvoir, la première défendant le principe d’une autorité supérieure et d’une révérence aveugle pour les institutions, la seconde se réclamant au contraire d’une démocratie individualiste et anticléricale. Cette entrée en force des idéologies sur le devant de la scène politique eut ainsi pour conséquence notable la mobilisation de nombreux intellectuels.
Anatole France, une figure mystique
Anatole France (1844-1924), qui cumulait les fonctions de romancier, de chroniqueur, de critique littéraire et d’académicien, et brillait dans les salons littéraires de l’époque, fait partie de ces penseurs épris de justice et de liberté qui s’engagèrent dans les combats de l’époque. S’il s’était jusque-là comporté en dilettante, se contentant de jeter un regard satirique et distancié sur la politique, le scandale de Panama et l’affaire Dreyfus l’incitèrent à se lancer dans une lutte réformiste pour défendre les valeurs humanistes auxquelles il était particulièrement attaché. Mû par une grande curiosité intellectuelle comme par un scepticisme permanent, il exprima jusqu’au bout ses convictions aussi bien à travers ses œuvres qu’à travers une activité militante. Deux photographies du début du siècle mettent ainsi l’accent sur sa double position : d’une part, l’écrivain reconnu, d’autre part, l’homme dans l’intimité de son salon. La première, d’Edward Steichen, grand photographe de mode et portraitiste de célébrités, représente Anatole France accoudé à sa table de travail, en 1913. Privilégiant la dimension psychologique du portrait, Steichen donne une image quelque peu énigmatique du personnage : sa barbichette blanche taillée en pointe, ses moustaches effilées et ses petits yeux vifs et railleurs confèrent un caractère mystérieux à son visage, tandis que tout son être indique une grande détermination et une grande force intérieure. L’aura dont le photographe a su entourer Anatole France indique la renommée et le respect qui s’attachaient à cet écrivain. C’est un autre aspect du personnage, en revanche, que met en valeur la seconde photographie de France prise dans le salon de son hôtel particulier, la villa Saïd, à Paris. Debout dans l’angle d’une cheminée monumentale, l’écrivain apparaît ici comme un collectionneur féru d’antiquités : la richesse du décor intérieur, qui va du gothique au XVIIIe siècle, témoigne de son aisance financière, acquise progressivement, au fil de ses publications, et de sa reconnaissance publique, consacrée par son entrée à l’Académie française. Le parcours d’Anatole France constitue par conséquent un exemple remarquable de la réussite sociale à laquelle pouvaient prétendre les gens de lettres par le biais de leur art.
Entre utopie humaniste et engagement politique
Point de départ de l’engagement politique de nombreux intellectuels, l’Affaire fit d’Anatole France un dreyfusard, isolé parmi ses confrères académiciens, et un personnage public, qui n’hésitait pas à prendre parti pour les valeurs qu’il avait faites siennes. Cette détermination entraîna son évolution vers le socialisme. Devenu l’ami de Jean Jaurès, figure éminente du mouvement socialiste qui possédait un sens aigu des réalités du temps et militait pour une République des droits de l’homme, il proclama publiquement son hostilité envers une Eglise majoritairement antidreyfusarde durant le ministère d’Émile Combes (1902-1905), dont il soutint le projet de loi sur la séparation des Églises et de l’État, avant de se faire l’apôtre de la paix durant les années qui précédèrent l’entrée en guerre de la France. Conscient de la défaite de l’utopie socialiste et de l’impossibilité de créer une entente internationale entre les ouvriers, il n’en plaça pas moins un temps ses espérances dans la révolution russe jusqu’à l’ouverture des grands procès politiques en 1923, au nom d’idéaux progressistes et par fidélité à l’héritage de Jaurès. Cette obsession de la liberté et l’espoir de voir disparaître les injustices qui animaient Anatole France se retrouvent dès 1889 dans son œuvre littéraire, teintée d’une ironie toute voltairienne et marquée par sa conception pessimiste et fataliste de l’histoire : se réclamant aussi bien des sceptiques grecs que des théories darwiniennes sur l’évolution, cet écrivain était attaché à l’idée selon laquelle le progrès social de l’homme a pour limites celles de son cerveau – scepticisme qui entraînait la réduction de l’histoire à une succession de malheurs et de calamités. C’est ainsi qu’il se livra à une critique permanente de l’histoire, tout en mettant paradoxalement cette dernière au service du présent et de la défense des valeurs morales. Au fil de son engagement dans la vie politique de son époque, Anatole France laissa en effet l’actualité envahir ses romans, le transport à une époque antérieure de l’intrigue servant de prétexte à la dénonciation des abus et des mensonges contemporains : citons à titre d’exemple sa relecture anticléricale dans sa Vie de Jeanne d’Arc (1908) et sa virulente critique du pouvoir dogmatique et abstrait au temps de la Terreur dans Les dieux ont soif (1912). Son talent littéraire, cette conception profondément originale de l’histoire et cette ouverture sur son temps lui valurent une consécration nationale, dont témoignent le prix Nobel de littérature qu’il reçut en 1921 et les obsèques nationales – les plus importantes depuis celles de Victor Hugo – que lui offrit l’État en 1924, véritable enterrement-manifestation à la mémoire d’un écrivain fidèle jusqu’au bout aux causes qui lui paraissaient justes.
Marie-Claire BANCQUART Anatole France, un sceptique passionné, Paris, Calmann-Lévy, 1984.
Marie-Claire BANCQUART Les Écrivains et l’histoire Paris, Nizet, 1966.
Jean-Denis BREDIN L’Affaire, Paris, Fayard, nouv.éd.1993.
Jacques DROZ Histoire générale du socialisme, Paris, PUF, 1972.
Jacques JULLIARD et Michel WINOCK Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996.
Madeleine REBERIOUX La République radicale ? Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1975.
Michel WINOCK, Le Siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997.
Charlotte DENOËL, « Anatole France, un écrivain militant », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/anatole-france-ecrivain-militant
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Tocqueville, historien et visionnaire
Magistrat sous la Restauration, Alexis de Tocqueville (Paris, 1805-Cannes, 1859) fut chargé d’une mission d’information aux Etats-Unis et publia à…
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre
Le 25 août 1944, Paris est officiellement libéré. En dépit de la…
Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville (1805-1859), historien, penseur et publiciste français de la famille de Malesherbes, appartient à…
Stéphane Mallarmé
Partagé entre sa vocation de poète et son métier de professeur d’anglais, Stéphane Mallarmé a beaucoup fréquenté les salons parisiens, hauts lieux…
Saint-Exupéry, Icare moderne
Deux ans presque jour pour jour après la disparition en vol d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), la revue communiste Regards…
Un Hommage au Greco
Maurice Barrès entama sa carrière littéraire par des ouvrages exaltant l'émotion, « l'épanouissement de l'…
Hugo en exil
Dramaturge, romancier, poète, Victor Hugo est devenu un monstre sacré de la littérature française. Au cours du XIXe siècle…
L’Hommage à Delacroix, manifeste de Fantin-Latour
Cette toile est composée peu de temps après la mort de Delacroix, en hommage au peintre disparu en 1863. Érigé en chantre de la modernité dès les…
Victor Hugo (1802-1885), une légende dans le siècle
La révolution de 1848 marqua un tournant dans la vie de Victor Hugo, qui commença alors une carrière politique. Le 2 décembre 1851, le poète tenta…
Portraits d'Alexandre Dumas
Monstre sacré de la littérature, Alexandre Dumas est probablement, avec Victor Hugo, l’écrivain le plus populaire du XIX…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel