Le peuple enchaîné.
Les écraseurs - les écrasés.
Le peuple enchaîné.
Auteur : DUKERCY Pierre
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1932
Date représentée : 1932
Domaine : Affiches
© Collections La Contemporaine
L'Union des gauches de 1932
Date de publication : Mars 2007
Auteur : Alexandre SUMPF
Le retour du parti radical au pouvoir : l’Union des gauches de 1932
L’expérience du Cartel des gauches a laissé un souvenir très mitigé à ses acteurs principaux et aux Français. Le poids des milieux d’affaires qui ont empêché Herriot de sortir la France de la crise financière, tout comme les désaccords de fond entre radicaux et socialistes, ont eu raison de la coalition – en dépit des actes symboliques pour défendre la laïcité (rupture diplomatique avec le Vatican), la paix internationale (reconnaissance de l’U.R.S.S.) ou la mémoire des luttes ouvrières (transfert des cendres de Jaurès au Panthéon).
Les années Poincaré (1926-1928) ont vu le retour de la stabilité économique, avant que le krach de 1929 ne plonge la planète dans la crise. Les années Tardieu (1929-1932) ont, elles, été marquées par sa volonté de réduire le pouvoir du Parlement, position politique dangereuse au moment même où l’antiparlementarisme populaire et les ligues se développaient. En dépit de sa politique de grands travaux (ligne Maginot), Tardieu ne paraît pas prendre la mesure du danger : la France reste, selon lui, « un îlot de prospérité dans un monde en crise ».
Ce n’est l’analyse ni des radicaux, ni des socialistes, qui se résolvent à nouveau à bâtir une union, strictement électorale cette fois-ci, sans programme commun. La nette victoire de la gauche aux élections de 1932, soulignée par le progrès spectaculaire de la S.F.I.O., qui recueille le plus grand nombre de voix, ne garantit pourtant pas la conduite d’une politique de gauche.
Images d’une France coupée en deux
Les deux affiches dessinées par Dukercy pour la campagne électorale de 1932 sont typiques des années 1930 : slogan et composition, plus simples, illustrent avec virulence un antagonisme politique profond. Le caricaturiste propose à nouveau à la vindicte populaire une liste de personnalités politiques.
Ainsi, dans l’affiche « Le peuple enchaîné », on reconnaît parfaitement Louis Marin, au centre du dessin, dirigeant de l’Union républicaine démocratique (U.R.D.) accompagné de Paul Painlevé (1863-1933) avec sa mèche. Les deux chevaux de tête sont tout aussi connus : il s’agit, à gauche, d’André Tardieu et à droite, de Pierre Laval (1883-1945). L’attelage est complété par l’immense André Maginot et par Paul Reynaud (1878-1966), dont la petite taille et les traits asiates étaient la cible favorite des caricatures de l’époque. Le « peuple » traîné et enchaîné en une file de prisonniers de la Grande Guerre ou de bagnards se fond dans les tons gris, tandis que ressort le jaune morbide de la prospérité conduite au petit trot des vainqueurs.
Dans l’affiche « Les écraseurs. Les écrasés », le peuple est cette fois-ci littéralement amputé, sa souffrance et son malheur sont rendus par les horribles rictus, la stupeur, la fuite éperdue. Ouvriers, paysans, jeunes femmes modernes, sont les victimes du sombre train de la Réaction, qui file à grande vitesse vers la gauche – dans le sens contraire à la lecture, à l’opposé du progrès. Le rouge du ciel ne promet donc pas d’avenir radieux, mais annonce un crépuscule sanglant. Cette fois, si Louis Marin est en tête et l’U.R.D. toujours dénoncée, c’est Tardieu qui pilote, assisté de Laval. Sur le toit, Pétain sonne la charge sabre au clair. Reynaud, Painlevé et Maginot sont également à bord de la locomotive.
