La Réconciliation des compagnons
Agricol Perdiguier, dit Avignonnais la Vertu
La Réconciliation des compagnons
Auteur : DORLÉANS
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
Date de création : après 1848
Date représentée : 21 mars 1848
H. : 43 cm
L. : 53 cm
lithographie coloriée imprimée par Becquet et éditée par Perdiguier
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN - Grand Palais (Mucem) / Jean-Gilles Berizzi
04-509651 / 1962.68.1
Le refondateur du compagnonnage
Date de publication : Février 2021
Auteur : Alexandre SUMPF
Le propagandiste en chef
Agricol Perdiguier (1805-1875) est sans aucun doute le compagnon du devoir (de liberté) le plus connu des historiens. Né dans le Vaucluse alors que la France entre dans la première industrialisation, décédé à Paris alors que rugit la seconde industrialisation, le menuisier autodidacte s’est institué très tôt historien d’une communauté remise en cause par l’essor du mouvement ouvrier et les mutations du travail industriel.
Dans sa jeunesse, il accomplit deux tours de France entre 1823 et 1828, étant reçu compagnon en 1824 comme Avignonnais la Vertu. Il se fait très tôt l’apôtre de la réconciliation des quelque deux cent mille compagnons de France, devenus frères ennemis après une scission en 1804.
Depuis sa propre librairie, non content de publier Le Livre du compagnonnage (1840), Mémoires d’un compagnon (1854-1855) et Question vitale sur le compagnonnage et la classe ouvrière (1863), il compose des chansons pour le tour de France et écrit également une pièce de théâtre intitulée Les Gavots et les Dévoirants ou la Réconciliation des compagnons (1862). Ces œuvres lui valent l’intérêt d’écrivains comme Victor Hugo et surtout George Sand, qui modèle sur lui le héros de son roman Le Compagnon du tour de France (1840).
Habile communicant, il participe lui-même à la diffusion de son image : selon le conservateur du musée de Chantilly Jacques Kuhnmunch, Louis Berten aurait copié avec plus ou moins de précision l’un des autoportraits dessinés par Perdiguier. De lui, on sait seulement qu’il s’agit d’un compagnon connu sous le nom de Parisien la Branche du Compas.
L’union dans la tradition
La Réconciliation des compagnons se présente sous la forme classique, dans les années 1860, d’une lithographie coloriée, ressemblant à s’y méprendre à une image d’Épinal. Une image centrale est encadrée par un bandeau blanc, dotée d’un titre et commentée par un texte explicatif. Les teintes dominantes sont le bleu, le blanc et le rouge des drapeaux tricolores, des pancartes et des « couleurs », écharpes qui codifient l’appartenance de chaque compagnon à son métier. La scène se déroule dans un cadre champêtre, en bord de fleuve mais à proximité d’une installation industrielle : on distingue une manufacture à droite. Le centre de la composition est occupé à la fois par la statue en pied des trois fondateurs du compagnonnage – Salomon, le père Soubise et maître Jacques – et par celui qui a organisé l’assemblée : Perdiguier en personne. Ayant posé le pied sur le socle en pierre, il domine tous les représentants des métiers, placés en arc de cercle à sa droite et sa gauche ; sa tête placée juste au-dessous et à droite du pied des statues signifie qu’il se présente comme l’héritier direct de l’esprit des trois figures tutélaires et un intercesseur avec la communauté. Celle-ci se compose principalement d’hommes dont la mise bourgeoise, symbolisée par le haut-de-forme, souligne leur appartenance à l’élite sociale de l’époque.
