La Compagnie de tirailleurs sénégalais du capitaine Mangin en manœuvre
"La Force noire" de Charles Mangin, lieutenant-colonel
La Compagnie de tirailleurs sénégalais du capitaine Mangin en manœuvre
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web
Date de création : 1899
Date représentée : Juin 1899
H. : 9,9 cm
L. : 17 cm
Épreuve argentique
Domaine : Photographies
© Paris - musée de l'Armée, dist. RMN - Grand Palais / Pascal Segrette
06-506163 / 994.312.17
"La Force Noire"
Date de publication : Février 2022
Auteur : Guillaume BOUREL
La colonisation française en Afrique à son apogée
La France achève, dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, la conquête de son Empire en Afrique. Alors que le « partage » du continent est presque achevé sur le terrain, le gouvernement français décide de lancer en 1896 la mission Congo-Nil, qui doit permettre de relier l’A.O.F. (Afrique occidentale française) à Djibouti et prendre position au Soudan face aux Anglais. Le commandant Marchand confie au capitaine Charles Mangin le recrutement de cent cinquante tirailleurs pour cette traversée de l’Afrique. Si la France doit reculer à Fachoda (1) face à l’intransigeance anglaise, Jean-Baptiste Marchand et ses quinze officiers et sous-officiers sont célébrés en France comme des héros, ce dont témoigne la photographie. Les progrès techniques dans ce domaine (appareils plus légers, vitesse d’obturation améliorée pour saisir l’instantané…) accompagnent l’expansion coloniale à partir des années 1890 : les différentes campagnes sont dorénavant illustrées avec plus de réalisme par ce médium.
Charles Mangin retient de la mission Congo-Nil l’atout que représentent les troupes africaines. Cet officier d’infanterie de marine a réalisé tout le début de sa carrière en Afrique, où lui fut confié son premier commandement en 1889. Il appartient à cette catégorie des officiers « africains » qui connaissent la qualité des tirailleurs sénégalais. Soutenu par Gallieni (2), il défend dans La Force noire, ouvrage paru en 1910, la contribution militaire des Africains en cas de conflit européen. S’alarmant, comme toute une partie de la droite et de l’État-major de l’époque, du déclin démographique de la France et de l’affaiblissement de la « race française », il en appelle à une « régénération » morale. Mais, en attendant, pour épargner le sang français, il promeut la mobilisation des Africains dont il dépeint le respect du chef, l’âme guerrière et la résistance, autant de stéréotypes que véhicule d’ailleurs la culture populaire française.
La visibilité des troupes africaines en France
La photographie, dont l’auteur nous est inconnu, saisit un moment du retour de la mission Marchand en France. Débarqué à Toulon en juin 1899, le capitaine Mangin passe en revue la colonne de cent cinquante tirailleurs sous son commandement, le Mont-Faron, qui domine la ville, s’élevant en arrière-plan. La légende manuscrite précise que les tirailleurs revêtent leur « effets d’habillement », c’est-à-dire les uniformes et équipements qu’ils portaient en Abyssinie, qu’ils ont rejointe après Fachoda et avant leur embarquement pour la France. Sabre au clair, le capitaine fait la démonstration de la discipline de tirailleurs au pas parfaitement cadencé et qui avancent au son d’un clairon qu’on distingue à l’avant. Le photographe saisit un moment furtif ; des spectateurs traversent en désordre l’esplanade, contrastant avec l’ordre militaire de la parade. Des habitants de Toulon, y compris des enfants, courent devant les troupes, signe de la curiosité spontanée que suscite cette première sur le sol de la métropole.
L’illustration de la page de titre de l’ouvrage de Charles Mangin résume le propos de La Force noire, mais va également bien au-delà. La carte schématisée de l’Afrique française représente l’empire français comme un bloc continental d’un seul tenant – auquel s’ajoutent Madagascar et la Réunion –, de la Méditerranée jusqu’au fleuve Congo. Seules sont désignées les régions qui forment les extrémités, mais les dénominations administratives, A.O.F. et A-E.F. (Afrique équatoriale française) notamment, et leurs limites sont absentes. La couleur noire lie la France à ses colonies par-delà la Méditerranée et fait de l’Afrique un vaste prolongement de la France.