La dénonciation de l’adversaire sur fond de crise morale et politique
L’ironie virulente est le moteur essentiel des deux dessins, qui opposent « triomphe de la prospérité » et « convoi de la bonne humeur » au « peuple enchaîné » ou « écrasé ». Le ton est moins pédagogique, l’image beaucoup plus dynamique que dans les affiches élaborées par Dukercy dans les années 1920. La violence de la confrontation directe entre élite politique (de droite) et population – dramatique – symbolise bien l’atmosphère de crise des années 1930.
Au fouet de Marin, tellement ivre de son triomphe d’imperator romain sur les partis de droite qu’il ne voit pas la France qui trébuche derrière lui, répondent les fumées du train de la modernité qui laisse en marche les Français, en pleine crise économique. La joie lisible sur le visage des hommes politiques contraste avec le désarroi et la confiance brisée de la population, asservie ou humiliée. Les radicaux-socialistes en appellent donc à la révolte électorale des Français contre le cynisme supposé d’une droite qui serait soumise aux intérêts du seul Capital.
Mais la coalition de gauche est encore plus fragile qu’en 1924. L’hésitation constante des radicaux, qui préfèrent gouverner au centre avec le soutien limité des socialistes ou de la droite modérée, contredit totalement la fracture entre droite et gauche mise en images par Dukercy pour les besoins de la campagne électorale.
Maurice AGULHON, La République, tome I (1880-1932), Paris, Hachette, coll. « Pluriel », nouvelle édition augmentée, 1990.
Serge BERSTEIN, Histoire du parti radical, Paris, P.F.N.S.P., 1982.
Dominique BORNE et Henri DUBIEF, La Crise des années 1930 (1929-1938), Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1989.
Jean-François SIRINELLI (dir.), Les Droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992.
Alexandre SUMPF, « L'Union des gauches de 1932 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/union-gauches-1932
Lien à été copié
Découvrez nos études
Les grandes figures politiques de la Ménagerie impériale
Avec l’aide de Victor Fialin de Persigny (1808-1872), d’Eugène Rouher (1814-1884) et de Jules Baroche (1802-1870), Napoléon III mit en place un…
Le Chômage à Paris et à Lyon en 1831
L’arrivée de Louis-Philippe au pouvoir en juillet 1830 suscite le ressentiment des républicains, très vite doublé de la question…
Hitler dresse le cousin russe
Le 23 août 1939, l’URSS et le IIIe Reich concluent le Traité de non-agression entre l’Allemagne…
Caricatures et pamphlets politiques (1830-1835)
De 1830 à 1835, la monarchie de Juillet lutte pour son existence en tentant de maîtriser les mouvements de la rue…
Louis XVI en Gargantua attablé
La caricature politique, sous la forme d’une gravure associée souvent à…
Le Mouvement anticlérical à la veille de 1905
La France de la première décennie du XXe siècle est en proie à de nombreuses…
Le Parti communiste et la colonisation au début des années 30
Depuis la conférence de Berlin de 1885, la course aux colonies constitue un enjeu majeur pour…
La France vaincue
La victoire de la Prusse à Sedan le 2 septembre 1870 entraîne l’effondrement du Second Empire. Deux jours plus tard, la déchéance de la famille…
La politique du pire
Si Pétain a prétendu faire don de sa personne à la France dans son discours radiophonique du 17 juin 1940, on pourrait…
Critique de la monarchie de Juillet, les espoirs déçus de 1830
Après l’attentat à la « machine infernale » commis le 28 juillet 1835 par le conspirateur Giuseppe Fieschi contre Louis-Philippe et sa suite, qui…
AlbanP
J'avais déjà signalé, il y a bien longtemps, ce que je pense être une erreur dans l'identification des personnages. A l'occasion de votre nouvelle lettre qui mentionne ces deux affiches, je me permets de vous envoyer de nouveau mon observation.
Dans les deux affiches Laval est identifié comme étant Reynaud et vice versa...
Bien cordialement et merci pour vos analyses.
Alban Poirier
Histoire-image
@AlbanP
Vous avez tout à fait raison. Il y a bien inversion et le texte a été corrigé. Veuillez excuser le retard dans la modification.
Merci pour votre œil avisé.
Bien cordialement
Benoît
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel