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Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet

Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet

Auteur : LOIR Marianne

Date de création : Vers 1745

H. : 12 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© GrandPalaisRmn / A. Danvers

Lien vers l'image

Bx E 19 - 99-009698

  • Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet

Émilie du Chatelet, femme de science et intellectuelle

Date de publication : Avril 2024

Auteur : Lucie NICCOLI

Émilie du Châtelet, femme de sciences et compagne de Voltaire

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, fut au XVIIIe siècle une scientifique de premier plan, pourtant longtemps restée dans l’ombre du philosophe Voltaire, dont elle partagea la vie. Grâce à son père, le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs sous le règne de Louis XIV, elle bénéficia au même titre que ses frères d’un enseignement riche et varié : latin et grec, anglais et allemand, mathématiques, physique, ainsi que danse, clavecin, chant, théâtre et gymnastique.

Le marquis du Châtelet, qu’elle épousa à dix-neuf ans, l’autorisa à vivre librement à Paris pourvu que les apparences soient sauves, lui conservant son amitié. Elle entretint alors plusieurs liaisons amoureuses : avec le duc de Richelieu (1), l’académicien Maupertuis (2), qui fut son professeur, mais surtout, à partir de 1733, avec Voltaire. En 1748, à la cour du duc de Lorraine, elle s’éprit du poète et militaire Jean-François de Saint-Lambert (3). Elle mourut l’année suivante des suites de la naissance de l’enfant qu’elle eut avec lui.

Sa rencontre avec Voltaire, de douze ans son aîné, fut déterminante pour leurs parcours respectifs. Recherché par la justice à la suite de la publication clandestine, en 1734, des Lettres philosophiques – un éloge de la tolérance anglaise –, il se réfugia avec Émilie dans le château de Cirey (Haute-Marne). Pendant plusieurs années, tous deux y menèrent des expériences scientifiques, étudièrent et écrivirent ensemble.

Passionnés l’un et l’autre par les théories de Newton sur le mouvement des corps et la gravitation, ils furent les pionniers de leur vulgarisation en France, avec la publication, en 1737, des Éléments de la philosophie de Newton, ouvrage auquel contribua Émilie, et la traduction commentée par la marquise de ses Philosophiae naturalis principia mathematica. Auteur également d’un Discours sur le bonheur aux accents épicuriens, Émilie associa toute sa vie le goût de l’étude et celui d’occupations plus futiles telles que la parure, les divertissements et les jeux d’argent.
Largillière et Nattier firent son portrait, mais elle leur préféra celui que fit d’elle vers 1745 la jeune Marianne Loir, de retour de Rome où elle avait suivi l’enseignement de Jean-François de Troy, directeur de l’Académie de France. Cette œuvre fut très appréciée, comme l’attestent ses nombreuses copies peintes ou gravées jusque dans les années 1780.
 

L’œillet et le compas, ou l’équilibre entre sentiments et raison

Marianne la figure dans son cabinet de travail, devant une bibliothèque chargée de gros livres. Confortablement assise dans un élégant fauteuil tendu d’une tapisserie rose pastel, elle se détourne de son bureau pour regarder le peintre, auquel elle adresse un aimable sourire. Représentée jusqu’aux genoux dans son ample robe de velours bleu, un coude négligemment posé sur le bureau, elle adopte une pose gracieuse et souple, le buste penché du côté opposé au visage, lui-même légèrement de trois-quarts. Elle tient dans sa main gauche un œillet blanc, symbole de l’amour fidèle et pur et, dans sa main droite tendue vers l’avant, un compas, symbole du contrôle de soi au XVIIIe siècle. Sur le bureau, une sphère armillaire héliocentrique rappelle son intérêt pour l’astronomie et une équerre en bronze sur une liasse de papier évoque ses travaux en cours.

Sa robe croisée sur la poitrine et bordée de fourrure – sans doute du vison, comme son tour du cou fermé par un bijou, mis à la mode par la princesse palatine – est du dernier chic ; elle laisse apparaître au niveau du large décolleté une très fine dentelle et dans le prolongement des manches, des « engageantes » (volants de dentelles) ornées de rubans.

Femme mûre de quarante ans, la marquise est encore belle et offre au regard du peintre son buste plein et ses bras ronds à la peau claire. Dans ce portrait réputé ressemblant, Marianne Loir rend fidèlement son agréable visage aux grands yeux brillants d’intelligence rehaussés d’épais sourcils, au nez un peu fort, à la bouche petite mais sensuelle, que l’on reconnaît aussi dans son effigie peinte par Nattier en 1743 .

