François-Joseph à cheval
Famille impériale d'Autriche
François-Joseph devant les cercueils de François-Ferdinand et de la duchesse Sophie de Hohenberg
François-Joseph à cheval
Auteur : THOREN Otto von
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1866
H. : 386,5 cm
L. : 299 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowsk
INV 20775 - 95-005124
Le Long règne de François-Joseph Ier, dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie
Date de publication : Février 2024
Auteur : Lucie NICCOLI
Soixante-huit ans de règne, du Printemps des peuples à la Grande Guerre
Né en 1830, couronné en 1848, mort en 1916, François-Joseph Ier s’est efforcé tout au long de son règne de maintenir l’unité de l’empire d’Autriche, vaste territoire peuplé d’une mosaïque de peuples dont les frontières avaient été redéfinies lors du Congrès de Vienne, en 1815. Inspiré par l’autorité de son grand-père François Ier et le conservatisme du chancelier Metternich auquel sa mère, Sophie de Bavière, avait confié son éducation politique, il gouverne en monarque absolu (collaborant toutefois avec un Parlement élu) et centralise l’administration impériale à Vienne.
Les principaux conflits nés du Printemps des peuples s’achèvent près de vingt ans plus tard : en 1866, la Prusse obtient, à l’issue de sa victoire à Sadowa (1) sur l’empire autrichien, la dissolution de la Confédération germanique (2) et la prééminence sur les États allemands, tandis qu’une troisième guerre d’indépendance aboutit à la cession au jeune royaume d’Italie des derniers territoires italiens de l’empire. L’année suivante, François-Joseph signe le compromis austro-hongrois établissant le principe d’une double monarchie et se fait couronner roi de Hongrie. En dépit des tensions ethniques qui persistent, s’ouvre alors une ère de prospérité économique, portée par l’essor de l’industrie et du libre-échange, l’embellissement et le rayonnement culturel et artistique de Vienne. Dans les années 1910, les conflits d’intérêt des grandes puissances – liées par des alliances – dans les Balkans, précipitent finalement l’Europe dans la Première Guerre mondiale. L’évènement déclencheur de la guerre – l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 – prive qui plus est le vieil empereur de son neveu et héritier, l’archiduc François-Ferdinand.
Peintres, graveurs puis photographes ont été nombreux à représenter François-Joseph Ier adepte d’un certain culte de la personnalité. Otto von Thoren, peintre formé à Paris et ancien capitaine de cavalerie, le figure à cheval en 1866, tel un fier chef de guerre dirigeant des manœuvres. Ce grand portrait équestre est offert à Napoléon III l’année suivante. À la fin de son règne, quelques jours après l’attentat de Sarajevo, c’est un vieillard affaibli que peint Felix Schwormstädt, illustrateur de presse allemand qui devint ensuite célèbre pour ses images de la guerre et ses marines. Une planche gravée de format carte-de-visite réunissant des photos miniatures de la famille impériale évoque par ailleurs les membres de la dynastie Habsbourg vers 1864. Elles sont pour la plupart extraites de portraits réalisés par Ludwig Angerer, propriétaire à Vienne d’un atelier spécialisé dans les portraits d’aristocrates et de célébrités, qui fut nommé vers 1860 photographe officiel de la cour impériale.
Du jeune chef de guerre au vieux souverain endeuillé
Dans le portrait officiel de von Thoren, le fier et élégant cavalier qui se tient bien droit sur son fringant cheval alezan occupe presque la totalité de l’espace, les autres officiers à cheval, à droite, et le régiment d’infanterie, à gauche, faisant office de décor. Le jeune homme porte un uniforme de parade de Generalfeldmarschall, le plus haut grade de l’armée autrichienne, dont hérite chaque nouvel empereur lors de son couronnement : un pantalon rouge à galon doré, une tunique blanche serrée à la taille par un cordon, à col et revers de manches dorés, et un shako orné de plumes d’autruche teintes en vert. Il arbore l’écharpe de l’ordre de Marie-Thérèse, aux couleurs du drapeau autrichien, et plusieurs décorations militaires sur la poitrine, dont la grand-croix de ce même ordre près du col et la médaille de l’ordre de la Toison d’or autour du cou. Sur son tapis de selle est brodé en lettres d’or son monogramme « FJI ». L’empereur, passionné par l’armée dès l’enfance, porte ce costume militaire dans de nombreux autres portraits officiels : dès 1851, dans celui de Johann Ranzi, puis dans ceux de Franz Russ ou de Franz Xaver Winterhalter. Il est aussi reconnaissable à sa célèbre moustache en guidon et à ses favoris déjà imposants, qui affermissent son visage un peu poupin.
