Victor Hugo sur la grève d'azette
Victor Hugo sur le rocher des Proscrits
Affiche de vente aux enchères publiques du mobilier de Victor Hugo.
Victor Hugo sur la grève d'azette
Auteur : HUGO Charles
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 93 cm
L. : 70 cm
Papier salé
Domaine : Photographies
© RMN - Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
98-001973 / RMN4219298-001973
Hugo en exil
Date de publication : Octobre 2003
Auteur : Stéphanie CABANNE
Le proscrit
Dramaturge, romancier, poète, Victor Hugo est devenu un monstre sacré de la littérature française. Au cours du XIXe siècle son insatiable activité littéraire se fait de plus en plus l’écho de son engagement politique. Connu d’abord comme le chef de fil des romantiques, il reste fidèle à ses idéaux royalistes jusqu’au milieu de la Restauration. Mais la censure qu’exerce Charles X sur la presse comme sur les œuvres littéraires le fait évoluer vers le libéralisme. Quelques mois après la première d’Hernani, pièce autorisée mais dépréciée par les tenants du régime, il soutient la révolution de 1830. Le peu d’écho rencontré par Les Burgraves et la mort de sa fille Léopoldine en 1843 le détournent un temps de la création au profit de l’activité politique. Devenu républicain, il est élu député en 1848 et siège à l’Assemblée constituante et à l’Assemblée législative. Hugo bascule alors à gauche et s’oppose au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851 en tentant d’organiser la résistance. En vain.
Opposant farouche à Napoléon III il doit s’exiler à Bruxelles pour fuir la répression qui s’abat sur les républicains : 26 000 arrestations, 9 500 personnes déportées à Cayenne et en Algérie et 1 500 expulsions (dont 66 députés). Son fils Charles le rejoint dans son exil, à sa sortie de prison, à la fin janvier 1852. Mais aussi longtemps que Victor Hugo ne publie pas d'ouvrages, voire de pamphlets contre le régime de Napoléon III, sa femme Adèle et sa fille peuvent parfaitement demeurer à Paris. Le Prince-Président laisse jouer Marion de Lorme à la Comédie française. Il assiste même à une représentation où il applaudit ostensiblement. En prenant la décision d'écrire d'abord L'histoire d'un crime (qu'il n'achève pas alors) puis Napoléon le Petit (dont le titre est plus qu'une provocation) Victor Hugo fait de lui-même un proscrit. Fin mai 1852, Adèle Hugo vient discuter à Bruxelles des dispositions à prendre. La famille Hugo décide de vendre tout son mobilier, pour se réunir à Jersey avant la parution, en août 1852, de Napoléon le Petit.
L'affiche de la vente fait un certain bruit dans Paris. Il y a foule lors de l'exposition du mobilier. Outre la bibliothèque, une collection de tableaux (flamands) et de dessins (romantiques), on est frappé par la profusion d’objets de toutes origines et destinés à tous les usages, qui anticipent sur l’ameublement et les bricolages extravagants de Hauteville House (Guernesey). Cette vente n’a pas eu lieu comme certains l’ont cru parce que Victor Hugo était ruiné. Elle a mis une dernière touche au portrait de celui qui campe alors sa posture d’exilé. C’est une manifestation publique de son refus de la situation politique, en même temps que la préparation de l’exil de sa famille.
Hugo choisit l’île de Jersey, terre francophone et libérale, où, entouré de ses proches et de quelques autres proscrits, il continue de manifester son opposition au régime en publiant à Bruxelles le pamphlet Napoléon le Petit (1852) puis des vers « vengeurs » au titre explicite, Les Châtiments (1853).
Photos de l’exil
L’exil est vécu comme une injustice, un deuil traversé de crises de découragement. Pourtant, les longues années hors de France s’avèrent propices à la création. Le contact avec la nature sauvage et le spectacle de l’océan inspirent à Hugo une poésie engagée, Les Châtiments, puis apaisée, Les Contemplations (1856). D’emblée, Hugo projette d’assortir ses œuvres de portraits afin d’entretenir sa légende, à un moment où son existence bascule dans l’Histoire. A l’époque, la technique du daguerréotype (1) ne permet la reproduction que par le biais de la lithographie, procédé jugé « lourd » par Hugo qui va lui préférer la photographie naissante (2). Il pressent les possibilités artistiques de cette découverte et fait installer un atelier dans sa maison de Jersey. Initié à cette technique par le républicain Edmond Bacot, Charles, le fils d’Hugo, devient le principal exécutant du projet paternel.
