Aller au contenu principal
Dockers, Bretagne

Dockers, Bretagne

Auteur : PUYO Constant

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : Vers 1895

Date représentée : Vers 1895

H. : 6 cm

L. : 18 cm

Aristotype.

Domaine : Photographies

©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / image RMN-GP

Lien vers l'image

PHO 1988 1 38 - 90-001541-01

Le mouvement pictorialiste et la beauté du travail

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Alexandre SUMPF

Le pictorialisme : quand la photographie se fait art

Avec les progrès techniques réalisés depuis les années 1870, le matériel photographique devient de plus en plus simple à utiliser. De petit format, les nouveaux appareils instantanés (comme le Kodak créé par George Eastman en 1888) mettent ainsi la photographie à la portée d’un public d’amateurs de plus en plus large, entraînant la multiplication et une certaine standardisation des images.

Pendant près de vingt-cinq ans (de 1885 à 1910 environ), divers photographes tentent de réagir à ce qu’ils considèrent comme une banalisation de leur pratique. Britanniques puis français, comme Demachy (membre fondateur du Photo-Club de Paris en 1888), Puyo et Fréchon, théorisent et animent le courant pictorialiste. Ce mouvement international, qui doit son nom à l’expression anglaise pictorial photography (pictorial étant un dérivé de picture, mot qui peut signifier « peinture », mais dont le sens correct est « image »), milite pour une photographie créatrice qui affirme sa valeur artistique et tente de développer son esthétique propre, toutes deux fondées sur le rôle essentiel du photographe et la prééminence de l’image sur le réel photographié. À l’opposé du cliché documentaire de leur époque, ces artistes privilégient l’intervention humaine dans la prise de vue et la production technique des images, inaugurant par là de nombreuses manipulations en chambre noire. Pour eux, loin d’être simplement l’enregistrement et la copie « objective » du réel, la photographie en est plutôt la « transcription ». De même, si sa composition et sa texture présentent un aspect volontairement pictural, elle n’imite ni ne rivalise avec la peinture.

Dockers anonymes, sujets d’une composition artistique

Constant Puyo (1857-1933) est issu d’une famille de notables et d’artistes de Morlaix : son père Edmond, maire de la ville, s’adonne à la peinture, tout comme son oncle Édouard, peintre et dessinateur renommé. Il est aussi le cousin de Tristan Corbière. Militaire de carrière, il propose ses clichés à l’exposition du Photo-Club de Paris en 1894. Ami de Robert Demachy, il devient alors l’un des chefs de file et des théoriciens du pictorialisme.
À l’opposé d’une approche « objective » de la photographie, Puyo affirme très tôt la nécessité de manipuler les négatifs pour exprimer la créativité de l’artiste. Dockers sur un port breton est un cliché tiré sur papier albuminé. L’esthétique de Puyo s’exprime clairement dans cette composition « picturale » discrètement travaillée, d’un noir et blanc lumineux.

Dans la partie droite de ce cliché, des dockers halent un engin monté sur roues. Il s’agit là d’une opération de force, comme l’indiquent le bras gauche de celui qui ouvre la marche et le corps incliné du deuxième, tendus par l’effort. Ils évoluent sur un quai auquel sont amarrés un voilier et un bateau à vapeur dont le capitaine les observe en attendant le déchargement de sa cargaison de tonneaux. À l’arrière-plan s’élèvent des bâtiments industriels qui bornent en partie l’horizon.
À la dynamique des dockers dont la chaîne semble devoir sortir du cadre à droite, Puyo a opposé l’immobilité des quatre hommes debout au premier plan au centre de l’image. Montrés de dos ou tête tournée, ils suivent la manœuvre des yeux. La casquette que portent trois d’entre eux, différente de celle des dockers, laisse supposer qu’ils sont au travail. Avec ses sabots de bois et son chapeau rond breton, le quatrième est sans doute un badaud. Sur leur gauche, un amoncellement de marchandises bâchées reconduit le regard dans les diagonales que tracent le quai et les dockers. La ligne de fuite qui structure cet instantané au rendu très stylisé gagne encore en force par le fait que Puyo a tronqué la flèche de la grue ainsi que le gréement et la cheminée des bateaux.

