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La Place Saint-Marc avec des charlatans

La Place Saint-Marc avec des charlatans

Date de création : 1726

Date représentée : 1726

H. : 47 cm

L. : 92 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (château de Fontainebleau) / Gérard Blot

lien vers l'image

93-004781-01 / INV 727 ; MR 100

La place Saint-Marc au XVIIIe siècle

Date de publication : Décembre 2018

Auteur : Jean HUBAC

Le védutisme au service de Venise

Luca Carlevarijs (1663-1730), originaire d’Udine, dans le Frioul, est considéré comme le père du védutisme vénitien au XVIIIe siècle – l’art de la veduta consistant à reproduire des « vues » de la ville. Après s’être illustré dans la peinture de paysage mêlant réalité et imaginaire, il se consacre également à représenter des vues de Venise et de ses bâtiments, entre mer, ciel et terre. Il publie en 1703 un recueil d’une centaine d’estampes, intitulé Le Fabriche e Vedute di Venezia (Édifices et Vues de Venise), qui servira à ses confrères de réservoir d’inspiration et de répertoire de vues remarquables, révélant ainsi les emprunts réciproques entre védutistes au XVIIIe siècle.

Son attachement au quartier de Saint-Marc se traduit dans sa production artistique, ainsi que celui pour les événements de la vie vénitienne (entrées d’ambassadeurs, régate en l’honneur de Frédéric IV de Danemark…). Carlevarijs n’hésite pas à peindre des sortes de séries autour des mêmes lieux devenus emblématiques de la cité lagunaire. C’est ainsi que l’on connaît six versions différentes de la place Saint-Marc, dont l’une est étudiée ici, peinte en 1726, quelques années avant la mort du peintre. L’inspiration puisée dans l’œuvre gravé de son prédécesseur Israël Sylvestre est tout à fait possible.

Une place publique animée

Installant le spectateur dans la tour de l’Horloge, Carlevarijs choisit de donner une image vivante de la place Saint-Marc.

Au premier plan, une multitude de petites figures, les macchiette, animent la place. Certains badauds sont attroupés autour de charlatans montés sur des estrades improvisées, d’autres portent des masques et sacrifient aux usages de la civilité mondaine, d’autres encore vendent leurs produits à l’ombre de la basilique, dont l’obscure façade clôt la scène sur la gauche. C’est une société miniature qui prend vie et couleur sous le pinceau précis de l’artiste.

Le deuxième plan est massivement occupé par la base de l’imposant campanile et par la régulière façade méridionale de la place. La trouée vers la Piazzetta et ses deux colonnes, porte ouverte sur le bassin de Saint-Marc et ses bateaux, laisse deviner la façade du palais des Doges et celle de la Libreria, et rompt l’horizontalité de la partie droite de la toile, où les Procuraties déploient leurs arcades régulières ; elle imprime à la composition une perspective plus profonde et rappelle le lien essentiel de la ville avec la mer.

On reconnaît dans cette toile le style de Carlevarijs, qui se distingue par une exactitude architecturale tempérée par une légère brume rosée qui estompe la précision des arrière-plans.

L’agora de la cité des Doges

En choisissant de peindre la place Saint-Marc, deux de ses principaux bâtiments et son ouverture vers la mer, Carlevarijs a rendu hommage au cœur politique, religieux, économique, social et symbolique de Venise. Le succès des vues de la place Saint-Marc auprès des collectionneurs et des touristes de l’époque moderne explique la vogue qu’elles connurent dans la production artistique du XVIIIe siècle. Si Carlevarijs y consacre au moins six versions connues, Canaletto fera de la place Saint-Marc le « sujet de toute une vie » (B. A. Kowalczyk).

Le quartier Saint-Marc n’a pourtant pas subi de transformation majeure au XVIIIe siècle, hormis le remplacement du pavement de la place et de la Piazzetta au début des années 1720. Pour le reste, l’apparence qu’il revêt est celle de ses successifs architectes. La place s’organise autour de la basilique Saint-Marc, édifiée pour abriter les reliques de l’évangéliste Marc, saint protecteur de la cité. Reconstruite au XIe siècle et progressivement ornementée d’ajouts gothiques, l’église à coupoles suit le style byzantin. Les quatre chevaux qui surmontent la façade représentée par Carlevarijs sont issus du butin opéré après la prise de Constantinople de 1204. Véritable cœur religieux de la principauté vénitienne, la basilique organise la place qui lui est adjacente. Le campanile dresse ses 98 m depuis le début du XVIe siècle et surplombe les bâtiments administratifs, appelés Procuraties (celui que Carlevarijs a peint à droite de sa toile représente les Procuratie Nuove) en raison de leur vocation à héberger les services des procurateurs de la république oligarchique de Venise. Ces édifices forment les trois côtés sud, ouest et nord de la place.

Au fond, la Piazzetta s’ouvre sur le palais des Doges, dont on distingue une petite partie de la façade à gauche de la toile de Carlevarijs. Construit aux XIVe et XVe siècles, il s’agit de la résidence des doges de la Sérénissime et du cœur politique de la vie vénitienne. En face, la Libreria de Saint-Marc, construite au XVIe siècle, abrite les précieux manuscrits de la Sérénissime – Carlevarijs n’en donne qu’une vue rétrécie par la perspective et le lointain. Les deux colonnes de la Piazzetta ouvrant sur le bassin de Saint-Marc et l’embouchure du Grand Canal sont, quant à elles, surmontées du lion ailé de saint Marc (à gauche sur la toile) et d’un bronze représentant saint Théodore, ancien patron de la ville (à droite).

Le complexe architectural de la place Saint-Marc, auquel la toile de Carlevarijs rend un bel hommage, représente donc un ensemble marqué par les influences gothiques, byzantines et Renaissance. Il se dégage du cœur de la cité des Doges une apparence d’équilibre auquel le peintre a donné vie. Carlevarijs participe ainsi à l’épiphanie picturale de Venise dans la peinture au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il contribue à fixer dans l’imaginaire européen une image éternelle de la cité lagunaire.

KOWALCZYK Bozena Anna (dir.), Canaletto Guardi : les deux maîtres de Venise, cat. exp. (Paris, 2012-2013), Bruxelles, Fonds Mercator, 2012.

LOISEL Catherine (dir.), Éblouissante Venise : Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle, cat. exp. (Paris, 2018 ; Venise, 2019), Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2018.

PEDROCCO Filippo, Vues de Venise : de Carpaccio à Canaletto, Paris, Citadelles & Mazenod, 2002.

PEDROCCO Filippo, Peintres de Venise : la Sérénissime, Paris, Citadelles & Mazenod, 2010.

SCARPA Annalisa, Venise au temps de Canaletto, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard : hors-série », 2012.

Veduta : Représentation la plus fidèle possible – du moins en apparence – d’une vue de Venise.

Jean HUBAC, « La place Saint-Marc au XVIIIe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/place-saint-marc-xviiie-siecle

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