Le portrait en pied de Perdiguier, probablement peint sur toile après son décès, ne brille pas par l’audace picturale ni même le trait réaliste. Le compagnon menuisier est identifié par un cartouche en lettres jaunes sur fond bleu, comme si l’artiste avait voulu imiter l’or et le granit. Il le représente sur le fond d’un paysage aisément reconnaissable : le pont amputé sur le Rhône et la Cité des Papes, rappelant l’origine vauclusienne de Perdiguier. Par un effet prononcé de perspective, aussi haut que le cyprès qui encadre l’image à gauche, le grand homme du tour de France domine des épaules et de la tête cette capitale papale et cité d’histoire. Au centre exact du tableau, il pose en habit de gala – frac, gilet, haut-de-forme, gants blancs, chaussures cirées – et arbore les symboles du compagnon : la canne et l’écharpe. Son visage peint à gros traits n’est pas très ressemblant, ou plutôt il ressemble à beaucoup d’hommes dans la force de l’âge portant, à l’instar de l’empereur, la moustache et le bouc.
Un fervent républicain
L’effort de propagande visuelle autour de Perdiguier, complémentaire des écrits magistraux et de sa collaboration avec les grands écrivains de l’époque, porte sur sa stature de père du compagnonnage réunifié et rénové.
D’après Laurent Bastard, le portrait reprend le canevas des autoportraits gravés que Perdiguier diffusait depuis sa librairie. Si son écharpe ne correspond pas vraiment aux canons du temps, elle porte les trois points qui font référence à la fois aux trois fondateurs et aux trois degrés de la hiérarchie des compagnons, ainsi que le compas. Ce dernier, symbole de la mesure, de la connaissance, de la recherche, est aussi une référence directe à la maîtrise par Perdiguier du trait – la géométrie de la découpe du bois. Perdiguier a donc su trouver le bon calibrage d’un compagnonnage restauré, alors même que les sociétés de secours mutuel puis les syndicats (autorisés sous conditions en 1864) permettent aux ouvriers qui n’appartiennent pas à l’élite du travail artisanal de s’unir et de défendre leurs intérêts.
La Réconciliation des compagnons met en scène la grande convention de tous les corps du compagnonnage français le 21 mars 1848 à Paris, au Champ-de-Mars. Il fait la synthèse entre cet événement, qui aurait réuni près de dix mille compagnons, et le modèle des fêtes patronales que Perdiguier a présenté en janvier 1862 dans le journal Le Siècle, et qu’il cite à la scène X de l’acte V de la pièce homonyme, publiée la même année : « Au milieu d’un champ, dans un aimable paysage, sous un doux rayon de soleil, dressons l’autel de la fraternité, servant de piédestal aux bustes de Salomon, maître Jacques, maître Soubise, et, au-dessus d’eux tous, plaçons l’image du Dieu de l’univers, le Père de tous les hommes. Que les compagnons de tous les métiers, avertis, convoqués, en ayant délibéré, arrivent en colonnes, ornés de rubans, portant des rameaux dans les mains, précédés de leurs chefs, de leurs couleurs, les bannières déployées, sur lesquelles on pourra lire les noms de chaque corporation et des devises fraternelles. » L’esprit quarante-huitard et le souvenir des arbres de mai 1830 planent sur sa vision, typique d’un républicain convaincu qui a d’ailleurs été député en 1848 et 1849, avant de devoir s’exiler en 1851.
ADELL-GOMBERT Nicolas, Des hommes de devoir : les Compagnons du tour de France (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France » (no 30), 2008.
BASTARD Laurent, « L’image, miroir du compagnonnage au XIXe siècle », Images du travail, travail des images, no 1 (Quand les groupes professionnels se mettent en images), 2015.
BRIQUET Jean, Agricol Perdiguier : compagnon du tour de France et représentant du peuple (1805-1875), Paris, Éditions de la Butte-aux-Cailles, 1981.
ICHER François, Le compagnonnage, Paris, Jacques Grancher, coll. « Ouverture », 1989.
Alexandre SUMPF, « Le refondateur du compagnonnage », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/refondateur-compagnonnage
Découvrez la notice scientifique de l'œuvre dans le catalogue des peintures du château de Compiègne : https://compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=330&pos=0&iauteur%3Dberten_louis#hn
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