Le Serment de La Fayette à la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790
Auteur : DAVID L.
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : 1791
Date représentée : 14 juillet 1790
H. : 100 cm
L. : 81 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
P 1981
Serment de La Fayette à la fête de la Fédération
Date de publication : Février 2019
Auteur : Jean HUBAC
Le 14 juillet 1790, fête de la Fédération
Près de quatre cent mille personnes convergent vers le Champ-de-Mars ce 14 juillet 1790, en dépit d’un ciel bas et lourd, pour célébrer la Fédération, un an après la prise de la Bastille. Décrétée par l’Assemblée constituante, la fête de la Fédération devait réunir à Paris, autour du roi, les soldats-citoyens gardiens des libertés acquises.
Au milieu d’un vaste cirque édifié pour la circonstance, limité à une extrémité par un arc de triomphe éphémère et, à l’autre, par la tribune royale, un autel destiné à célébrer une messe solennelle accueille également la prestation de serment du commandant de la garde nationale, Gilbert Du Motier, marquis de La Fayette (1757-1834). Après le général, c’est au tour des députés de jurer fidélité à la nation, à la loi et au roi – nouveau triptyque de la monarchie constitutionnelle –, avant que le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette ne prononcent également un serment de fidélité. Dans les tribunes, le peuple assistait à la mise en scène de la nation unanime incarnée par les notables. Au centre de toutes les attentions, La Fayette symbolise à cette date la liberté pour laquelle il est parti se battre aux côtés des Américains lors de la guerre d’indépendance, et qu’il n’a ensuite cessé de mettre en avant, y compris en qualité de député aux états généraux puis à l’Assemblée constituante et de commandant de la garde nationale.
Quelques mois après la fête de la Fédération, dans des conditions que l’on ignore, le peintre L. David (tel que le mentionne l’inscription manuscrite portée sur la toile), homonyme de Jacques Louis David, réalise une œuvre qui immortalise la prestation de serment de La Fayette, rendant au général un hommage pictural appuyé proportionnel à celui que lui rendirent les gardes nationales lors de cette « dramatique de l’unité ».
Une savante mise en scène
L’artiste structure savamment sa composition. Il reprend avec fidélité le cadre général de l’événement, tout en le mettant au service d’une dramaturgie picturale : l’arc de triomphe édifié pour la cérémonie apparaît en arrière-plan, le ciel menaçant qui avait trempé l’assistance n’est troué que pour les besoins de la mise en scène – le soleil, symbole divin, venant darder ses rayons sur la prestation de serment, dispensant une sorte d’onction céleste accordée par une grâce spéciale –, l’autel situé au centre de la scène cérémonielle est entouré de soldats des gardes nationales venus de toute la France pour la circonstance, comme en attestent les drapeaux qu’ils brandissent fièrement à droite et à gauche de la scène.
La scène semble séparer les clercs (à droite) et les laïcs (à gauche), comme le veut la tradition de la liturgie catholique. Cependant, la présence du jeune fils de La Fayette, Georges Washington, vêtu de l’uniforme de la garde nationale, parmi les officiants religieux estompe la frontière entre sacré et profane. Les La Fayette père et fils incarnent alors le trait d’union entre deux sphères distinctes. Parmi les clercs, l’évêque Talleyrand est représenté coiffé d’une mitre et crosse à la main ; il vient de célébrer la messe de manière solennelle.
En pleine action de prestation de serment sur l’autel de la patrie, La Fayette apparaît droit et digne, en grand uniforme national ; il ne cède pas aux éléments, auxquels l’officiant situé à sa droite ne semble pas pouvoir résister, si l’on en juge par la flexion de la hampe qu’il brandit avec difficulté. Il tient dans sa main gauche le texte du serment, et abaisse sur l’autel son épée tendue de sa main droite. D’une certaine manière, la toile de David résonne comme une suspension du temps et du son : on perçoit presque le bruit du vent et celui des clameurs cesser pour laisser entendre le serment de La Fayette.
À gauche, parmi un groupe de soldats, un ancien prisonnier de la Bastille a jeté au pied de l’autel ses fers et les clés de la forteresse prise un an auparavant par les révolutionnaires, renforçant ainsi le sens d’une cérémonie célébrant à la fois l’unité nationale et la liberté. Il se peut également que ce vieillard et le jeune Georges Washington La Fayette symbolisent à eux deux les bataillons d’enfants et de vieillards présents dans le cortège cérémoniel de la fête de la Fédération.
Le spectateur de la toile est incorporé dans le public de la fête de la Fédération. La plupart des personnages le regardent en effet avec insistance, et l’invitent à entrer dans la concorde nationale, comme le peuple avait été invité à faire corps en assistant à une fête grandiose et solennelle sans en être un acteur.
La Nation, la Loi, le Roi ou l’apogée de La Fayette
C’est en 1791 que L. David peint cette toile, soit après que l’on s’est rendu compte que la fête de la Fédération n’était pas l’achèvement parfait de la Révolution en cours. Pourtant, l’artiste veut donner au spectateur l’illusion que l’union de la nation (via les gardes nationales), de la loi (via les députés) et du roi (pourtant absent de la toile) s’est incarnée dans la personne de La Fayette le 14 juillet 1790.
En effet, le général est, à cette date, à l’apogée de sa notoriété et de son influence politique. Il ne parvient pas ensuite à s’imposer comme l’interlocuteur privilégié entre le roi et la nation, et tient une position de plus en plus décalée par rapport à l’évolution de la geste révolutionnaire. Ses ennemis politiques, rivaux ou opposants, dénoncent son incompétence et sa volonté de prendre le pouvoir, voire sa traîtrise vis-à-vis de la Révolution.
Les acclamations qui le portèrent aux nues le 14 juillet 1790 devaient devenir pour La Fayette un souvenir doux-amer, après qu’il perçut lui-même que l’évolution républicaine de la Révolution allait à l’encontre de sa conception de la liberté et du légalisme. Sa popularité fléchit ensuite au gré des événements auxquels il prit part, comme la répression contre la garnison de Nancy en août 1790, ou la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791 – ironie des dates et des lieux… Finalement, élevé au grade de commandant de l’armée du Centre, puis de celle du Nord, il préfère quitter le royaume fin août 1792, peu de temps avant qu’il ne devienne une république, et sortir de l’histoire de la Révolution qui se poursuit.
La toile de David symbolise donc a posteriori l’idéal devenu illusoire qu’aura incarné La Fayette pendant les premières années de la Révolution, un idéal mêlé de liberté, de modération, d’attachement à la monarchie constitutionnelle, d’unanimisme autour d’une nation réconciliatrice du roi et du peuple.
BOIS Jean-Pierre, La Fayette : la liberté entre révolutions et modération, Paris, Perrin, 2015.
OZOUF Mona, La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, coll. « Folio : histoire » (no 22), 1988 (1re éd. 1976).
VINCENT Bernard, Lafayette, Paris, Gallimard, coll. « Folio : biographie » (no 114), 2014.
Jean HUBAC, « Serment de La Fayette à la fête de la Fédération », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/serment-fayette-fete-federation
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