Vue de la Sainte-Chapelle après restauration.
Paris, Flèche de Notre-Dame, en plomb et cuivre martelé, Viollet le Duc.
Vue du château de Saint-Germain-en-Laye pendant la restauration d'Eugène Millet.
Vue de la Sainte-Chapelle après restauration.
Auteur : MARVILLE Charles
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 49 cm
L. : 35 cm
Épreuve sur papier albuminé. Fonds de la Firme Monduit
Domaine : Photographies
© RMN - Grand Palais (musée d'Orsay) / René-Gabriel Ojeda
PHO 2001 3 45 - 01-020587
Charles Marville : photographies d'un patrimoine monumental restauré
Date de publication : Décembre 2014
Auteur : Charlotte DENOËL
La restauration des édifices : une science en plein essor
Les destructions monumentales survenues au cours de la période révolutionnaire, la consolidation des identités nationales et l’intérêt porté à l’Histoire par les Romantiques débouchent dans les années 1830 sur l’invention de la notion de patrimoine monumental, dont on célèbre la valeur historique et archéologique. Dans les faits, cette valorisation du patrimoine se traduit par la création d’un poste d’inspecteur général des Monuments historiques le 21 octobre 1830, qu’occuperont successivement Ludovic Vitet puis Prosper Mérimée, et d’une Commission des Monuments historiques en 1837.
La Commission est chargée d’inventorier les monuments, de les classer et d’attribuer les crédits de restauration. Composée essentiellement d’archéologues, elle désigne les architectes responsables des travaux de restauration. Cependant, à cette époque, cette discipline n’est encore qu’une science balbutiante, et les travaux entrepris sur les monuments anciens sont souvent en butte aux critiques des archéologues soucieux de respecter l’authenticité formelle d’un bâtiment. Ce n’est qu’à partir des années 1840, avec les travaux entrepris à Vézelay sous la houlette de Viollet-le-Duc, que la restauration commence à se doter de principes véritablement scientifiques.
Charles Marville et les chantiers de restauration
De nombreux chantiers de restauration s’ouvrent à cette époque, ainsi qu’en témoigne l’œuvre photographique de Charles Marville (1816-v. 1879), dont le nom est resté étroitement lié aux aménagements et transformations de Paris durant la seconde moitié du XIXe siècle. Ce « photographe de la Ville de Paris » s’est également distingué par sa collaboration avec quelques architectes-restaurateurs, comme Lassus, Viollet-le-Duc, Abadie ou Millet. Il a notamment laissé plusieurs vues de la Sainte-Chapelle de Paris, restaurée à partir de 1836 par Félix Duban et Jean-Baptiste Lassus qui reprennent l’ensemble des maçonneries, élèvent une nouvelle flèche et refont la décoration des chapelles, vitraux comme peintures. Exemplaire par sa rigueur scientifique et par le respect soigneux des différentes strates de l’histoire, ce chantier marque le point de départ d’une nouvelle pratique de la restauration monumentale.
Cette tendance se confirme en 1842, avec le lancement du projet de restauration de Notre-Dame de Paris, durement touchée comme la Sainte-Chapelle par la tourmente révolutionnaire. La restauration en est confiée à Lassus, l’architecte de la Sainte-Chapelle, et à Viollet-le-Duc, qui vient d’entamer de son côté le sauvetage de la Madeleine de Vézelay. Très prudent, le projet initial qui s’appuyait sur une observation archéologique minutieuse fait bientôt place à des vues plus ambitieuses, à la suite de la mort de Lassus en 1857 : resté seul maître du chantier, Viollet-le-Duc s’éloigne des principes de son aîné pour faire acte de création. Cherchant à rendre à l’édifice son aspect initial et tous ses anciens attributs, il entreprend la réfection de la façade occidentale et des sculptures, puis le rétablissement sur la croisée du transept de la flèche détruite en 1792, sur les contreforts de laquelle il ajoute les hautes statues en cuivre repoussé des apôtres et des symboles des évangélistes. Leur position dominante a contribué à modeler la physionomie actuelle de l’édifice, comme le montre cette vue plongeante de Marville. C’est également à Viollet-le-Duc que nous devons la suppression des parties jugées inutiles, comme le chœur de Louis XIV, et le retour à l’élévation « primitive » du XIIe siècle, au nom d’une exigence de style, une exigence qui a parfois abouti à gommer les particularités du monument. Nommé inspecteur général des édifices diocésains en 1853, Viollet-le-Duc parvient malgré les critiques à imposer largement ses vues concernant la restauration au sommet de l’Etat, et nombreux sont ses disciples qui mettent en œuvre ses théories sur la structure architecturale et le retour aux origines, tel Eugène Millet (1819-1979), auquel Napoléon III confie à partir des années 1860 la restauration du château de Saint-Germain-en-Laye, en vue d’y installer le Musée des Antiquités nationales. Edifié dès 1539, le château était dans un triste état depuis la fin du XVIIIe siècle, et Millet opte pour un parti radical : le retour à l’état primitif tel qu’il se présentait sous François Ier. Il supprime tous les ajouts du XVIIe siècle et restitue les parties manquantes en s’appuyant sur les relevés de Jacques Androuet du Cerceau. De nombreuses photographies de Marville, ici une vue en oblique de la cour intérieure du château, témoignent de l’ampleur des réfections réalisées par l’architecte qui a repris la structure du château et recréé entièrement certaines parties comme la façade occidentale.
La photographie au service du patrimoine monumental
Ces photographies de Marville jettent un éclairage précieux sur les transformations et les bouleversements qu’a subis le patrimoine monumental français dans la seconde moitié du XIXe siècle. Si les édifices du Moyen Âge, symboles d’une histoire nationale, constituaient le champ d’action privilégié des restaurateurs de l’époque, d’autres monuments plus tardifs n’ont cependant pas échappé à la fièvre restauratrice, ainsi qu’en témoigne l’exemple du château de Saint-Germain-en-Laye. Comme Atget avec le Vieux Paris, Marville a exploité les ressources du nouveau médium que représentait la photographie pour fixer sur la pellicule les différents états d’un monument, avant, pendant et après la restauration. Ses photographies s’inscrivent dans une démarche patrimoniale, dans la mesure où elles permettent de conserver une trace des états successifs d’un monument, dont certains, comme nous l’avons vu, n’ont pas toujours été maintenus lors de la restauration. Initiée par l’État français dès 1851, avec la Mission héliographique, cette volonté de valoriser le patrimoine par le biais de la photographie a été pleinement mise en œuvre dans la seconde moitié du XXe siècle par l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, pour lequel la photographie représente un outil indispensable au recensement et à la description du patrimoine français sous toutes ses formes.
Bruno FOUCART « Viollet-le-Duc et la restauration », Les lieux de mémoire, II. La Nation éd. P. Nora, Paris : Gallimard, 1997, p. 1615-1643 ( « collection Quarto »).
Jean-Michel LENIAUD et Françoise PERROT, La Sainte-Chapelle, Paris : éd. du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2007.
Jean-Michel LENIAUD et Françoise PERROT, Les archipels du passé : le patrimoine et son histoire, Paris : Fayard, 2002.
Charles Marville, photographe de Paris de 1851 à 1879 [exposition, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 21 novembre 1980-31 janvier 1981], Paris : BHVP, 1980.
Marie de THEZY, Charles Marville : Paris disparu, Paris : Paris Musées, 1995.Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Paris : Seuil, 2000.
Charlotte DENOËL, « Charles Marville : photographies d'un patrimoine monumental restauré », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/charles-marville-photographies-patrimoine-monumental-restaure
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