Le travail est beau

Jouant subtilement du cadrage et des masses, Puyo fait converger tous les regards – ceux des spectateurs photographiés comme ceux des spectateurs de la photographie – sur les dockers en plein effort et parvient ainsi à magnifier leur travail. Une certaine modernité s’exprime alors, conforme aux ambitions des pictorialistes de « peindre » la vie de l’époque. Si l’activité des dockers ne présente pas en elle-même d’éléments très nouveaux – ils emploient des moyens traditionnels comme la corde et la force physique –, si rien n’évoque les progrès techniques du temps – les bateaux et l’engin tracté sont de ce point de vue anodins –, c’est bien dans le choix et le traitement du sujet qu’elle se manifeste. En effet, la représentation d’un travail de force et des humbles ouvriers qui l’effectuent reste assez rare à la fin du XIXe siècle. Surtout, Puyo est ici fidèle à sa volonté de faire de la photographie un art du Beau : ce sont bien la prise de vue et les effets créatifs du photographe qui stylisent et esthétisent cet effort, dans une référence intéressante aux nombreuses toiles montrant des marins aux prises avec des cordages. La « photographie artistique » est ainsi avant tout un « art de la photographie » où la facture (image très stable), la matière et le corps de l’image peuvent transfigurer un réel sur lequel le cliché prime : loin de l’enregistrer, il découvre et réinvente le monde. Le travail ouvrier est ainsi interprété (ici pour atteindre au Beau) par l’artiste au moyen de son art.

 

 

 

Emma de LAFFOREST, Constant Puyo, Paris, Fage, 2008.

Jean-Claude LEMAGNY et André ROUILLE, Histoire de la photographie, Paris, Larousse-Bordas, 1998.

Michel POIVERT, La Photographie pictorialiste en France 1892-1914, thèse de doctorat d’histoire de l’art, Université de Paris-I, 1992.

Le Salon de photographie : les écoles pictorialistes en Europe et aux États-Unis vers 1900, catalogue de l’exposition du musée Rodin, 22 juin-26 septembre 1993, Paris, Musée Rodin, 1993.

Alexandre SUMPF, « Le mouvement pictorialiste et la beauté du travail », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 31/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/mouvement-pictorialiste-beaute-travail

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La « Relève », entre chantage et otages

La « Relève », entre chantage et otages

Le travail rend libre

Pendant l’été 1942, une série d’affiches s’adresse aux centaines de milliers de chômeurs que compte la France et son…

La « Relève », entre chantage et otages
La « Relève », entre chantage et otages
Intérieurs de canuts

Intérieurs de canuts

La Fabrique de soieries a été créée en 1536 par François Ier. Elle a bénéficié d’abord de l’élan économique apporté par les foires au…

Intérieurs de canuts
Intérieurs de canuts
Immigrés dans les années 1920

Immigrés dans les années 1920

L’entre-soi

Dans la France des années 1920, la précarité est à la fois sociale et économique. Les immigrés sont tolérés cependant les pulsions…

Immigrés dans les années 1920
Immigrés dans les années 1920
Immigrés dans les années 1920
Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage

Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage

Les mineurs au tournant du XXe siècle : une identité en construction

Avec près de 300 000 travailleurs au début du XXe

Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Les Travailleurs de la mine : autour de l'abattage
Immigrés et syndicats

Immigrés et syndicats

Mai 68

A la fin des Trente glorieuses, un élan contestataire s’amplifie, dirigé contre toute forme d’autorité culturelle, sociale et politique. Ces…

La crise de 1929 en France

La crise de 1929 en France

Le déclenchement de la crise en France

Si la France sembla tout d’abord épargnée par la crise économique qui frappa de plein fouet les États-Unis…

La crise de 1929 en France
La crise de 1929 en France
Les Travailleurs de la mine : ceux du jour

Les Travailleurs de la mine : ceux du jour

Les grandes heures du charbon dans le Pas-de-Calais au début du XXe siècle

Si l’électricité et le pétrole marquent l’entrée dans l’ère…

Les Travailleurs de la mine : ceux du jour
Les Travailleurs de la mine : ceux du jour
Le travail des femmes au XIX<sup>e</sup> siècle

Le travail des femmes au XIXe siècle

Si le thème du travail dans la peinture est courant en Hollande, et ce depuis le XVIIe siècle, ce n’est pas le cas en France, où l’on a…

Le travail des femmes au XIX<sup>e</sup> siècle
Le travail des femmes au XIX<sup>e</sup> siècle
Le travail des femmes au XIX<sup>e</sup> siècle
Le travail des femmes au XIX<sup>e</sup> siècle
L'ouvrier artisan

L'ouvrier artisan

Gustave Caillebotte (1848-1894) montre des artisans au travail dans un appartement bourgeois peut-être situé dans la plaine Monceau, dans l’ouest…
Le travail en atelier et en manufacture

Le travail en atelier et en manufacture

En France, jusqu’aux années 1820, le travail des enfants, qui aident les adultes dans leurs tâches agricoles ou artisanales, ne fait pas débat.…

Le travail en atelier et en manufacture
Le travail en atelier et en manufacture