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Le Baiser

Le Baiser

Auteur : HAYEZ Francesco

Lieu de conservation : Italie, Milan, Pinacothèque de Brera

Date de création : 1859

H. : 112 cmm

L. : 88 cm

Huile sur toile.

Domaine Public © CC0 Pinacoteca Brera

Lien vers l'image

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  • Le Baiser

Le Baiser, un engagement patriote

Date de publication : Octobre 2024

Auteur : Lucie NICCOLI

Francesco Hayez, le romantisme et le Risorgimento

En septembre 1859, en pleine seconde guerre d’indépendance italienne, est présenté à l’exposition annuelle de l’Académie de Brera, à Milan, un tableau insolite parmi les nombreuses scènes de batailles, commandé par le comte Visconti di Saliceto à un peintre déjà âgé et très célèbre : Le Baiser. Il devient très vite une icône de l’art national et romantique. Né et formé à Venise puis à Rome, à l’Académie Saint-Luc et auprès du sculpteur Canova, le peintre Francesco Hayez a passé la majeure partie de sa vie à Milan, où il fait carrière à partir des années 1820, prenant même la direction de l’Académie des beaux-arts de Brera en 1860. Il y rencontre les intellectuels engagés pour l’unification de l’Italie, le Risorgimento, en particulier Alessandro Manzoni (1), l’auteur du roman Les Fiancés (1822), dont il fait le portrait.

Membre de la commission artistique pour les productions de la Scala (2), il fréquente aussi les compositeurs Rossini, Bellini (3) ou Verdi (4). Portraitiste et peintre d’histoire réputé, il abandonne peu à peu l’inspiration antique et mythologique, alors en vogue, pour une histoire médiévale idéalisée, dans la lignée des peintres troubadour français tels Fleury-Richard ou Ingres. Comme Ingres avec sa série de tableaux sur Paolo et Francesca, couple issu de la Divine Comédie (5) de Dante, Hayez livre dès 1823 plusieurs toiles inspirées du Roméo et Juliette (6) de Shakespeare, en particulier un Dernier baiser moins chaste et plus réaliste que celui de Paolo, qui fait sensation.

En 1859, c’est ce thème qu’il décline à nouveau dans un contexte politique plus tendu, trois mois après les sanglantes batailles de Magenta et de Solférino lors desquelles les forces de Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne et prince du Piémont, alliées à la France de Napoléon III, ont affronté l’empire autrichien de François-Joseph Ier. À l’issue de la victoire des coalisés, l’armistice de Villafranca, en juillet, puis le traité de Zurich, en novembre, entérinent la cession de la Lombardie autrichienne au royaume de Piémont-Sardaigne.

L’apparente simplicité du Baiser

La scène figurée par Hayez est en apparence très simple : dans un bâtiment en pierres de taille de style médiéval, au pied d’un escalier, un couple est tendrement enlacé, l’homme tenant dans ses mains la tête de la jeune femme pour mieux l’embrasser sur la bouche, tandis qu’à gauche de l’image, dans l’ombre, la silhouette d’une femme plus âgée, de dos, semble descendre un autre escalier et s’éloigner.

Contrairement au Dernier Baiser de Roméo et Juliette, les deux protagonistes ne sont pas identifiables, leurs visages étant en partie dissimulés par le chapeau de l’homme. Le titre complet, énigmatique – Épisode de la jeunesse. Costumes du XIVe siècle – invite à chercher dans les costumes des amants le sens caché de la toile.

L’œil est immédiatement attiré par la somptueuse robe en satin de soie bleu, brodée d’or à l’encolure et aux manches, que porte la jeune femme. Hayez a magistralement peint les moirés de l’étoffe, vivement éclairée, au centre de la toile, par un rayon de lumière qui vient du coin inférieur gauche. Il s’agit d’une interprétation un peu fantaisiste d’une robe du XIVe siècle, avec ses manches fixées par des boutons et fendues, laissant apparaître la chemise en toile blanche et, au niveau du coude, un extravagant volant blanc. Sa chevelure châtain est dénouée, peut-être sous l’effet de l’ardeur amoureuse. L’homme est enveloppé dans une lourde cape de voyage marron et porte un habit à manches longues de velours vert, de longues chausses collantes rouges et des souliers à la poulaine. Il est armé d’une dague, cachée sous son manteau, contre sa cuisse gauche. Coiffant la masse de ses cheveux noirs ondulés, son chapeau de feutre orné de deux plumes de corbeau ne doit rien à la mode du XIVe siècle : il s’agit du chapeau dit « Ernani », porté par les brigands calabrais au XIXe siècle et par le personnage éponyme de l’opéra de Verdi (1844) (4), d’après Victor Hugo – un noble déguisé en bandit qui se bat contre la domination espagnole.

