Aller au contenu principal
La Saisie de l'huissier

La Saisie de l'huissier

La Mort de l'ouvrier

La Mort de l'ouvrier

La Saisie de l'huissier

La Saisie de l'huissier

Date de création : Vers 1845

H. : 32 cm

L. : 24 cm

Appartient à la série : Les Stations du prolétaire, épisodes de la révolution de 1830.

Domaine : Dessins

© GrandPalaisRmn / Thierry Le Mage

Lien vers l'image

01-009967

Les Stations du prolétaire

Date de publication : Février 2010

Auteur : Alexandre SUMPF

Prolétaires et révolutions avant 1848

La saisie de l’huissier  et La mort de l’ouvrier sont des dessins appartenant à la série Les stations du prolétaire, épisodes de la Révolution de 1830, qui compte aussi La mort des soldats et L’insurgé. Leur auteur, Philippe-Auguste Jeanron (1809-1877), démocrate-social et républicain de la première heure, était un proche de Buonarotti (dont il a peint un portrait), Duchez, Ledru-Rollin ou encore Marrast. Artiste engagé, il a d’ailleurs participé aux Trois Glorieuses. Insatisfait de l’évolution de la monarchie de Juillet, il participe pleinement à l’opposition républicaine et milite, avec son art, pour plus de justice sociale. L’artiste, assez introduit dans le monde politique et assez reconnu pour espérer trouver un écho (on peut penser que ces dessins ont trouvé place dans des journaux de l’opposition républicaine), fait donc ici œuvre de propagande et combat à sa manière en faveur des plus démunis. La grave crise économique du milieu des années 1840, qui suscite une aggravation des conditions sociales et exacerbe les tensions politiques, lui offre de nombreux sujets d’engagement.

D’origine latine, le mot « prolétaire » désigne celui qui n’ayant que ses enfants (proles) comme richesse est considéré comme appartenant à la couche la plus basse de la société. Durant la première partie du XIXe siècle, les débuts de l’essor industriel associés à un exode rural de plus en plus massif précipitent dans les villes un nombre croissant de personnes pauvres en quête de travail.

Ouvriers dans les grandes manufactures, artisans (compagnons et apprentis) salariés dans de plus petits ateliers, ou encore chômeurs, ils s’entassent dans des quartiers miséreux de bidonvilles, ne parvenant à subsister qu’au prix de journées de travail qui durent douze à dix-huit heures en moyenne.

Sous la Restauration (1814-1830), ces « classes laborieuses » en voie de paupérisation sont globalement privées de droits sociaux et politiques, le « prolétaire » étant soumis au contrôle du livret ouvrier depuis 1803. Répondant aux appels des républicains, le peuple de Paris se soulève lors de la révolution de juillet 1830, permettant ainsi le succès des Trois Glorieuses (28, 29 et 30 juillet). Mais la monarchie de Juillet (1830-1848) est celle des espoirs déçus pour les prolétaires, dont les conditions économiques empirent. Les mouvements populaires, grèves et insurrections, se multiplient, durement réprimés par le nouveau régime.

Le prolétaire, pauvre et victime

La Saisie de l’huissier met en scène trois hommes dans le décor dépouillé d’un galetas. À gauche est représenté le « prolétaire » aux traits usés, vêtu pauvrement d’un pantalon à bretelles, d’une chemise et chaussé de souliers éculés. Mains dans les poches et tête basse, il fixe le sol d’un air accablé, évitant de regarder ce qui se passe et de voir disparaître ses maigres avoirs. Au centre se tient l’huissier, richement vêtu (manteau, chapeau, canne, pantalon et chaussures contrastent avec l’habit du prolétaire), mieux apprêté (rasé de près) et moins fatigué par la vie. Campé sur ses deux jambes, rigide et inflexible, il tient sous le bras l’avis de saisie. La tête haute de celui qui est sûr de son droit, il observe le bon déroulement de l’opération. Enfin, l’homme qui emporte les meubles représente une position sociale intermédiaire entre les deux premiers, comme en témoigne la qualité de ses vêtements. Son attitude aussi semble à mi-chemin : s’il ne baisse pas la tête, il semble accomplir sa mission sans y prendre goût, d’un air à la fois résigné et un peu sombre. Le dessin au crayon travaille les gris et les ombres, donnant à l’ensemble une tonalité triste et presque lugubre.

Utilisant la même technique, La mort de l’ouvrier évoque la même ambiance, renforcée encore par le sujet. Elle montre un ouvrier mourant (ou déjà mort), seul, couché sur un simple matelas dans une mansarde dénuée de tout ornement (crochet vide au mur). Symbolisant le dénuement au propre comme au figuré, sa chemise laisse apparaître un corps décharné. Sa tête, renversée en arrière et visible de profil, est celle d’un vieillard marqué par une vie de labeur. La masse sombre à sa droite peut figurer la mort, qui le recouvre de son ombre.

