Contexte historique
La rencontre du 24 octobre 1940
Le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain rencontre pour la première fois Hitler et son ministre des Affaires étrangères dans la gare de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher). Après une poignée de main échangée entre les deux hommes sur le quai, la discussion se déroule dans un wagon du train personnel du Führer. Précédée et préparée par la rencontre du 22 octobre entre Pierre Laval (alors ministre des Affaires étrangères), Hitler et von Ribbentrop, cette entrevue visant à préciser les principes de la collaboration du gouvernement français avec l’Allemagne nazie n’a pas de caractère officiel et ne débouche sur aucune mesure précise.
Elle comporte toutefois une forte valeur symbolique, qui lui confère une importance historique et politique. De ce fait, les images de l’événement réalisées par la propagande nazie et largement diffusées jouent, notamment en France, un rôle considérable dans les représentations, la perception et les conceptions associées à la fois au régime de Vichy et au maréchal Pétain. Réalisées par Heinrich Hoffmann le 24 octobre 1940 dans le cadre du tournage d’un film d’actualités consacré à l’événement, les deux photographies étudiées ici, « Rencontre entre Hitler, von Ribbentrop et Pétain » et « Le ministre de l’Intérieur von Ribbentrop et le chef de l’OKW Keitel saluent le maréchal Pétain », sont donc en elles-mêmes très significatives.
Analyse des images
La défaite incarnée
Pris par l’un des photographes « officiels » d’Hitler, Heinrich Hoffmann, le cliché « Rencontre entre Hitler, von Ribbentrop et Pétain » est assez saisissant. Il semble avoir été pris sur le vif, en dehors de toute pose (von Ribbentrop, presque hors champ, a l’air surpris). Les trois hommes ont pris place autour d’une table dans un compartiment aux boiseries très sombres et dont les rideaux ont été tirés. La lumière répandue par le flash dans cet espace exigu frappe jusqu’aux cheveux brillantinés du Führer. L’air perdu, Pétain joint les mains sous le regard en biais presque carnassier d’Hitler.
« Le ministre de l’Intérieur von Ribbentrop et le chef de l’OKW Keitel saluent le maréchal Pétain » immortalise la rencontre entre les deux délégations. Elle est centrée sur la poignée de main qu’échangent le maréchal Pétain et le chef du haut commandement de l’armée de terre allemande Keitel (au premier plan), tous deux en uniforme, puis composée suivant la ligne diagonale formée par la délégation nazie. Au second plan et à droite de Keitel, le ministre de l’Intérieur von Ribbentrop (en uniforme lui aussi) salue un autre membre de la délégation française, qui reste ici invisible. À l’arrière-plan plus à droite, un simple soldat de la Wehrmacht armé de son fusil regarde Pétain, le visage de trois quarts par rapport à l’objectif.
Interprétation
Les vainqueurs et le vaincu
Ces deux photographies montrent tout d’abord que la France vaincue entend collaborer avec la puissance occupante. Accueilli et reçu par les plus hauts responsables nazis, le maréchal est traité et respecté en homme d’État (et en militaire), salué et placé à la même table qu’Hitler. Partenaire à part entière, la France conserverait ainsi sa souveraineté, sa dignité et son honneur. Pour le régime de Vichy, il s’agit de signifier que la défaite peut être transformée en participation d’égal à égal à l’ordre nouveau. Pour les nazis, cette mise en scène pourrait servir à s’assurer de la collaboration du peuple français qui, si elle n’est pas essentielle, constitue tout de même un atout stratégique et tactique.
Cependant, de nombreux éléments distinguent assez nettement et assez durement les vainqueurs et le vaincu et suggèrent l’humiliation française. Ainsi, on peut opposer le pluriel des vainqueurs au singulier du vaincu, puisque Pétain apparaît seul face aux Allemands dans les deux images. D’autre part, et alors que la rencontre a lieu en France, ce sont bien les nazis qui accueillent Pétain : le soldat armé de la seconde image rappelle que l’ordre est assuré par les occupants, tandis que le wagon de « Rencontre entre Hitler, von Ribbentrop et Pétain » est bien celui d’Hitler, qui préside la séance (en bout de table). Enfin, cette dernière image propose le saisissant contraste entre un vieil homme fatigué, à l’air hagard, et un chef dont le regard noir, cruel et déterminé a tout de celui, humiliant, du rapace sur sa proie.
L’ambiguïté d’une telle image incarne en fait celle du régime de Vichy, qui tente de concilier défaite et honneur.
Bibliographie
AZEMA Jean-Pierre, De Munich à la Libération, 1938-1944, Paris, Éditions du Seuil, 1979.
AZEMA Jean-Pierre et WIEVIORKA, Olivier, Vichy, 1940-1944, Paris, Perrin, 1997.
DELPLA François, Montoire, Les premiers jours de la collaboration, Paris, Albin Michel, 1996.
FERRO Marc, Questions sur la Deuxième Guerre mondiale, Firenze : Casterman, 1993.
PAXTON Robert, La France de Vichy, 1940-44, Paris, Éditions du Seuil, 1973.
Pour citer cet article
Alexandre SUMPF, « L’entrevue de Montoire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 20 mai 2022. URL : http://histoire-image.org/fr/etudes/entrevue-montoire