Chambre de Monsieur
Chambre de Madame
Chambre de Monsieur
Auteur : RIEMERSCHMID Richard
Photographie parue dans Moderne Bauformen, 1910, n°9 et dans Art et décoration, n° 27, 1910
Domaine : Architecture
© ADAGP © Droits réservés
Les Arts appliqués allemands à Paris
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Mathilde ARNOUX
L’hégémonie culturelle garante de l’identité française
À la suite du conflit franco-prussien, la France s’inquiète de ses compétences industrielles, scolaires, universitaires, et pense que la victoire prussienne tient en partie à sa supériorité dans ces secteurs. Dans cette crise de conscience nationale, les domaines artistiques et culturels comptent parmi les seuls à demeurer inébranlés aux yeux des Français. Les arts appliqués, qui allient conception artistique et réalisation artisanale ou industrielle, tiennent une place singulière. Au-delà des enjeux artistiques, c’est l’affirmation économique de la France et de l’Allemagne sur la scène internationale qui se joue dans les deux expositions d’arts appliqués allemands organisées à Paris en 1910 et en 1930.
En 1910, le Salon d’Automne présente, à l’initiative de son président Frantz Jourdain et du critique d’art allemand Otto Grautoff, une exposition d’arts appliqués bavarois. Le public découvre au Grand Palais treize pièces aménagées et décorées par des artistes allemands sur le thème « La maison d’un amateur d’art ». Certains participants comme Richard Riemerschmid comptent parmi les membres fondateurs du Werkbund, organisme dont les ambitions artistiques sont inséparables du développement économique. Fondée en 1907, cette association d’architectes, d’artistes décorateurs, de designers, d’artisans et d’industriels cherche à inventer de nouvelles formes, plus fonctionnelles, adaptées à son temps, dans les domaines de l’architecture et des objets d’art. Elle s’appuie sur les avancées techniques industrielles afin de donner aux produits manufacturés allemands une position de premier rang sur le marché mondial.
Les arts appliqués allemands à Paris
Au Salon d’Automne de 1910, Richard Riemerschmid est chargé de la réalisation de la chambre à coucher de Monsieur. Les murs sont plaqués de boiseries blanches d’une grande sobriété, à peine relevées par des moulures et quelques œuvres de petit format qui rythment la surface. L’ensemble du mobilier s’accorde avec cette blancheur, de telle sorte que l’armoire, les rangements, le miroir, s’insèrent parfaitement à la pièce. Cette harmonie est renforcée par la façon dont les éléments du mobilier se font écho. Ainsi, le galbe des pieds des chaises se retrouve dans les tables de nuit et la petite table près du canapé. Le lit a un piètement identique à celui du canapé, de la commode et du miroir ; la descente de lit répond au tapis placé devant le canapé, et le dessus-de-lit s’accorde au rideau. Quatre lampes légères s’organisent autour d’un décor de plafond. La grande simplification des détails ornementaux, au profit de la fonctionnalité et de formes qui lient organiquement le matériel employé, sa construction et sa fonction, sont caractéristiques du Werkbund dont les réalisations sobres, harmonieuses, bannissent l’encombrement de mobilier et cherchent à créer une unité dans l’ameublement.
La fonctionnalité, la sobriété du décor caractérisent également la chambre de Madame que Marcel Breuer présente en 1930 au vingtième Salon de la Société des artistes décorateurs. Elle s’insère dans un appartement de trois pièces pour un Boarding-House-Hotel. Une kitchenette et une salle de bain la séparent de celle de l’homme, la dernière pièce étant un bureau. Dans cette chambre, les murs blancs contrastent avec un mur peint en couleur sombre au tiers duquel sont fixées des étagères modulaires horizontales. Le brillant du mobilier en tubes d’acier se détache nettement sur le linoléum sombre. Les piètements en acier, la table basse, le vase et le bureau en verre épais illustrent l’emploi de matériaux industriels, mis au service d’un design intérieur fonctionnel. De cette unité se dégagent une grande sobriété et une élégance que renforcent des formes simples et un aménagement peu encombré. Fruit du travail qu’il a mené au milieu des années 1920, les réalisations qu’expose Breuer attestent de l’importance du Bauhaus tant dans l’industrie du meuble que dans la réflexion sur le logement moderne.
Les arts appliqués comme enjeu économique pour la France et l’Allemagne
Ces nouveautés proposées par les expositions d’arts appliqués allemands en France donnent lieu à des remarques très sévères. En 1910, la critique française reconnaît les qualités d’organisation et la mise en valeur de la décoration dans les différentes pièces, mais n’apprécie cependant pas la singularité de ces œuvres – elle y voit l’expression d’un art national dont elle dévalorise les caractéristiques. En 1930, elle cherche à retirer toute originalité aux productions allemandes en prétendant qu’elles ne sont que la traduction germanique d’idées françaises. Même les commentateurs les plus positifs ne peuvent s’empêcher d’établir une typologie de l’esprit français et de l’esprit allemand. On retrouve donc dans la critique de chacune des expositions la même rhétorique qui vise à rabaisser la production allemande au nom d’une supériorité du goût français. Elle reflète en fait une concurrence économique qui, à la suite de chacune des guerres, a remplacé les enjeux militaires.
Depuis le dernier tiers du XIXe siècle, l’Allemagne comme la France cherchent à créer un nouveau style loin de l’historicisme, chacune développe un vocabulaire plastique neuf, mais leur stratégie de production diffère. Les Allemands encouragent particulièrement la fabrication à grande échelle et la plus large diffusion auprès du public, ce à travers des associations d’artistes, d’artisans et d’industriels. La virulence de la critique française lors de ces expositions ne tient donc pas à un simple dégoût pour les productions allemandes, mais bien à l’expression d’une rivalité entre les systèmes de production des arts appliqués et à la crainte de devoir s’effacer dans un domaine économique porteur.
Sabine BENEKE, Otto Grautoff, Frantz Jourdain und die Ausstellung Bayerisches Kunstgewerbe im Salon d’Automne » von 1910 », in Distanz und Aneignung. Kunstbeziehungen zwischen Deutschland und Frankreich, Akademie Verlag, Berlin, 2004, S. 119-135.
Wend FISCHER, « Entre l’art et l’industrie. Le Deutsche Werkbund et la conception des produits industriels », in Paris Berlin 1900-1933. Rapports et contrastes. Fance Allemagne, Ausstellungskatalog Paris, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Gallimard, Paris, 1978, S. 318-324.
Éric MICHAUD, « Introduction » et « Paris 1930 : das Bauhaus in Frankreich. Le Bauhaus en France », in Das Bauhaus und Frankreich. Le Bauhaus et la France 1919-1930, Isabelle EWIG, Thomas W. GAEHTGENS et Matthias NOELL (éd.), Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 3-13 et 255-346.
Thomas W. GAEHTGENS, Friederike KITSCHEN et Mathilde ARNOUX (éd.), « Un modèle controversé – Les industries d’art allemandes dans les débats artistiques », in Perspectives croisées. La critique d’art franco-allemande 1870-1945, Paris, M.S.H., à paraître en 2008.100 Jahre Deutscher Werkbund: 1907 – 2007, Catalogue de l’exposition, Pinakothek der Moderne, München, 2007.
Mathilde ARNOUX, « Les Arts appliqués allemands à Paris », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/arts-appliques-allemands-paris
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