Le prolétariat français, entre souffrance et révolte

Les deux images sont très politiques, militantes même. La Saisie de l’huissier montre au public l’inégalité sociale, sensible dans les costumes, les corps et les attitudes. Un épisode humiliant pour l’ouvrier, soumis ici à l’huissier, agent assermenté presque arrogant d’un pouvoir politique qui, loin de réduire les injustices, semble les porter et les aggraver. Trois « classes » sociales sont ici représentées : celle de ceux qui, bien placés, bénéficient de la situation qu’ils entretiennent ; celle des exécutants qui, malgré eux, obéissent ; celle des victimes résignées et démunies jusque dans la mort (La Mort de l’ouvrier).

La souffrance du prolétaire qui se voit enlever son presque rien ou qui meurt seul sans aide, évoque une Passion des temps modernes : les « stations » rappellent ainsi les stations de croix du parcours christique. La représentation s’inscrit pleinement dans la perspective du très fort courant de socialisme chrétien qui se développe dans les années 1840, auquel adhèrent tous les « utopistes ».

Ce spectacle est aussi volontairement révoltant. Révolte rentrée de l’ouvrier qui subit sans mot dire mais qui pourrait bien « serrer les poings dans ses poches crevées » (Rimbaud), ou révolte à venir de ceux qui n’acceptent plus cette réalité. Au-delà de la résignation et de la mort existe le combat (voir L’insurgé de la même série), pour peu que l’on ne soit plus seul face au pouvoir ou à la mort. Datant de 1845, ces dessins évoquent l’insurrection de 1830, mais aussi celles, postérieures, qui marquent la monarchie de Juillet (comme celle des canuts lyonnais en 1834) et préfigurent celle, à venir, de 1848.

Jean-Louis BORY, La Révolution de Juillet (29 juillet 1830), Paris, Gallimard, coll. « Les trente journées qui ont fait la France », 1972.

Jean-Claude CARON, La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1996.

Marie-Claude CHAUDONNERET, « Auguste Jeanron », in 1815-1830.

Les années romantiques, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Nantes, Paris, R.M.N., 1996.

Gérard NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1986.

Alexandre SUMPF, « Les Stations du prolétaire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/stations-proletaire

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Albums liés

Découvrez nos études

Les Prisonniers de l’an 40

Les Prisonniers de l’an 40

Symboles d’un passé honni

Quand les affiches sur les prisonniers de guerre commencent à fleurir sur les murs des deux zones, en 1941, la France…

Les Stations du prolétaire

Les Stations du prolétaire

Prolétaires et révolutions avant 1848

La saisie de l’huissier  et La mort de l’ouvrier sont des dessins appartenant à la série Les stations du…

Les Stations du prolétaire
Les Stations du prolétaire
Afficher le risque radioactif dans l’industrie nucléaire des années soixante

Afficher le risque radioactif dans l’industrie nucléaire des années soixante

Au début des années soixante, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) exploite, dans le centre nucléaire de Marcoule (département du Gard), la…

La Catastrophe de Courrières (mars 1906)

La Catastrophe de Courrières (mars 1906)

Une catastrophe industrielle à l’heure de la grande presse populaire

Depuis la fin du XIXe siècle, le bassin houiller du Nord-Pas-de-…

L'application des 8 heures

L'application des 8 heures

La loi des 8 heures

La limitation de la durée de la journée de travail à 8 heures constitue l’une des revendications majeures du monde du travail…

Le refondateur du compagnonnage

Le refondateur du compagnonnage

Le propagandiste en chef

Agricol Perdiguier (1805-1875) est sans aucun doute le compagnon du devoir (de liberté) le plus connu des historiens. Né…

Le refondateur du compagnonnage
Le refondateur du compagnonnage
Planches de l’<i>Encyclopédie</i>

Planches de l’Encyclopédie

Composés de quelque 60 000 articles, les dix-sept volumes de textes de l’Encyclopédie s’accompagnent de onze volumes de planches. Des…

Planches de l’<i>Encyclopédie</i>
Planches de l’<i>Encyclopédie</i>
Le tour de France des compagnons

Le tour de France des compagnons

Un réseau communautaire qui se délite

Tout au long du XIXe siècle, la révolution de l’imprimerie a permis de fournir aux Compagnons du…

Le tour de France des compagnons
Le tour de France des compagnons
Le tour de France des compagnons
Effort de guerre et union sacrée

Effort de guerre et union sacrée

La Grande Guerre à l’école

En 1914, à plus de 55 ans, le graphiste et designer Victor Prouvé (1858-1943) est trop âgé pour s’engager dans l’armée…

Effort de guerre et union sacrée
Effort de guerre et union sacrée
Effort de guerre et union sacrée
Aristide Bruant, ambassadeur de Montmartre

Aristide Bruant, ambassadeur de Montmartre

La Belle Époque des cafés-concerts

Dans le dernier quart du XIXe siècle, Paris est le cœur battant de la vie artistique mondiale. La…