Drame romantique et engagement patriote

Comme le héros romantique Hernani, le jeune homme fougueux du tableau est donc un combattant en lutte contre l’occupant – en l’occurrence, l’empire d’Autriche, qui règne sur le royaume de Lombardie-Vénétie depuis le congrès de Vienne (1815). Un pied posé sur la première marche de l’escalier, il semble prêt à partir se battre, ce qui a valu rapidement au tableau l’appellation de Baiser du volontaire.

Pour ce dernier baiser, Hayez a peint une étreinte particulièrement voluptueuse, qui ne pouvait manquer d’attirer l’attention d’un public encore puritain : la jeune femme se cambre contre l’homme, penché sur elle, une jambe fléchie. Dans ce décor de pierres claires baignées d’une douce lumière, ce baiser paraît d’autant plus intense que les deux amants sont vêtus de couleurs vives et contrastées : le bleu lumineux de la robe tranche sur le marron de la cape, le vert sombre du pourpoint et le rouge des chausses.

Trois mois après l’entrée victorieuse de Napoléon III à Milan, ces couleurs ont été interprétées comme des références aux drapeaux italien et français, le baiser symbolisant l’alliance des deux nations contre l’Autriche (qui pourrait être évoquée sous la forme de la femme âgée s’éloignant). Ces couleurs diffèrent légèrement dans deux versions ultérieures du tableau : en 1861, la robe n’est plus bleue, mais blanche, ce qui pourrait signifier l’éviction de la France, coupable aux yeux du peintre de n’avoir pas inclus la Vénétie dans le pacte de cession conclu à Zurich avec l’Autriche ; en 1867, dans la toile présentée par Hayez à l’Exposition universelle de Paris, la robe est à nouveau bleue et un voile blanc est posé au sol, sans doute en signe de paix, l’Autriche ayant finalement cédé la Vénétie à l’issue du traité de Vienne (1866).

Fernando MAZZOCCA (sous la dir. de), Francesco HAYEZ, Le mie memorie, (première édition Reale Accademia di Belle Arti, Milan, 1890), Abscondita, Milan, 2024.

Fernando MAZZOCCA, Francesco Hayez, catalogue de l’exposition présentée aux Gallerie d’Italia, à Milan, de nombre 2015 à février 2016, Silvana Editoriale, Milan, 2015.

Gilles PÉCOUT, Naissance de l’Italie contemporaine, Armand Colin, Paris, 2004.

1- Alessandro Manzoni (1785-1873) : écrivain italien Alessandro Manzoni est le petit-fils de Cesare Beccaria. Principal romancier romantique italien, l'auteur des Fiancés est un aussi un historien et un homme politique et participe au Risorgimento.

2 - La Scala de Milan : opéra de Milan inauguré en 1778.

3 - Vincenzo Bellini (1801-1835) : compositeur d'opéra italien, Vincenzo Bellini est l'auteur de La Somnambule, de Norma, créés en 1831 à la Scala de Milan.

4 - Giuseppe Verdi (1813-1901) : compositeur italien, Giuseppe Verdi est le créateur de près de 25 opéras. En 1842, il crée Nabucco à la Scala de Milan, c'est un succès. Son chœur des esclaves Va pensiero devient l'hymne des partisans de l'unité italienne, son nom de code du ralliement des révolutionnaires : "Viva V.E.R.D.I" signifie "Viva Victor-Emmanuel roi d’Italie". À cette période, les créations de Verdi ont souvent une résonance patriotique : Ernani, Attila... Après 1850, Verdi n'a plus de rival, il enchaine les créations dont Le Trouvère, la Traviata, Aïda...

5 - Divine Comédie  : poème de l'italien Dante Alighieri (1265-1321), La Divine Comédie est écrite vers 1307 et publiée en 1572. Elle se compose de trois parties : L'Enfer, le Purgatoire, le Paradis. Le poème raconte le voyage imaginaire de Dante des Enfers au Paradis guidé par le poète Virgile puis par Béatrice, sa muse. L'Enfer a inspiré de nombreux artistes.

6 - Roméo et Juliette : drame du britannique William Shakespeare (1564-1616) de 1595, Roméo et Juliette met en scène l'amour impossible entre deux adolescents appartenant à deux familles rivales de Vérone : les Montaigu et les Capulets. Le sujet a été repris par de nombreux artistes à l'époque romantique, il a inspiré près de 25 opéras, des films et la comédie musicale West Side Story.

Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.

Lucie NICCOLI, « Le Baiser, un engagement patriote », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/baiser-engagement-patriote

Pour aller plus loin : Les Fiancés d’Alessandro Manzoni, un podcast de France Culture, 58mn.

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