Officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale, chargeant
Cuirassier blessé, quittant le feu
Officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale, chargeant
Auteur : GERICAULT Théodore
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1812
H. : 349 cm
L. : 266 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
INV 4885 ; MN 50 - 18-511284
Victoire et défaite du Premier Empire
Date de publication : Décembre 2023
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Apogée et déclin du Premier Empire
Les deux grands formats de Théodore Géricault respectivement intitulés Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant et Cuirassier blessé quittant le feu furent exposés à l’occasion de deux Salons distincts, celui de 1812 et celui de 1814, qui correspondent à deux contextes très différents dans l’histoire du Premier Empire. Lorsque le traditionnel Salon de peinture et de sculpture ouvre ses portes à Paris le 1er novembre 1812, le public ignore encore que l’expédition de Russie lancée en juin a tourné en défaveur de la Grande Armée. Le 18 octobre, en effet, Joachim Murat a perdu la bataille de Winkowo, au sud de Moscou à laquelle les Russes avaient mis le feu trois semaines auparavant. Cette défaite marque alors le début de la Retraite de Russie.
L’année suivante voit le rêve impérial de Napoléon Ier se disloquer pièce par pièce à mesure que ses ennemis comme ses anciens coalisés battent ses armées ou se retournent contre elles. En janvier 1814, les combats se déroulent sur le sol français, et le 6 avril l’empereur est contraint d’abdiquer. Le 3 mai, Louis XVIII fait son entrée solennelle à Paris. En dépit de l’occupation étrangère qui a permis son retour sur le trône, le nouveau souverain tient à conserver la tradition désormais séculaire du Salon. Celui-ci rouvre donc le 5 novembre 1814. Le jeune peintre Théodore Géricault, né en 1791, présente à ces deux expositions deux peintures qu’il a conçues comme des pendants (1). En 1812, il envoie son Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant. L’œuvre fait forte impression, notamment sur Jacques-Louis David, alors peintre attitré de l’empereur et chef de fil du néo-classicisme, dont le Napoléon franchissant le Grand-Saint-Bernard constitue un précédent de taille. La brusquerie de sa composition tranche avec le tableau près duquel il est accroché : le Portrait équestre de Joachim Murat qu’a peint un autre artiste officiel du régime, Antoine-Jean Gros. En 1814, Géricault présente cette fois son Cuirassier blessé quittant le feu. Le contraste avec les autres toiles du Salon est à cette occasion plus évident encore. La geste napoléonienne n’est plus d’actualité. Prudemment, la plupart des peintres exposés puisent dans le passé glorieux de la France (le souvenir de saint Louis et d’Henri IV sont particulièrement évoqués), ou concentrent leurs efforts sur des portraits et des allégories sans incidence politique. Seul le Cuirassier blessé quittant le feu de Géricault semble raviver pour chacun de mauvais souvenirs, et susciter chez quelques-uns l’amertume d’avoir perdu le temps de l’Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant.
Portraits de soldats ou portraits de chevaux ?
