Carte pour servir au voyage de M. Saugnier au Sénégal.
Routes au départ de Tombouctou. [Détail de] Carte pour servir au voyage de M. Saugnier au Sénégal.
Voilà comme les Maures prennent les esclaves.
Monsieur Durand remettant ses instructions à son envoyé à Galam.
Carte pour servir au voyage de M. Saugnier au Sénégal.
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
Date de création : 1791
Date représentée : 1791
H. : 63 cm
L. : 90 cm
Gravure. Titre complet : Carte pour servir au voyage de M. Saugnier au Sénégal, dressée sur ses Mémoires Par M. de Laborde. On y a marqué sa Route et celle de M. Brisson.
Domaine : Cartographie
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
CHAN NN/171/58
Les routes de l'esclavage à travers le Sahara en 1791
Date de publication : Mars 2007
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Les routes de l'esclavage à travers le Sahara en 1791
Les routes de l'esclavage à travers le Sahara en 1791
La connaissance de l’Afrique
A la veille de la Révolution, le tracé des côtes d’Afrique est établi avec précision, notamment dans les zones où se pratique le plus important des commerces, la traite des Noirs, en direction des Antilles et des côtes des Amériques. La région du Niger et du Sénégal où des royaumes moins étendus remplacent les anciens empires est mieux cartographiée, grâce aux données plus précises rapportées par des voyageurs audacieux. La traversée du Sahara qui apparaissait infranchissable aux Européens est encouragée par l’African Association de Londres.
Plusieurs récits de voyageurs et des cartes plus précises témoignent du désir de pénétrer à l’intérieur du continent, à la fin des années 1780, même si leur publication n’est effective qu’après la Révolution. Ainsi le voyage au Maroc de William Lemprière, effectué vers 1789, paraîtra en 1801, avec une carte établie par le Major anglais James Rennell (1742-1830) dès 1790.
Ces nouvelles avancées dans la découverte du Sahara n’ont pas échappé à l’homme des Lumières qu’est Jean Benjamin de Laborde (1734-1794). Fermier général pourvu d’importants revenus, il cultive de nombreuses activités en accord avec l’esprit de son temps et de son milieu, des dons d’artiste pour la musique et un intérêt pour l’édition de livres et la cartographie ; il publie un récit de découvreur et la carte de ces routes à travers le Sahara dès 1791.
La carte
Sur le quadrillage scientifique des latitudes et des longitudes, cette carte dresse l’état des connaissances topographiques sur l’Afrique du Nord et de l’Ouest en 1791. Elle a pour but de compléter le récit de voyage de M. Saugnier, naufragé, capturé et vendu par des Arabes comme esclave ; il se sert de cette expérience pour pratiquer lui-même le commerce d’esclaves. Saugnier n’est qu’un héros fictif, mais sous ce nom Laborde regroupe au moins deux récits véridiques. Il adapte le texte aux goûts de ses contemporains en empruntant à d’autres récits de voyage et aux écrits des philosophes. Il décrit le caractère généralisé de la pratique de l’esclavage dans un style alerte. Traversant le Sahara avec une caravane d’esclaves, le héros note ainsi : » Il faut qu’un arabe soit bien pauvre pour ne pas avoir au moins un nègre captif ».
L’éditeur, Jean Benjamin de Laborde, que fascine la diversité des cultures, signale, sur la carte, royaumes, personnages, peuplades, ressources, et toute information récente, même si perdurent des erreurs comme la prétendue source commune au Sénégal et au Niger. Comme le géographe d’Anville, en 1738, Laborde situe pour les corriger, les indications données par les géographes qui ont autorité depuis des siècles : Ptolémée, du IIe siècle après Jésus-Christ et Idrizi, cartographe arabe du XIIe siècle.
Les routes suivies par les marchands d’esclaves
La carte livre pour le Sahara une information neuve : le tracé des routes des caravanes qui le traversent. Elle reprend la carte du Major Rennell où ces itinéraires sont désignés comme « routes des marchands d’esclaves », en 1790. Le voyage de M. Saugnier décrit aussi la présence de nombreux Noirs emmenés en captivité par des Arabes.
Les captifs razziés ou achetés dans l'Ouest africain sont conduits vers trois aires principales où se forment les caravanes avant d'entamer la traversée du désert: les rives du fleuve Sénégal en amont de Saint-Louis, la région de Tombouctou et le territoire de Cano.
Des bords du Sénégal, les esclaves sont acheminés vers le Maroc à travers la Mauritanie, M. Brisson personnage bien réel, naufragé au Cap Blanc en 1785, a été capturé par un Arabe qui l’a conduit vers le sud, pour le vendre à un autre maître qui l’a remmené vers le Nord jusqu’au au Maroc, par cette piste. On note que le nom du pays et celui de la ville qui deviendra Marrakech ne sont pas encore différenciés sur la carte.
Si la mystérieuse Tombouctou, capitale du Soudan, figure sur cette carte de 1791, elle ne sera atteinte et décrite par un Européen qu’en 1795. Les esclaves qui y sont regroupés, peuvent être acheminés dans trois directions, vers le Maroc par le puits d’Aroan (Araouanne), vers Alger, ou bien vers Ghédamès (Ghadamès), d'où ils sont emmenés vers Tunis ou vers Tripoli.
Enfin, la piste qui vient de Cano en passant par Agadès gagne la Tripolitaine par le Fezzan.
Sur ces pistes du désert, les Arabes pratiquent une traite importante qui alimente les marchés intérieurs du Magreb et les ports de Méditerranée d’où les esclaves partent vers l’Orient.
« Voilà comme les Maures prennent les esclaves »
Cette image, publiée en 1789, montre une razzia de captifs par les Arabes dans un village africain incendié. Un marchand d’esclave cherche à s’emparer d’un Noir après avoir attaché une femme à la queue de son cheval et enlevé un enfant en croupe. L’image rompt avec les représentations convenues qui occultent à l’époque les scènes dramatiques ; largement connue avant la Révolution, cette scène sera très souvent reproduite
« M. Durand, ancien gouverneur de la Compagnie du Sénégal, donnant des ordres à son envoyé à Golam, partant à dos de chameau »
Telles se présentent les conditions de voyage à dos de chameau pour les voyageurs audacieux qui partent à la découverte de l’intérieur du continent. Au départ de Saint-Louis, en 1786, une expédition terrestre conduite par M. Rubaud, accompagné d’un Marabout (Arabe) et d’un Noir domestique entreprend de rejoindre le comptoir de traite de Golam, destination annuelle des traitants sur le Sénégal. Le voyage par terre, plus rapide que par le fleuve permet à l’envoyé de négocier des esclaves avant l’arrivée du bateau. Il envoie un messager mais meurt avant le retour, assassiné par ses esclaves révoltés.
L’Afrique noire fait l’objet d’un renouveau d’intérêt dans les milieux évolués et savants d’Europe à la fin du XVIIIe siècle. Toute indication nouvelle sur l’Afrique constitue à l’époque une information stratégique, de nature économique ou politique.
Sur cette carte, les annotations foisonnent, mêlant originalité et sens commercial. La pratique généralisée de l’esclavage s’y dévoile concrètement.
Immédiatement traduits, le livre et la carte de Laborde, sont vendus dès 1792 en Angleterre, premier pays de traite. Ils sont révélateurs des ambiguïtés du temps sur la question de l’esclavage. L’Afrique fascine, univers ambigu où esclavage et exotisme mêlés suscitent un commerce lucratif. Malgré le caractère moralisateur des Lumières, le « désir de richesses l’emporte sur tout ». L’utopie selon laquelle la raison et le progrès allaient répandre le bonheur a servi d’alibi à beaucoup d’égoïsmes.
François BESSIRE (Ed.)Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, au Maroc, au Sénégal, à Gorée, à Galam, etc.[Texte imprimé], avec des détails intéressans pour ceux qui se destinent à la traite des nègres, de l'or, de l'ivoire, etc., tirés des journaux de M.Saugnier qui a été longtemps esclave des Maures et de l’empereur du Maroc, Paris, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2005.Claude FAUQUE , Marie-Josée THIELLes routes de l’esclavage.Histoire d’un très grand dérangement, Paris, Hermé, 2004.William LEMPRIEREVoyage dans l'empire de Maroc et le royaume de Fez, fait pendant les années 1790 et 1791 [Texte imprimé], par G. Lemprière,...traduit de l'anglais par M.de Sainte-Suzanne...accompagné d'une carte géographique de l'Afrique, par le major Rennel, augm. d'un itinéraire...par Brion père...Paris, Tavernier, an IX (1801).Lien Gallica Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, au Maroc, au Sénégal, à Gorée, à Galam, etc.[Texte imprimé], avec des détails intéressans pour ceux qui se destinent à la traite des nègres, de l'or, de l'ivoire, etc., tirés des journaux de M.Saugnier qui a été longtemps esclave des Maures et de l’empereur du MarocParis [Gueffier jeune, 1791] et Maestricht , J.-P. Roux, 1792.Lien Gallica Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, Direction des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « Les routes de l'esclavage à travers le Sahara en 1791 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/routes-esclavage-travers-sahara-1791
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Marc
Merci pour ce passionnant article sur les routes de l'esclavage et ses enjeux mercantiles , particulièrement d'actualité dans notre époque de plus en plus troublée.
GROS KIKI
Immédiatement traduits, le livre et la carte de Laborde, sont vendus dès 1792 en Angleterre, premier pays de traite. Ils sont révélateurs des ambiguïtés du temps sur la question de l’esclavage. L’Afrique fascine, univers ambigu où esclavage et exotisme mêlés suscitent un commerce lucratif. Malgré le caractère moralisateur des Lumières, le « désir de richesses l’emporte sur tout ». L’utopie selon laquelle la raison et le progrès allaient répandre le bonheur a servi d’alibi à beaucoup d’égoïsmes.
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