C’est Hugo père qui met en scène les photographies, choisit les sites et les poses. Son œil averti compose, à la manière d’un peintre, des vues qui apparaissent comme les illustrations des vers composés au même moment.
Victor Hugo sur la grève d’Azette (1852-1853)
Hugo tient d’abord à se rappeler au souvenir des Français en tant que résistant, fidèle défenseurs des idéaux républicains de 1848 et rejetant toute compromission (amnistié en 1859, il refusera de rentrer en France). À cette fin, il prend place sur la grève d’Azette, comme encerclé par la mer, les bras croisés et le regard fixé sur l’horizon. L’assurance de la pose, la stabilité de la composition dont il apparaît comme le « pivot » subtilement désaxé, renvoient à la conclusion d’« Ultima Verba (3) » : Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !
Victor Hugo sur le rocher des Proscrits (1853)
Hugo se veut aussi visionnaire et démiurge. Dans cette photographie qu’il appréciait particulièrement, des diagonales mènent le regard au-delà du promontoire dont la silhouette du poète constitue le sommet, découvrant dans les deux tiers de l’image une étendue vaste, ouverte sur l’infini, où alternent harmonieusement des bandes sombres et claires. Exaltée, la figure du poète apparaît, face à l’univers, la seule capable d’entrer en communication avec la nature et avec Dieu, ce qu’évoquent les vers de « Stella (4) »:
Et pendant qu’à longs plis l’ombre levait son voile,
J’entendis une voix qui venait de l’étoile
Et qui disait…
Le rôle du poète
Les photographies de Jersey s’avèrent d’une grande force. À l’époque, aucun artiste, qu’il soit peintre ou photographe, ne rivalise avec Hugo dans l’art de se représenter. La maîtrise des clairs-obscurs et l’expressivité des poses rompent avec les représentations traditionnelles, beaucoup plus académiques. Hugo a su tirer parti du caractère direct et de la force poétique de la photographie pour imposer son image du poète en exil. Fidèle à la conception romantique, il en fait un prophète des temps modernes, prêt à recevoir la révélation, juché sur le rocher des Proscrits tel Moïse sur le Sinaï.
Le poète est également celui qui éclaire les peuples par la parole, ici la poésie dont le lyrisme s’accorde avec celui des photographies. Ainsi Hugo a-t-il lui-même et consciemment façonné son propre mythe. Dans les décennies suivantes, illustrateurs et caricaturistes réutiliseront l’image de Hugo sur son « piédestal », véritable statue vivante. Cette représentation est en phase avec les attentes de la société du XIXe siècle, comme le montrent les funérailles du poète en 1885 et la place qu’il prendra dans l’école de la IIIe République.
Paul Bénichou, Le Temps des prophètes, Paris, Gallimard, 1977.
Sophie GROSSIORD, Victor Hugo, « et s’il n’en reste qu’un… », Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998.
Victor HUGO, Les Châtiments, rééd. Paris, Hachette, 1998.Adèle HUGO, Le Journal d’Adèle Hugo, Paris, Lettres modernes, Minard, 1968-1984.
Adèle HUGO, Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Paris, Plon, 1985.
Hubert JUIN, Victor Hugo, tome II « 1844-1870 », Paris, Flammarion, 1992.
Catalogue de l’exposition La Gloire de Victor Hugo (Galeries nationales du Grand Palais, 1985-1986), Paris, RMN, 1985.
Catalogue de l’exposition En collaboration avec le soleil.Victor Hugo, photographies de l’exil, Paris, Musée d’Orsay – Maison de Victor Hugo, 1998.
1. Daguerréotype : procédé mis au point par Daguerre en 1838, consistant à fixer l'image sur une plaque métallique. Le daguerréotype permet l'obtention d'un positif direct mais unique.
2. Photographie : procédé mis au point par Fox-Talbot en 1839 et introduite officiellement en France en 1847. Elle permet l'impression de multiples épreuves positives à partir d'un seul négatif sur papier ou sur verre.
3. « Ultima Verba », Jersey, 2 décembre 1853, est le poème qui clôt Les Châtiments.
4. « Stella », Jersey, 31 août 1853, in Les Châtiments.
Stéphanie CABANNE, « Hugo en exil », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/hugo-exil
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