La carte de Cassini, qu’il serait plus juste de nommer la carte des Cassini puisqu’elle tient son nom d’une famille de quatre géographes italiens installés dans le royaume à la fin du XVIIe siècle, est la première grande entreprise cartographique couvrant l’ensemble du territoire français. Elle se compose de 180 feuilles dont les levés, entamés en 1756, ont été achevés en 1789. Elles ont été gravées sur des plaques de cuivre puis tirées à l’Observatoire de Paris de 1757 à 1790. Destinées à être commercialisées auprès d’un riche public, certaines éditions ont, en outre, été aquarellées.
Le document reproduit ici est un détail de la feuille 125 (Cherbourg), la vingt-deuxième ayant fait l’objet d’une publication.
La carte de Cassini doit son extraordinaire précision à la méthode de la triangulation, sollicitée pour son élaboration. Cette méthode consiste à mesurer la distance entre deux points B et C puis, à partir d’un point de référence A, à mesurer les angles des droites BA et CA. Il suffit ensuite au géographe d’appliquer les formules de trigonométrie afin de connaître les distances BA et CA. Cette méthode est employée par le Hollandais Snellius en 1615, puis par l’abbé Picard en 1670 et, enfin, de 1683 à 1718, pour la mesure d’une grande méridienne allant de Dunkerque à Perpignan. Les coins de chaque feuille de la carte de Cassini portent les distances en toises à la méridienne de Paris et à sa perpendiculaire (qui joint Saint-Malo et Strasbourg). Outre cette triangulation principale, chaque planche compte près de 300 points de repère (édifices, hauteurs), utiles pour établir une triangulation secondaire.
De fait, les mentions portées sur la carte sont nombreuses et variées. On y trouve ainsi des informations relatives au relief (les forêts, les marais, les cours d’eau, les étangs), aux voies de communication (les routes, les canaux, les ponts), à l’organisation administrative et religieuse (les limites de province, de diocèse, les paroisses) ou encore aux édifices civils et religieux (églises, abbayes, prieurés, moulins, châteaux). Des informations militaires figurent aussi sur le document, comme les batailles gagnées ou perdues, voire certains champs de bataille : la carte de Cherbourg mentionne ainsi, non loin de la ville, le camp construit en 1756, en pleine guerre de Sept Ans, pour la défendre contre les incursions anglaises.
L’élaboration de la carte de Cassini est révélatrice de l’engouement du siècle des Lumières pour les travaux cartographiques et l’aménagement des réseaux de communication. Or, ce développement est étroitement lié aux progrès de l’absolutisme car, pour gérer plus efficacement le royaume, répartir et lever des impôts, tracer des routes et défendre ses frontières, le pouvoir royal a besoin de bien connaître le territoire dont il a la charge. À partir de 1740, les ingénieurs des Ponts et Chaussées réalisent ainsi l’atlas dit « de Trudaine ». C’est également dans la continuité de ce mouvement que, sous l’Empire, la loi du 14 septembre 1807 ordonne la mise en place de plans cadastraux pour des raisons fiscales.
Après la carte de Cassini, la couverture géographique du territoire français est laissée aux militaires, preuve de l’intérêt hautement stratégique d’une telle réalisation. Une carte générale d’état-major est ainsi dessinée de 1816 à 1866. En 1940, le service géographique de l’armée devient cependant un organisme civil : l’Institut géographique national (I.G.N.).
La carte de Cassini est encore utilisée aujourd’hui par de nombreux chercheurs, amateurs ou professionnels, attachés à l’étude des toponymes, à l’archéologie, à la géographie historique ou encore à l’histoire de l’environnement.
Lire aussi le dossier consacré à la carte sur le site cassini.ehess.fr.