L’Afrique, élément de la puissance française
L’épisode de Fachoda est une humiliation pour la France, mais les tirailleurs sénégalais en sortent grandis : ce sont ces « valeureux » soldats qui ont tenu tête aux Anglais qui paradent à Toulon, avant de le faire à Longchamp le 14 juillet après avoir traversé Paris derrière Jean-Baptiste Marchand, acclamés par la foule des Parisiens, et de participer à l’Exposition universelle de 1900.
Si l’opinion publique est encore, dans sa majorité, indifférente à la question coloniale à la Belle Époque, elle prend conscience de son Empire à l’occasion des crises internationales. À travers la figure des tirailleurs sénégalais, les Africains commencent à gagner en visibilité en métropole. C’est dans ce contexte que Mangin estime que l’Afrique française constitue un vivier d’hommes qui permettrait à la France de tenir son rang de puissance, compensant son affaiblissement relatif face à l’Allemagne. Il défend aussi le passage des Africains sous les drapeaux comme une école de civilisation pour les Africains et le « couronnement de l’œuvre de la France », une étape dans l’intégration de ces peuples fraîchement soumis dans le vaste empire français.
Si son ouvrage eut un fort écho, comme en témoignent ses nombreuses rééditions, l’État-major n’est cependant pas unanime. Les adversaires de Mangin soulignent le coût, le manque de loyauté des troupes indigènes et le risque que représente, pour l’ordre colonial, le fait de confier la défense de la France à des Noirs. C’est pourquoi le Parlement se contente de voter en 1910 un mince crédit pour la levée de cinq mille hommes en A.O.F. C’est parce qu’Adolphe Messimy, un des rares parlementaires à soutenir Mangin dès 1910, devient ministre de la Guerre en juin 1914 que la France est la seule nation européenne à engager des soldats africains sur le front européen durant la première guerre mondiale. L’ouvrage de Charles Mangin a fait émerger une nouvelle conception du lien qui unit la France à son Empire, conçu dorénavant comme un tout, ce que Paul Reynaud (3) appellera « la plus grande France » en 1931.
BLANCHARD Pascal (dir.), La France noire : trois siècles de présences des Afriques, des Caraïbes, de l’océan Indien et de l’Océanie, Paris, La Découverte, 2011.
DEROO Éric, La Grande Traversée de l’Afrique : Congo, Fachoda, Djibouti (1896-1899), Paris, Éditions LBM ; Ivry-sur-Seine, ECPAD, 2010.
MICHEL Marc, « Colonisation et défense nationale : le général Mangin et la Force noire », Guerres mondiales et Conflits contemporains, no 145, 1987, p. 27-44.
MICHEL Marc, Les Africains et la Grande Guerre : l’appel à l’Afrique (1914-1918), Paris, Karthala, coll. « Hommes et Sociétés », 2003.
1 - Crise de Fachoda : l'armées française menée par le commandant Marchand tente de rallier Dakar à Djibouti tandis que l'armée anglaise menée par Lord Kitchener remonte le Nil pour relier le Caire au Cap. Les deux puissances coloniales s'affrontent à Fachoda (Soudan) de septembre 1898 à mars 1899. Au final, le gouvernement français ordonne à Marchand de se retirer et laisse les Anglais s'installer dans le bassin de Nil après un accord colonial.
2 - Joseph Gallieni (1849-1916) : militaire, il fit sa carrière en Afrique, fut Gouverneur général de Madagascar (1896-1905). Lors de la première guerre mondiale, il est le gouverneur militaire de Paris et contribua à la victoire de la Marne. Il sera nommé maréchal à titre posthume en 1921.
3 - Paul Reynaud (1878-1966) : homme d'État français, plusieurs fois ministre sous la IIIe république, il sera le dernier Président du Conseil en 1940, s'opposant à l'armistice.
Guillaume BOUREL, « "La Force Noire" », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/force-noire
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