Une femme intellectuelle et sensuelle à la fois

Comme Adélaïde Labille-Guiard quarante ans plus tard dans son autoportrait, Émilie du Châtelet semble revendiquer par l’intermédiaire de Marianne Loir, sa consœur artiste, le droit pour les femmes de pratiquer des activités, voire d’exercer des métiers réservés aux hommes : scientifique et auteur, ou peintre. Cette dernière, femme peintre et célibataire, sut exprimer cette tranquille fierté de la scientifique accomplie, qui n’en est pas moins femme : le portrait associe l’image de l’intellectuel au travail dans son cabinet, habituellement masculine – Voltaire, Rousseau ou d’Alembert ont été ainsi représentés, – et celle de la femme du monde, magnifiquement vêtue et parée à la dernière mode, qui était d’ordinaire simplement assise sur un siège élégant ou à sa toilette.

Le goût prononcé d’Émilie pour les étoffes et les bijoux, qui égalait sa passion pour les sciences, lui valut d’ailleurs de la part de Voltaire le surnom de « Madame Pompon Newton ». Ici l’artiste, petite-fille d’orfèvre (Nicolas I Loir) et fille de peintre (Nicolas Loir), manifeste ses talents de coloriste et flatte les goûts de la marquise pour les teintes nouvelles : le rose pastel, très prisé des aristocrates sous le règne de Louis XV, et couleur favorite de Madame de Pompadour, et le bleu de Prusse, créé à Berlin au début du siècle. Contrastant avec ce bleu profond, ce rose éteint et l’arrière-plan mordoré, les chairs – en particulier la poitrine, au centre de la toile – paraissent d’un blanc lumineux et attirent l’œil. Sur un fond de boiseries et de volumes aux lignes droites, ce portrait tout en courbes qui s’inscrit dans le style rocaille, comme l’indiquent aussi les volutes dorées de la pendule dans l’angle supérieur gauche, rend hommage aux facultés intellectuelles de la « divine Émilie », comme l’appelait Voltaire, tout en célébrant sa sensualité.

Émilie du Châtelet, première savante francaise, une vidéo de Culture Prime

Catherine VOIRIOT, « Marie-Anne Loir : une femme portraitiste sous le règne de Louis XV » in Revue de l'art n°205, 2019/3, Paris.

Élisabeth BADINTER, Mme du Châtelet, Mme d’Épinay ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Flammarion, Paris, 2006.

Élisabeth BADINTER et Danielle MUZERELLE (sous la dir. de), catalogue de l’exposition présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2006, Madame du Châtelet. La femme des Lumières.

LE COAT G., EGGIMAN A., « Emblématique et émancipation féminine au XVIIIe siècle ; le portrait de Mme du Chatelet par Marianne Loir », in Coloquio Artes, n° 68, mars 1986, p. 30-39.

1 - Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, maréchal-duc de Richelieu (1696-1788) : arrière-petit-neveu du cardinal de Richelieu, le maréchal-duc de Richelieu, de moeurs libertines, il se battit plusieurs fois en duel et fut embastillé. Homme de guerre, il fait une brillante carrière militaire et participe à la bataille de Fontenoy.

2 - Pierre-Louis-Moreau de Maupertuis (1698-1759) : mathématicien, il part à Londres en 1728 où il découvre les théories d'Isaac Newton. Afin de prouver que la Terre est plate au pôle, il réussit à organiser une expédition en Laponie et au pôle Nord en 1736. Il en revient en 1738. Il démontre à l'Académie des sciences que Newton a raison et que la Terre à la forme d'une mandarine, cependant l'Académie dominée par les cartésiens et les cassiniens refusent d'admettre cette théorie. Maupertuis quitte la France pour la Prusse en 1744.

3- Jean-François de Saint-Lambert (1716-1803) : poète français né à Nancy, il fréquente la cour de Lunéville où il rencontre Voltaire et Madame du Châtelet avec qui il aura une liaison. Il fréquente les encyclopédistes, il publie Les Saisons en 1719 qui lui ouvre les portes de l'Académie française en 1720. Lors de la Révolution française, il se retire à Eaubonne, chez Madame d'Houdetot dont il est l'amant depuis 1752.

Rocaille : Mouvement artistique du XVIIIe siècle qui s’épanouit en France, à partir de la Régence, dans les ornements architecturaux et les arts décoratifs en privilégiant les jeux de courbes. En peinture, les artistes illustrent des sujets légers et séduisants, galants ou exotiques, dans un traitement où l’aspect décoratif voire anecdotique l’emporte.

Lucie NICCOLI, « Émilie du Chatelet, femme de science et intellectuelle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/emilie-chatelet-femme-science-intellectuelle

 À découvrir le dossier Émilie du Châtelet sur le site web de la BNF Les Essentiels Littérature

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