Le cheval qu’il monte, sans doute un pur-sang arabe d’une grande finesse, fait l’objet d’une peinture particulièrement soignée. Son pelage lustré, ses naseaux frémissants et les veines apparentes sur sa tête délicate témoignent du talent de von Thoren pour l’art animalier, dans lequel il se spécialisa par la suite. La vaste plaine que l’on devine derrière l’empereur et le ciel tumultueux qui s’étend sur le tiers supérieur du tableau suggèrent l’immensité des territoires sur lesquels il règne.
Le général des armées est aussi le chef de la maison de Habsbourg-Lorraine, qui compte alors de nombreux héritiers potentiels. Ses principaux membres sont figurés sur des photographies miniatures enchâssées dans les volutes végétales d’une sorte d’arbre généalogique : au centre et surmontés de la couronne impériale, le couple régnant, François-Joseph et Élisabeth de Wittelsbach, dite Sissi, qu’il épousa en 1854 ; au-dessus d’eux, encadrés par deux lys et sous le drapeau autrichien, leurs deux enfants, Gisella et Rudolf ; de part et d’autre, les parents de l’empereur, l’archiduchesse Sophie et l’archiduc Franz Karl ainsi que son frère cadet Ferdinand Maximilien et l’épouse de ce dernier, Charlotte ; plus bas, son frère Karl Ludwig face à son épouse Maria Annuziata, parents de François-Ferdinand, et son plus jeune frère Ludwig Victor. Les figures de François-Joseph et d’Elisabeth sont issues des portraits photographiques en pied qu’en fit Ludwig Angerer vers 1860, conservées dans le même album que le montage édité par Oscar Krämer. L’impératrice, femme réputée pour sa grande beauté, en particulier sa longue chevelure brune et sa taille très fine, est vêtue d’une ample robe d’intérieur blanche, sans crinoline, les cheveux tressés remontés en un lourd chignon sur la nuque. Tous les hommes portent un uniforme d’officier autrichien, à l’exception de Maximilien, appelé à monter sur le trône du Mexique et qui dut en contrepartie renoncer à ses droits à la succession de la couronne d’Autriche. Sous le couple impérial, une aigle bicéphale, symbole de la Confédération germanique jusqu’en 1866 puis, à partir de 1867, de la double monarchie austro-hongroise, tenant dans ses serres le glaive et le globe crucifère de la domination universelle, étend ses ailes au-dessus d’un phylactère portant la devise de l’empereur, Viribus Unitis – « en unissant nos forces ».
Début juillet 1914, François-Joseph est un vieil homme accablé par les deuils – ceux de son fils Rodolphe en 1889, mort avec sa maîtresse dans d’obscures circonstances, et de son épouse bien aimée, tuée par un anarchiste italien –, fatigué de régner et privé d’héritier pour la seconde fois. Les dessins en noir et blanc de Felix Schwormstädt à l’occasion du retour des dépouilles à Vienne rendent compte de cette atmosphère lugubre de fin de règne. Dans la chapelle de l’église Saint-Augustin de la Hofburg transformée en chapelle ardente, le vieil empereur voûté, les mains jointes, le visage ravagé par le chagrin, se recueille devant les deux cercueils. Il fait pâle figure, tête nue, ses décorations comme fondues dans la lumière des bougies, face aux officiers en faction dans leur superbe uniforme. Il se tient à la périphérie de l’image comme un humble visiteur, un spectateur impuissant, une sorte de fantôme auquel les officiers imperturbables et le prêtre qui lui tourne le dos sont indifférents, alors que l’estrade qui supporte les deux sarcophages ouvragés occupe les trois quarts de l’espace. Les officiers, raides des pieds au fier plumet de leur colback, les nombreux cierges et la fine croix qui se dresse entre les cercueils semblent d’ailleurs lui interdire l’accès à ce sanctuaire comme à la compréhension du sens que revêt cet événement tragique pour le destin de l’empire.
