Un mariage, et l'instant où le père de l'accordée délivre la dot à son gendre, dit L'Accordée de village.
Auteur : GREUZE Jean-Baptiste
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 92 cm
L. : 117 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Franck Raux
11-514811 / INV5037
Greuze et la peinture morale
Date de publication : Octobre 2013
Auteur : Saskia HANSELAAR
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les excès de la société aristocratique et libertine incitent le gouvernement ainsi que certains penseurs, tels La Font de Saint-Yenne ou Denis Diderot, à encourager fortement le retour à une vie plus vertueuse. En 1761, la publication des Contes moraux de Marmontel amorce cette nouvelle lecture, propre à édifier le lecteur et dont la République des Lettres et des Arts discute lors des séances qui réunissent Greuze, Diderot, d’Alembert, La Live de Jully, Grimm dans le salon de Mme Geoffrin.
L’art doit également promouvoir cette moralisation. Face aux scènes de genre et de marivaudage qui avaient envahi les cimaises dans les précédents Salons, la vertu et la morale reprennent leurs droits en art. Le marquis de Marigny, directeur général des Bâtiments du Roi et frère de Madame de Pompadour, est à l’origine de ce renouveau. Les difficultés financières liées à la guerre de Sept Ans empêchent toutefois l’État de faire réaliser à ses artistes une peinture d’histoire édifiante en 1761 ; Marigny, à titre privé, commande alors à Jean-Baptiste Greuze, peintre de genre autodidacte originaire de Tournus, Un mariage, et l’instant où le père de l’accordée délivre la dot à son gendre, dit L’Accordée de village. L’artiste, indépendant, avait déjà privilégié la scène de genre sentimentale avec sa première œuvre, Un père de famille expliquant la Bible à ses enfants, présentée au Salon de 1753. Il est l’un des peintres les plus remarqués de ces deux décennies en raison du caractère vrai et naturel qu’il donne à ses figures et à ses compositions, qui paraissent plus touchantes que celles de la peinture d’histoire.
Dans un intérieur modeste mais relativement aisé pour le monde paysan, douze personnages ressortent avec force, grâce au rythme impulsé par le mur du fond, l’étagère et l’armoire imposante. Par le caractère statique des figures et leur réalisme, Greuze parvient à donner l’illusion d’une scène se déroulant sous les yeux du spectateur.
Un jeune homme s’adresse au père vieillissant de sa jeune fiancée, vêtue de blanc et dont le corsage est orné d’un petit bouquet de fleurs. De sa main gauche, le fiancé reçoit la dot que son futur beau-père lui tend. Les bras des deux jeunes gens, discrètement entrecroisés, évoquent le lien qui les unira durant toute leur vie. « Cette fille charmante n’est point droite, mais il y a une légère inflexion dans toute sa figure et dans tous ses membres, qui la remplit de grâce et de vérité. […] Elle a le bras à demi passé sous celui de son futur époux, et le bout de ses doigts tombe et appuie doucement sur sa main ; c’est la seule marque de tendresse qu’elle lui donne, et peut-être sans le savoir elle-même » (Diderot). Sa mère, quant à elle, enserre fermement sa main droite, tandis que l’une de ses sœurs l’enlace en pleurant, montrant la tristesse et la perte qui l’accablent.
D’autres enfants se trouvent dans la partie gauche de cette composition : un jeune garçon curieux qui se hisse sur la pointe des pieds, une petite fille qui nourrit une poule et ses poussins, élément poétique et évocation de la procréation attendue des deux jeunes gens. À côté du vieux père, une des sœurs de la jeune promise regarde durement le couple principal, peut-être avec jalousie. Le dernier personnage masculin, assis à droite dans la composition, s’avère être l’officier civil ; il prépare le contrat de mariage qui unira éternellement les deux jeunes gens.
L’œuvre, qui arrive tardivement au Salon (elle est présentée quelques jours avant la fermeture), remporte un succès unanime. La presse est dithyrambique, et le public s’amasse devant la toile, à un point tel qu’il est difficile pour Diderot de s’en approcher.
La structure pyramidale de cette composition, qui délimite clairement deux espaces rythmés par les personnages mais également par l’architecture intérieure, est une nouveauté, donnant un aspect naturel à l’ensemble de la scène. La partie droite met en avant le monde masculin, régi par l’argent et la loi, dans des tonalités sombres, tandis que l’espace féminin, situé à gauche, est envahi par les larmes. Le fait que Greuze expose le mariage civil des deux jeunes gens, dont le rang social est difficilement identifiable, permet de donner à l’épisode un caractère universel qui, de fait, devient un modèle pouvant parler à tous les publics, contrairement aux acteurs de la peinture d’histoire.
La simplicité et l’honnêteté des sentiments, agréablement lisibles par la mise en image des différentes séquences, font le grand succès de ce tableau. Il présente les éléments qui, quelques années plus tard, seront déterminants pour la formation de la nouvelle peinture d’histoire, portée à son apogée par Jacques Louis David. Grâce à l’engagement privé de Marigny et à la prouesse de Greuze, le Salon de 1761 bénéficie donc du changement iconographique et moral vers un art simple, touchant et édifiant, tant attendu par la République des Lettres et des Arts, mais également par les Bâtiments du Roi.
Denis DIDEROT, Salon de 1761, Œuvres complètes, tome XVIII, Paris, Garnier Frères, 1876.
Robert ROSENBLUM, L’Art au XVIIIe siècle. Transformations et mutations, Saint-Pierre-de-Salerne, G. Montfort, coll. « Imago mundi », 1989 (éd. française).
Thomas CROW, La Peinture et son public à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Macula, 2000.
Emma BARKER, Greuze and the Painting of Sentiment, New York, Cambridge University Press, 2005.
Saskia HANSELAAR, « Greuze et la peinture morale », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/greuze-peinture-morale
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