Le format monumental des deux toiles les assimile au genre de la peinture d’histoire. Leur sujet les rapporte toutefois à celui du portrait. Mais le traitement que réserve le peintre aux chevaux qu’il y représente les apparenterait au genre plutôt anglais du « portrait de cheval ». Les deux montures occupent en effet une place de choix dans chacune des deux œuvres. Dans la première, la position du cheval décrit une diagonale que croise le cavalier. Dans la seconde, le dynamisme est moins fougueux. Le cuirassier, protégé par la cuirasse de métal qui lui donne son nom et muni d’une arme à feu, tient la bride de son cheval pour éviter de glisser avec lui le long d’une pente. La contraction est telle que sa croupe apparaît beaucoup trop proche de son encolure. Il faut dire que le poids même du cavalier l’entraîne et participe de ce raccourci (2), comme si Géricault opposait à la cavalerie lourde à laquelle il appartient la légèreté du chasseur de 1812 (les chasseurs opérant généralement rapidement, soit en éclaireurs, soit afin de pourchasser l’ennemi en déroute). L’uniforme chamarré de ce dernier fait en outre contrepoint aux tons plus ternes de celui du cuirassier. Même la doublure de sa cape est d’un rouge moins vif que celui par lequel il complète çà et là le vert de la casaque du chasseur, doté quant à lui d’une touche d’exotisme animal avec cette peau de tigre qui lui sert de schabraque (une sorte de couverture qui protégeait la selle). Enfin, bien que l’officier se retourne, son attitude, sabre au clair, le montre dans le feu du combat, en pleine charge, là où le cuirassier quitte le combat, retenant comme il peut la gaine de son arme, l’air inquiet, un filet de sang dégoûtant de son oreille sur son col. Autour de lui, un ciel d’ardoise et un terrain vide, quand son alter ego dominait le champ de bataille éclairé par l’explosion qui cause le cabrement de son cheval, et s’élevait au-dessus de pièces d’artillerie disloquées qui faisaient songer à de futurs trophées, et non aux signes avant-coureurs d’une débâcle, comme on le comprit rétrospectivement.
Illustrer la victoire, constater la défaite
Le dialogue qu’instaure rétrospectivement Géricault en complétant sa peinture de 1812 d’un pendant deux ans plus tard montre l’évolution de sa sensibilité aussi bien que celle de son époque. Dans un cas, il s’agit clairement à ses yeux d’illustrer la victoire ; dans l’autre, de constater, de manière tout aussi explicite, la défaite. La mort du modèle du chasseur, Alexandre Dieudonné, en décembre 1812, sur une route de Russie, a pu lui apparaître comme un signe annonciateur de la chute de l’empire et de la fin de l’épopée napoléonienne qu’entérine le cuirassier de 1814. À cette date, Géricault s’engage d’ailleurs brièvement (en fait jusqu’à la fuite de Louis XVIII lors du retour de Napoléon à Paris en mars 1815) dans l’éphémère corps aristocratique des mousquetaires gris du roi. Cet épisode étrange, aux motivations demeurées obscures, s’éclaire peut-être à la lumière d’un épisode personnel antérieur. Selon l’usage parmi les familles aisées, son père avait en effet payé pour Géricault un remplaçant au moment de la conscription; conscrit qui mourut à sa place quelques mois plus tard. Par ailleurs, la passion bien connue du peintre pour les chevaux justifie sans doute aussi l’égalité de traitement pictural qu’il leur a réservés, au risque de leur donner le premier rôle. Pour périphériques qu’apparaissent ces indications biographiques, elles n’en nourrissent pas moins un contexte historique. Le romantisme naissant auquel participe ainsi Géricault avec ses premiers envois au Salon montre qu’un changement d’époque est à l’œuvre, tant du point de vue artistique que politique. La gloire militaire n’est désormais plus qu’un souvenir, qu’il s’agit de représenter comme tel, le fait accompli ne nourrissant plus, à présent, qu’une nostalgie qu’on identifia par la suite au mal du siècle.
Lorenz EITNER, Géricault. Sa vie, son œuvre, Paris, Gallimard, 1991.
Sylvain LAVEISSIERE, Régis MICHEL (dir.), Géricault, Paris, Réunion des musées nationaux, 1991.
Léon ROSENTHAL, Géricault, Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, 1905.
Jean SAGNE, Géricault, Paris, Fayard, 1991.
Jérôme THELOT, Géricault. Généalogie de la peinture, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2021.
1 - Pendant : œuvre réalisée pour répondre à une autre œuvre dans sa forme et dans son sujet.
2 - Raccourci : Déformation de l’anatomie ou d’un objet pour donner l’illusion de la profondeur.
Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Paul BERNARD-NOURAUD, « Victoire et défaite du Premier Empire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/victoire-defaite-premier-empire
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