Des portraits qui reflètent l’évolution de l’empire
Un demi-siècle sépare les images de 1864 puis 1866 et celle de 1914 : à travers elles peut se mesurer l’évolution de l’empereur, mais aussi celle de la dynastie Habsbourg et même de l’empire austro-hongrois jusqu’à sa dislocation. Vers 1864, les photographies officielles d’une famille impériale florissante sont diffusées et collectionnées dans des albums par toutes les classes sociales et l’avenir de la dynastie comme de l’empire semble assuré. Son grand portrait équestre peint en 1866, l’année des humiliants traités de Prague avec la Prusse et de Vienne avec l’Italie, est présenté l’année suivante à l’Exposition universelle de Paris, où François-Joseph rend visite à son ancien ennemi Napoléon III, peu après avoir été couronné roi de Hongrie ; il témoigne encore de sa confiance dans les capacités de l’empire à se défendre et à préserver son intégrité, en dépit des revers essuyés.
En 1914, c’est un artiste allemand qui vient documenter à Vienne la brève oraison funèbre dite pour l’héritier de l’empire, à laquelle François-Joseph assiste presque seul, les autres souverains ne s’étant pas déplacés (l’empereur allemand Guillaume II envoya un ambassadeur). L’image de ce « dernier monarque de la vieille école », décrépit, privé des attributs du pouvoir et dépassé par la tragédie qui se prépare, face à ces cercueils imposants, semble annoncer non seulement la fin de la dynastie et de l’empire, avec lequel elle faisait corps, mais aussi les millions de morts causés par la Grande Guerre.
Juliana WEITLANER, Franz Josef. Ein Kaiser in Wort und Bild, Vitalis, Vienne, 2023.
Jean des CARS, François-Joseph et Sissi, coll. Tempus, Perrin, Paris, 2023.
Jean-Paul BLED, François-Joseph, coll. Tempus, Perrin, Paris, 2016.
François FEJTO, Requiem pour un empire défunt, coll. Tempus, Perrin, Paris, 2014.
1 - Bataille de Sadowa (3 juillet 1866) : bataille décisive qui met fin à la guerre austro-prussienne. Commandés par Von Moltke, les Prussiens montrent la supériorité de leur armement et de leur efficacité, notamment par l'exploitation du transport ferroviaire pour le transport des troupes. La bataille est une étape essentielle vers l’unité de l’Allemagne voulue par Bismark et de l’Italie contre l’Autriche.
2 - Confédération germanique (1815-1866) : union politique crée lors du Congrès de Vienne en 1815, elle prend le relai du Saint-Empire romain qui a cessé d'exister en 1806 du fait des guerres napoléoniennes. Elle rassemble 38 états de langues allemandes dont l'Autriche et la Prusse. L'empereur d'Autriche préside la Confédération germanique. Tout au long de son histoire, l'Autriche et la Prusse s'affronte, la Prusse souhaitant une unification allemande. L'union est dissoute en 1866 à l'issue de la guerre austro-prussienne qui se termine par la victoire de la Prusse à Sadowa. La Confédération germanique est une étape majeure dans la construction de l’Empire allemand, qui voit le jour en 1871.
Monogramme : Ensemble de lettres entrelacées pour ne former qu’un seul motif identifiant une personne ou une institution.
Lucie NICCOLI, « Le Long règne de François-Joseph Ier, dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/long-regne-francois-joseph-ier-dernier-empereur-autriche-roi-hongrie
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