Le Projet Germania
Lieu de conservation : Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz (BPK, Berlin)
site web
Date de création : 1941
Date représentée : 1941
Au centre : la Halle du peuple, à gauche le palais du Führer, à droite le haut commandement de la Wehrmacht.
Domaine : Architecture
© BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image BPK
30013637
Berlin, capitale du monde, un projet total et totalitaire
Date de publication : Octobre 2024
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Une « capitale mondiale » pour un « Reich de mille ans »
L’idée de transformer Berlin en « capitale du monde » (Welthaupstadt) émerge, semble-t-il, chez Adolf Hitler et parmi ses cercles proches au cours de l’année 1942, laquelle marque l’extension maximale de l’Allemagne sur l’Europe occupée. La suggestion de rebaptiser la ville du nom de Germania daterait de la même période. De fait, le projet en partie conçu par le dirigeant nazi lui-même dès les années 1930 et dont il a confié, au début de la décennie suivante, la réalisation à Albert Speer, l’architecte officiel du régime, impliquait un remodelage quasi-complet de la capitale existante qui l’aurait rendu méconnaissable.
Ironie de l’histoire : les immenses dégâts provoqués au printemps 1945 par la bataille de Berlin mirent un terme aux destructions programmées quelques années auparavant afin de mener à bien ce chantier titanesque. Parmi les rares bâtiments déjà construits, la Nouvelle Chancellerie du Reich, érigée par Speer en 1938-1939, fut démolie par les Soviétiques peu après la capitulation allemande, qui mit définitivement fin au rêve formulé par Hitler d’établir un « Reich de mille ans ».
Ne restent par conséquent aujourd’hui de Germania que des plans et des maquettes de ce projet total et totalitaire où devaient s’ordonner, sur deux axes orthogonaux (nord-sud et est-ouest), de nouveaux espaces verts, des faubourgs d’habitations, une série de musées et d’innombrables ministères convergeant vers la Nouvelle Chancellerie, le Reichstag, le Palais du Führer et les quartiers-généraux militaires. Au Nord, au terme d’une avenue traversant un arc de triomphe devait être édifié le plus haut bâtiment de la nouvelle capitale : la Halle du peuple (Volkshalle).
Une maquette à la mesure de la démesure nationale-socialiste
La plupart des édifices publics prévus pour Germania tiraient leur inspiration de sites et de monuments existants célèbres à travers le monde, comme l’avenue des Champs-Elysées, la Ringstrasse de Vienne ou le Palazzo Pitti de Florence, tout en obéissant à un seul et même principe : les surpasser. En dépit du fait, là aussi passablement ironique, qu’elle n’a jamais dépassé le stade du modèle réduit, la Halle du peuple ne devait pas échapper à cette règle. Culminant à 290 mètres, son lanternon aurait ainsi coiffé le plus grand dôme du monde, dépassant de loin en diamètre et en hauteur ses deux principales sources d’inspiration romaines que sont le Panthéon (Ier siècle) et la basilique Saint-Pierre (XVIe et XVIIe siècles), y compris pour ce qui est de leurs colonnades et des escaliers qu’elles surmontent. L’inspiration néoclassique de l’ensemble se serait elle-même dissoute en perdant la mesure de ses précédents modèles. Sous cette gigantesque coupole, qui aurait requis une structure d’acier et de béton quoique le reste du bâtiment devait être construit en granit, pas moins de 150 000 représentants du « peuple » auraient pu se réunir afin d’écouter les discours que leur dirigeant (lui-même placé dans un espace spécialement aménagé pour ses harangues) aurait donné sous les auspices de la statue d’un aigle d’une vingtaine de mètres d’envergure rappelant celui fixé tout en haut, au-dessus du lanternon de ce « temple » d’un genre nouveau.
Une halle pour le peuple ?
Certains détails de la conception originale de la Halle du peuple, invisibles sur la maquette mais bel et bien prévus par Speer, trahissent la vision ambivalente que les dirigeants nationaux-socialistes se faisaient du peuple en question. En prévoyant de détourner la Spree pour ceindre le lieu d’un plan d’eau, l’architecte le dotait moins, en réalité, d’un paisible reflet que d’une protection efficace contre toute tentative de révolte venue de la ville elle-même. Précaution qui se vérifie par l’ajout de volets et de portes blindés ainsi que d’une grille barrant l’accès au complexe du pouvoir en cas de besoin. Hitler lui-même s’était toujours méfié des Berlinois, et la configuration de Germania aurait également permis de les contrôler plus efficacement.
Le « peuple » auquel ce lieu était prétendument dédié ne correspondait en aucun cas au peuple réel. Il n’était destiné ni à en accueillir la diversité ni à en comprendre la complexité. Seul « le » peuple, un « peuple » racialement pur, et par conséquent politiquement conquis et conquérant, un « peuple » unique uni derrière un dirigeant et un Reich eux aussi uniques, était véritablement digne de ce monument sans égal. Ce dernier ne saurait par conséquent être regardé comme un simple outil de propagande, mais bien comme une façon d’incarner dans la pierre cette communion du peuple avec ses dirigeants et son armée qui aurait dû défier toute contingence historique.
À cet égard, le projet de la Halle du peuple comme celui, plus vaste, dans lequel il prend place, apparaît exemplaire de cette esthétique totalitaire qui sous-tend, quand elle ne l’informe pas, son idéologie. L’art, et l’architecture au premier chef, ne faisaient pas qu’illustrer les thèmes du système national-socialiste : ils constituaient le modèle auquel devait systématiquement se soumettre la réalité elle-même.
Johann CHAPOUTOT, Le Nazisme et l’Antiquité, Paris, Presses universitaires de France, 2008.
Jean-Luc NANCY, Philippe LACOUE-LABARTHE, Le Mythe nazi, Paris, Aube, 1991.
Éric MICHAUD, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996.
Monica PRETI, Salvatore SETTIS (dir.), Villes en ruine. Images, mémoires, métamorphoses, Paris, musée du Louvre, Hazan, 2013.
Philippe SERS, Totalitarisme et avant-gardes. Au seuil de la transcendance, Paris, Les Belles Lettres, 2001.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Paul BERNARD-NOURAUD, « Berlin, capitale du monde, un projet total et totalitaire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/berlin-capitale-monde-projet-total-totalitaire
La maquette de Germania sur le site web des Musées de Berlin
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